C’est lundi dernier, dans son lit d’hôpital de Newport Beach (Californie), que Dorian Paskowitz a finalement laissé sa femme Juliette et ses neuf enfants poursuivre sans lui l’aventure de ce clan emblématique du surf. Né au Texas, il étudie la médecine à Stanford et surtout, surfe dès le début des années 30. Un sport qu’il pratiquait encore récemment à Waikiki, où il passait une partie de son temps. Dorian Paskowitz, c’est aussi un choix de vie radical, celui de faire grandir sa famille nombreuse dans un van aménagé et de parcourir la côte au gré de ses envies. Le film Surfwise, sorti en 2007, retrace cette odyssée mouvementée, qui les verra notamment fonder une école de surf. Doc était aussi un défenseur d’une alimentation saine pour une bonne qualité de vie. Il en a fait un livre, Surfing and Health.
Plus récemment, en 2007, Dorian avait créé l’association Surfing 4 Peace, dans le but premier d’apporter un soutien matériel aux surfeurs isolés de Gaza. Il avait effectué plusieurs voyages sur place, emmenant même avec lui Kelly Slater pour essayer de faire bouger les choses. Si des planches étaient bien arrivées jusqu’aux plage gazaouis, la volonté de Doc allait au-delà : rassembler, grâce au surf, juifs et musulmans. Aujourd’hui, c’est tout une dynamique d’échanges qui existe et dont le point d’orgue a été le Surfing 4 Peace Summit, un trip d’une dizaine de jours entre Marseille et Biarritz qui avait regroupé des surfeurs des pays du pourtour méditerranéen.
A ce propos, retrouvez ci-dessous une interview de Dorian Paskowitz publiée en 2011 dans Surfer’s Journal. Elle porte son message, encore et toujours d’actualité.
Doc, quelle est votre relation avec Israël ?
J’ai toujours été lié à Israël, d’abord parce que je suis juif. Ensuite de par mon passé. J’y ai été le premier surfer dans les années 50 et j’y ai laissé les premières planches. Plus récemment, Israël est revenu à moi en 2007, quand j’ai lu cet article du Los Angeles Times qui évoquait le manque de matériel de surf à Gaza. Ça m’a bouleversé. Eux aussi ont le droit de surfer. Du coup, on a organisé ce voyage avec Kelly Slater et Makua Rothman pour amener des planches à Gaza. Pour la petite histoire, le premier surfer à qui j’ai appris à surfer en Israël, à Haïfa en 1956, était un musulman.
Comment les choses ont-elles évolué depuis ce voyage en 2007 ?
L’équipement est bien meilleur. On s’est battu pour qu’ils aient des planches en bon état. Depuis, d’autres personnes se sont investies pour donner du matériel aux surfers de Gaza. On est passé d’un bébé à un enfant capable de marcher. C’est incroyable comme les choses ont évolué ! Il y a une trentaine de nouveaux surfers à Gaza. J’étais sûr que cela arriverait. Je surfe depuis 75 ans et j’ai vu tellement de choses !
Est-ce compliqué de mettre la religion de côté dans ce genre d’opération ?
Pas pour moi. Peut-être pour les autres. On m’a un jour demandé ce que je ferais si je devais choisir entre la religion et le surf. J’ai répondu le surf, car c’est une force spirituelle bien plus puissante que n’importe quelle religion. Les passions religieuses restent mystérieuses pour moi, c’est comme de la magie noire. C’est des conneries ! Quand tu rames, que les vagues sont belles, que le soleil brille et l’eau est claire, c’est ça, Dieu pour moi ! Tu es entre ses mains ! Ce n’est pas rester assis toute la journée pour Yom Kippour ! Je ne voudrais pas paraître trop idéaliste mais voilà mon sentiment : ce qui compte, ce n’est pas la politique ou la religion, c’est ce qu’on ressent en allant surfer, en sortant de l’eau après une bonne session, quand on est envahi par la puissance de la nature et des éléments.
Juliette, sa femme, intervient
Quand je l’ai rencontré, voilà 52 ans, c’était déjà son idée : rassembler les surfers juifs et arabes, mettre la religion de côté et surfer tous ensemble. Ce n’est pas nouveau, ça date de 1957 !
De quoi êtes-vous fier ?
Je suis très fier de ce groupe de surfers de Gaza qui se sent fort, qui partage et fait grandir quelque chose, comme une plante. Je suis fier d’avoir été à la base de ça. Je suis aussi fier d’avoir amené Kelly Slater, d’origine syrienne, et Makua, un juif, en Israël. Mais je ne me considère pas à l’origine de quoi que ce soit. Aucun de nous ne fait les choses seules. On a besoin des autres. Je suis fier de ce qu’on a tous accompli. Quand j’apprends qu’une jeune fille de Gaza apprend à surfer, c’est magnifique. Ça dépasse tout ce que j’imaginais. Voir ces gens, si pauvres, sur des planches enfin s’amuser, ça me rend heureux.
Qu’espérez-vous maintenant ?
C’est plus qu’un espoir. Comme je l’ai dit de façon assez pessimiste, je ne vois pas comment la paix peut s’installer. Mais je suis persuadé que ce qui touche aux vagues, au soleil, à l’eau, tout ce que cela représente va continuer à grandir. Car c’est à leur disposition, ça ne dépend de personne. Ils peuvent en profiter. Je leur souhaite donc de trouver leur bonheur.
Interview et photos : Baptiste Levrier