À 33 ans, et après 13 saisons au sommet c’est toujours cette même joie simple et communicative qui habite Mick Fanning. L’Australien, bête à concours archi préparée qui appréhende chacune de ses séries avec la même application millimétrée n’est pas le plus doué ni le plus spectaculaire des surfeurs du World Tour, mais il a comblé ces déficits-là grâce à un travail assidu et une approche hyper professionnelle. Mais il n’y a pas que ça. Mick n’a jamais perdu de vue une chose essentielle sans laquelle il n’aurait pas remporté 18 succès WCT et trois couronnes mondiales : le plaisir. Le plaisir de vivre de sa passion bien sûr, ou le plaisir de surfer un Jeffrey’s Bay parfait à deux. Le plaisir d’être surfeur tout simplement. Et c’est empli de ce plaisir qu’on le retrouve au sommet du podium de ce J-Bay Open aux côtés de son compagnon de finale Joel Parkinson. Une nouvelle victoire qui permet à “Micktory“ de rejoindre Gaby Medina et Michel Bourez dans le club fermé des double vainqueurs cette saison et de recoller au sommet du classement. La course au titre est plus indécise que jamais.
Dans l’épisode précédent
Quelques semaines plus tôt à Fidji, cinquième étape de l’ASP World Tour…
En dominant le sémillant Nat Young dans un Cloudbreak taille XS en finale, Gabriel Medina devient le premier Brésilien à triompher au Fiji Pro -quelques mois après avoir signé pareil exploit sur la Gold Coast… Coup triple pour le gamin de Maresias qui réendosse le lycra doré du leader après l’avoir brièvement laissé à Kelly Slater après Rio.
Mais le principal enseignement de cette première moitié de saison est ce péril jeune qui menace l’ordre établi du World Tour. Cette génération enfin désinhibée emmenée par Medina, Young, Andino, Bourez et consorts semble résolue à couper des têtes couronnées. La révolution est-elle en marche ?
J-Bay, la belle ressuscitée
Seulement cette jeunesse ne connaît rien (ou pas grand-chose) de cette vague sud-africaine qui se présente à elle. Et pour cause, Jeffrey’s Bay, alias J Bay, longue droite de point-break qui s’éveille en hiver austral et que certains considèrent comme la plus belle au monde, n’a plus été au calendrier du World Tour faute de sponsor depuis 2011, une époque où ces morveux se badigeonnaient encore d’eau précieuse avant d’en découdre dans les coupe-gorges du WQS.
Un coup d’oeil au palmarès de cette épreuve ressuscitée par l’ASP sur ses seuls fonds indique, qu’ici aussi, le succès échappe rarement aux aristocrates du WCT. Slater, quadruple lauréat et Smith double tenant font figure d’épouvantails aux côtés des incontournables Fanning (2x), Parko (2x) et Burrow, seuls anciens vainqueurs encore en activité.
L’«affaire Florès»
Les deux premiers tours confirment la tendance. Point de tête de série au pied du billot. Mieux, en signant dans son jardin le meilleur total de la saison (19,80 pts) Jordy Smith va encore décoiffer tout le monde, adversaires et spectateurs (mais pas lui malheureusement) dès son entrée en lice. Mais la performance du springbok sera vite occultée par l’ « affaire Jérémy Florès ». Transparent au premier tour, le Réunionnais retrouve Sebastian Zietz au round 2. Impeccable dans son choix de vague, bien sur sa planche, Jérémy signe tout d’abord le meilleur score de la série (7,60) mais ne se met pas à l’abri faute de back-up. L’Hawaiien reste au contact et n’a besoin que de 6,54 lorsqu’il démarre sur sa dernière droite à 6 minutes du gong : cinq manoeuvres dont un joli deuxième carve. Rien de majeur mais les supporters de Florès tremblent ; ils connaissent trop bien le sort qui lui est souvent réservé lorsque la situation est tangente. La note que les juges vont mettre 4 minutes –une éternité- à poser tombe, cinglante : 6,67 ! À l’annonce du score de “Seabass” le Français applaudit sarcastiquement et ce n’est pas un dernier tube trop rapide qui l’apaisera.
Après un début de saison éminemment frustrant sur le WCT (il pointe à la 31ème place) c’en est trop pour le volcanique Réunionnais qui s’en va parler de son île aux juges. Le Piton de la fournaise a fini par exploser. Un peu trop brutalement au goût de l’ASP qui, malgré des excuses, le sanctionnera d’une amende de 6000 $ et d’une suspension effective jusqu’au 27 août qui lui fera manquer l’US Open et surtout le Tahiti Pro, épreuve fétiche qui aurait pu le remettre en selle.
Kelly, Jordy, Michel : par ici la sortie
De retour à l’eau, le round 3 propose son lot d’éliminations marquantes dans un J-Bay endormi. À commencer par celle du deuxième mondial Michel Bourez, notre héros tahitien qui gérera moins bien les priorités qu’Alejo Muniz dans une série lente, laissant les plus grosses vagues au Brésilien qui ne se fera pas prier pour les dépecer à coups de snaps ravageurs pour une notation supérieure. Mauvaise opération pour le Spartan qui a déjà brûlé ses deux jokers(1) sur la Gold Coast (13ème) et à Bells Beach (25ème) et qui conservera cette nouvelle 13ème place dans sa ligne de résultats en fin de saison.
King Kelly et Jordy Smith, 6 trophées à eux deux, vont connaître le même sort. Moins incisif que lors de ses vingt-et-quelques saisons précédentes, avec moins de drive sur un matériel parfois douteux, Slater se fait sortir sans ménagement par son antithèse : Matt Wilkinson, jeune et dodu goofy élevé à la bière australienne et aux qualités athlétiques douteuses. Mais ce Wilko-là qui lutte chaque saison pour sa survie dans l’élite et qui est surtout connu pour ses combinaisons délirantes sera aussi irrésistible dans ce J Bay Open que lors du O’Neill Coldwater de 2012 dont il avait atteint la finale.
Et que penser de la sortie de Jordy Smith face à CJ Hobgood ? Moins impérial qu’au round 1, le Sudaf promène sa grande carcasse avec son habituelle puissance teintée de nonchalance à laquelle Ceejay n’a que la vitesse et le flow de son quad à opposer. Pas le moindre virage poussé -quelques chatouilles tout au plus- et un backside air pour seule prise de risque. Et pourtant ; comme sur la Gold Coast le Floridien semble bénéficier d’une certaine mansuétude de la part d’un jury, il est vrai, enclin à récompenser les backsiders. Exit Jordy qui rejoint nos gendres idéaux John John Florence, Nat Young et Julian Wilson eux aussi sortis sans gloire.
Ici, ici c’est l’Aus-tra-lie !!!
Dernier jour de compétition dans un J-Bay absolument parfait qui distille des murs offshore et massifs de 3 mètres. Multipliant carves au cordeau, off-the-lips himalayens et tubes techniques, les 12 survivants vont nous offrir la plus belle journée de compétition de la saison. Et c’est à un duel entre nations en quête de rachat auquel on assiste rapidement. Le Brésil qui rêve de redonner de l’orgueil à un pays déconfit par les performances de son équipe de foot et l’Australie pour faire oublier la déroute de Fidji où elle n’aligna qu’un seul représentant en quarts. À Jeffrey’s Bay, ils seront cinq : Parko, Taj, Wilko, Wright et Fanning face à trois Brésiliens : Adriano De Souza, l’inattendu Alejo Muniz et Gabriel Medina dont l’adaptation à ce spot qu’il découvre s’est faite aussi rapidement que Matt Wilkinson n’engloutit les bières.
Mais comme au foot, les Brésiliens vont déchanter un à un face à des Australiens aussi impitoyables que la Mannschaft(2). Un dernier carré 100% “aussie“ et des oppositions de styles dans chaque demie : regular contre goofy, jeune contre vieux. Après un début de saison mitigé, il semblait donc acquis que Parko et Mick, tous deux double vainqueurs ici (en 1999 et 2009 et 2002 et 2006 respectivement) renoueraient avec le succès sur cette vague qui ne s’offre qu’aux meilleurs. Choix de vague et lignes uniques auront raison des deux impétueux goofies –avec à la clé un 10 pour Parko. Et c’est fort logiquement que l’on retrouve les deux derniers champions du Monde face à face. Quatrième finale WCT entre les deux potes qui semble promise à Parko. Et pourtant ! Moins en phase avec l’océan, Parkinson va être étouffé d’entrée par Mick, auteur d’un 9 puis d’un 8 dans les 15 premières minutes. Courant vainement après le score, il finira sa finale piteusement échoué dans les rochers d’Impossibles laissant à son pote signer un deuxième succès après celui glané à Bells beach.
Dans le prochain épisode
On remise le néoprène au placard et on ressort les boardshorts pour la deuxième étape organisée au coeur du Pacifique sud : le Billabong Tahiti Pro sur la célébrissime vague de Teahupo’o. Et on remise aussi les manoeuvres puisqu’ici le tube est la seule option viable pour espérer triompher des cavernes tahitiennes qui montrent un visage très différent selon la taille de la houle : attirant à 1,50 m (2013) ou effrayant à 3,50 m (2012). Quel que sera le visage du Teahupo’o 2014 ? Seule certitude : un excellent tuberider l’emportera.
Coup d’envoi le 15 août.
(1) Seuls les 9 meilleurs résultats sont conservés à l’issue d’une saison qui compte 11 épreuves, chaque surfeur a ainsi droit à deux jokers.
(2) Mannschaft : le nom de l’équipe nationale allemande de football à propos de laquelle l’international anglais Gary Lineker eut cette phrase : « Le football est un sport qui se joue à 11 contre 11 et à la fin c’est l’Allemagne qui gagne. »
* @FranckLacaze : ancien surfeur pro, rédacteur en chef du magazine Trip Surf de 2000 à 2007, commentateur de l’ASP World Tour sur la chaine MCS Extrême (Canalsat 127 ou Numéricable 153).
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