Dernier QS en France, arrêt de la compétition, ambitions scolaires et professionnelles… Néis Lartigue s’explique avec une franchise et une honnêteté rare dans le milieu du sport professionnel. Sans langue de bois.
Hello Néis, tu pourrais te (re)présenter pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?
Je m’appelle Néis Lartigue, j’ai 19 ans, je fais de la compétition depuis 8 ans. J’ai arrêté cette année parce que je reprends mes études. Je ne laisse pas du tout le surf de côté mais je fais une pause dans les compétitions parce que c’est un monde un peu compliqué.
En quoi est-ce compliqué ?
Déjà financièrement je ne peux pas suivre le rythme. Ensuite, je me suis rendue compte que je m’amusais beaucoup plus à surfer avec mes potes, pour moi, plutôt qu’à faire des compétitions. Après c’est sûr que tous les voyages qu’on fait sont vraiment incroyables. J’ai rencontré des gens eux aussi incroyables. Mais pour avoir un avenir « sûr », j’ai préféré reprendre mes études.
Tu t’es orientée vers quelles études ?
Je suis partie à Bordeaux pour une prépa BCPST au lycée Montaigne. Je suis très contente. Je sors de ma première semaine et c’est déjà un rythme qui change, d’autant plus que je sors d’une année de césure. Ils ne prennent d’habitude pas les gens qui sortent d’une césure mais j’ai dû faire beaucoup de démarches, expliquer pourquoi, etc. Moi qui travaillais un peu moins au lycée, cette première semaine de rentrée m’a remis directement dans le bain (rires) !
Tu aimerais t’orienter vers quoi par la suite ?
Je ne sais pas trop encore. La prépa me permettrait de passer le concours d’agro ou de véto. Agro ne m’intéresse pas vraiment et véto pourquoi pas. Mais j’aimerais aussi intégrer une école. Je sais que Polytech et l’ENS ouvrent un peu leurs portes aux prépas comme ça mais ça reste vraiment très difficile. Après, j’aimerais vraiment faire de la biologie marine donc pourquoi pas tenter ! Sinon, j’aimerais bien aussi aller travailler hors de la France, dans les réserves marines.
Je n’ai pas vraiment d’idée fixe mais je sais qu’il me reste 2 ans pour voir ce qui me plaît.
Quel goût ont eu tes 2 derniers QS à la maison (Anglet et Lacanau) ?
C’était vraiment sympa parce que j’avais des ami.e.s qui venaient d’un peu partout dans le monde. Sachant que c’était mes dernières compétitions et que je ne les reverrai pas pendant un certain temps, c’était vraiment cool.
La compétition en elle-même ne s’est pas très bien passée (rires). Mais c’est aussi à ce moment-là que je me suis rendue compte qu’une pause était nécéssaire. À Lacanau, je surfais super bien en free surf, j’avais bon espoir pour la compétition. Mais sur mes séries en compétition, je n’ai pas géré. Ça m’a plus fait plaisir de revoir mes potes et de surfer tous ensemble.
La compétition m’a permis de lier de vraies amitiés et je sais avec qui je vais garder contact. Je n’arrête pas le surf, c’est certain, mais c’est un autre parcours, une autre vie qui commence pour moi.
Te voir arrêter maintenant c’est surprenant. Pourquoi ?
Beaucoup ont été étonnés que j’arrête. Ils me disaient que je surfais hyper bien, que je devrais continuer même si c’était compliqué. Mais comme je l’ai dit, je n’ai déjà pas le budget pour suivre. Cette année a été réalisable uniquement parce que j’ai trouvé la fondation Porosus qui m’a bien aidé, mais je ne savais pas si elle me soutiendrait encore l’année prochaine. Sans eux, je n’aurais rien pu faire, d’autant plus que mon sponsor de l’an passé m’a lâché donc je suis très reconnaissante envers la fondation.
De plus, je n’ai pas non plus eu les résultats espérés cette année, hormis un ou deux. Certains ont des parents qui peuvent suivre, peu importe leur niveau. Ce n’est pas le cas pour moi donc j’ai préféré arrêter.
Ça faisait vraiment 8 ans que je faisais de la compétition sans m’arrêter. Aujourd’hui, je pars sur autre chose. Le surf c’est incertain donc sans étude avec moi, je ne sais pas ce que je peux faire plus tard si je n’arrive pas sur le CT. C’est un des rares sports qui n’est pas à proprement parler professionnel. Tu n’es pas rémunéré et pour participer, c’est à toi de payer les frais d’inscriptions, les voyages et tout le reste. Je ne peux pas suivre et ne me vois pas trop là dedans pour l’instant. J’ai envie de faire d’autres choses, de m’ouvrir à d’autres possibilités.
As-tu eu un déclic qui t’a poussé à faire ce choix ?
Je ne surfais jamais en compet’ comme j’en avais l’habitude en free surf. L’an dernier, je devais choisir entre les études et la césure. Je ne me voyais pas arrêter le surf et j’avais envie d’essayer. Je savais qu’en une année, c’était presque impossible de se qualifier. Donc cette année je devais choisir encore une fois : continuer le surf ou reprendre mes études.
Le problème était aussi qu’on avait beau me dire que le statut de haut niveau pourrait m’aider, ça n’a pas vraiment été le cas. Ça aurait été impossible d’entrer en prépa avec une césure de 2 ans, sachant que j’ai eu du mal à l’avoir avec une césure d’une année, Parcoursup me l’avait même initialement refusé.
La période où j’ai compris que ma césure mettait en jeu mes choix d’études était horrible. Je me demandais même si le surf ne m’avait pas gâché cette possibilité d’études alors même que c’est ma passion ! Je ne comprenais pas non plus pourquoi une année de césure, où j’ai pris une certaine expérience, n’était pas prise en compte dans le choix de ma formation.
Tout s’est finalement bien goupillé et c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour moi, j’en suis ravie et je ne regrette pas mon choix. C’est vraiment un nouveau départ, je ne connais personne, je ne sais même pas qui surfe ou si certain.e.s savent que j’ai surfé, je n’en parle même pas ! Je ne suis plus catégorisée comme surfeuse de manière automatique.
Tu as toujours la possibilité de revenir…
Tout à fait, comme Cannelle (Bulard) ! Elle a fait ses études de kinésithérapie, là elle revient en compétition et elle est dans le top 15. Je sais que la prépa va être compliquée, c’est un rythme spécial et c’est super intense. Je suis rentrée ce week-end parce que c’est la première semaine et que je n’ai pas trop de boulot, et je reviendrai le week-end prochain. Mais dès que les cours commencent avec des DS tous les samedis, je sais pertinemment que je mettrai mon surf entre parenthèses pour 2 ans.
Tu nous parlais de la complexité du surf au niveau professionnel, tu penses que cette difficulté l’est d’autant plus lorsque l’on est une femme ?
Le surf féminin c’est un monde encore plus complexe parce que ce ne sont pas forcément les meilleures surfeuses qui vont avoir les avantages ou les sponsors. L’image de la surfeuse est malheureusement encore très sexualisée. C’est en train de changer, mais ça prend du temps, d’autant plus sur les compétitions.
Les prize money égaux c’est un premier pas et c’est vraiment cool mais ça reste très compliqué de gagner sa vie là-dedans. Les 17 premières du CT s’en sortent mais il faut être dans le top pour vivre du surf, il faut y arriver et avant même d’y arriver, il y a énormément de sacrifices à faire. Les filles font entre 10 et 15 années sur le QS avant d’aller sur le CT, mais encore une fois, il faut pouvoir suivre financièrement, sinon c’est impossible. Une année QS bien réalisée c’est 20 000 à 30 000 euros. Ok les mecs sont forts et c’est génial de les regarder en compétition, mais aujourd’hui des filles excellent aussi et sont moins mises en avant, c’est dommage.
Le surf, c’est très aléatoire comme milieu tant sur les conditions naturelles que sur les juges. Avec un peu de recul, le monde compétitif est tout de même un peu pourri même si l’on tente de le rendre tout beau tout propre.
En quoi vois-tu l’image du surf de compétition un peu ternie ?
C’est pas comme le tennis où tu marques un point parce que la balle est arrivée au bon endroit. Le jugement en compétition est très subjectif. Le nombre de fois où tu vois des surfeurs qui ne se qualifient pas sur le CT à rien et tu te rappelles d’une série où ils auraient pu passer mais que les juges en ont décidé autrement, c’est assez fou. Et du coup ils ou elles sont reparti.e.s pour une année supplémentaire sur le QS à galérer.
Quand tu es immergée dans la compétition, tu es consciente des injustices qu’il peut y avoir mais tu fais avec. Cependant, quand tu arrêtes et que tu prends un peu de recul, tu émets un regard un peu plus critique sur tout ça. Maintenant, quand je surfe en free, je prends plus de plaisir, je ne m’impose pas telle ou telle manœuvre à réussir avant de sortir de l’eau. Je suis avec mes potes, je m’éclate. Sans limite de temps.
L’image qu’essaye de se donner le surf est aussi parfois un peu hypocrite. Quand la WSL lance son programme Pure, il ne faut pas se leurrer, on a tous et toutes un impact horrible sur la planète, on doit prendre une trentaine d’avions sur la saison si ce n’est plus. Il n’y a pas de solution miracle car on n’a pas le choix non plus mais des fois c’est à se demander si, par exemple, on a besoin d’autant de QS ? Il doit y en avoir 40 pour les filles et 50 pour les gars, sans compter les petites compétitions qui s’y rajoutent.
Enfin voilà, ça fait beaucoup de sujets différents et de choses à changer (rires). Mais bon, si je reviens dans 2 ans, je verrai où ça en est et j’espère que ça aura continué d’évoluer pour rendre la pratique meilleure qu’elle ne peut l’être aujourd’hui !
Photo à la une : Rémi Blanc (pour la WSL)
Bonjour.
Il y a une erreur dans l’article. C’est Polytechnique et l’ENS. Pas Polytech qui est accessible post bac.
Sinon la prépa à Montaigne c’est le sang. C’est possible d’aller chercher les vagues au Ferret les samedis aprèm après les DS
Tu sembles être une très belle personne, une excellente analyse du monde sportif professionnel.
Les choses changeront certainement, mais de quelles façons ?
Bonne route à toi et Carpe Diem.
Surf 85
Lucide, intelligente, honnête, un peu trop pour le milieu du surf sans doute.
Clair comme de l’eau de roche ! Bon courage pour les études.
Wow la maturité à 19 ans ! amuse -toi, garde le surf comme passion et art de vivre, c’est le plus important !
(mention spécial sur l’impact écologique des 30 avions par saison…)
Beaux projets pour la suite en tout cas, une maturité d’esprit.
Bravo ! Demoiselle ! Très bonne analyse. ?’?