Arica, petite ville du Chili surtout connue pour son slab au nom évocateur « El Gringo ». Kyllian Guerin s’y est rendu en mars dernier accompagné de William Aliotti, habitué de cette vague dangereuse. Pour son récit « session engagée« , le jeune landais nous raconte dans une interview les déboires qu’il a connus lors de sa première session sur place. Au programme, courant, rochers et des moules dont il se serait bien passé…
Une session à hauts risques qui devrait figurer dans l’edit de ce joli trip, prévu jeudi 3 mai à 16h sur sa chaîne YouTube.
Petite contextualisation. Cette vague se trouve à l’extrême nord du Chili, à la frontière avec le Pérou, une zone relativement chaude et désertique. Vous constaterez sur n’importe quelle carte que plus on va au Sud, plus les paysages deviennent verts et plus froids à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur. Si Kyllian s’est rendu sur Arica, une région qu’il ne connait que très peu, c’est à l’initiative de William Aliotti. « J’avais envie de m’évader un peu de la France. Je l’ai appelé, je me suis dit qu’il serait chaud après son accident en Irlande, qu’il aurait peut être voulu se remettre dans le bain des gros tubes » témoigne ce dernier. On peut dire qu’il a eu du flair car Kyllian a accepté tout de suite et n’a pas manqué son retour dans les vagues à risque.
Surf Session : Salut Kyllian, pour ce premier récit de « session engagée » tu as choisi de nous parler de ta session au Chili, dont tu reviens tout juste, raconte-nous !
Kyllian Guerin : Je viens de rentrer, j’étais avec William Allioti et mon cameraman. On est parti là-bas pour filmer un projet vidéo et surtout prendre des barrels. Nous sommes arrivés sur Gringo, le spot où il y a eu une étape CT dans les années 2010, c’est Andy Irons qui y avait gagné je crois. Il y a un QS aussi. J’avais vu plusieurs fois ce spot, sans forcément trop le voir non plus. On a tous une image du spot mais on sait pas vraiment à quoi s’attendre, contrairement à Pipe ou Teahupo’o on va dire, donc un peu plus surprise.
SS : Comment étaient les conditions ?
KG : Les premiers jours on a eu pas mal de swell, donc assez cool, mais on a pas eu le temps de s’échauffer pour prendre confiance. On a été directement jetés dans le bain. La première session qu’on a faite était l’une des plus vénères, c’était assez fat.
J’ai eu 2-3 bonne gauches dans la session, 2-3 bon barrels et 1 ou 2 en droite vers la fin, mais je n’ai pas eu de bombes. Pour la mise à l’eau, tu ne sais pas à quoi t’attendre en arrivant sur le spot. Il y a des rochers dans tous les sens, des moules, tu ne vois pas vraiment la passe pour la mise à l’eau (parce qu’il n’y en pas vraiment). Il y a une sorte de channel mais franchement… Et encore la mise à l’eau ça peut passer, mais alors la sortie, c’est un enfer.
SS : Dans quel état d’esprit étais-tu ce jour là ?
KG : Je revenais de blessure, ça faisait 3 semaines ou 1 mois que j’avais repris le surf. Ma dernière session vraiment engagée c’était en Irlande sur un slab en gauche dans le froid, où je m’étais cassé la cheville. Je ne suis pas encore à 100% techniquement. Dans mon mindset, c’était un peu un premier surf trip où je me remettais à surfer des vagues énervées, avec de l’engagement. Je voulais reprendre un peu confiance et me réhabituer à tout ça. Pour le coup, je me suis jeté dans la gueule du loup (rires). Mais c’est bien parce que ça ne te laisse pas vraiment le choix, que tu sois prêt ou pas, tu es dedans. Pendant mes première sessions là-bas, j’avais un peu de doutes sur moi-même, sur mes capacités. Le fait de pas avoir surfé pendant 4 mois, de ne pas m’être retrouvé dans des situations un peu engagées voir critiques… C’était motivant et stressant à la fois.
Je suis arrivé au pic et j’ai commencé à capter l’énergie du spot. Sur la première vague je crois que j’ai essayé de tuber mais je me suis pris une mine, j’ai raclé sur les rochers. Je prenais des impacts, j’avais l’eau au niveau de la hanche, j’étais à moitié debout sur la dalle de reef. Je me suis dit « bon, le spot il rigole pas. Je ne vais pas trop faire l’idiot quand même« . On a enchaîné avec William, on était tout seuls à l’eau pendant une heure et demi voire deux heures.
Lui, il a eu un paquet de barrels ce c**. Il a gagné le QS en 2016 là-bas, il connait la vague par cœur. Il est très à l’aise sur cette vague, il sait celle qu’il veut. De mon côté j’étais un peu en mode découverte du spot, en analyse de ce qu’il se passait. C’était cool de voir comment faisait William, comment il comprenait le spot. Il avait quelques potes qui se collaient à lui pour le suivre et voir comment ça se passait.
À un moment, une grosse bombe est arrivée. Je commence à prendre de l’assurance, de la confiance. William est parti sur la première, un peu late, il parvient à passer le drop mais pas à se mettre dans le tube. Je pars sur la deuxième, peut être un peu plus grosse ou de la même taille du moins. Je pars trop late aussi, backside, complètement en air drop. Je plante le nose et là sous l’eau je me fais défoncer la gueule, je pars dans tous les sens. Je me suis mis en boule, je me protégeais la tête avec les bras, je me fais vraiment bien sécher sous l’eau. Je sens que ça tire sur mon leash et d’un coup il lâche. Ensuite j’ai du bouffer tout le set, 5-6 vagues qui m’ont balayé sur le reef. Sur le spot, il y a un peu un shorebreak sur les rochers. Il est hyper imprévisible. Un coup la vague va pincher, un coup elle va aller vite, un coup elle va ouvrir en grand, un coup il y aura beaucoup de mouvement d’eau, de bump un peu dans le tube. C’est un barrel assez dur à avoir, dur à prédire et tu n’as pas vraiment le droit à l’erreur dans ces spots parce que dès que tu tombes, tu te fais mal. C’est aussi simple que ça.
10 jours sur place ça m’a couté 3 boards, toutes explosées par les rochers. Une combi trouée au niveau des fesses dans tous les sens donc mes fesses idem. La vague pousse, elle est puissante, il y a de la casse, c’est pas un jeu d’enfant. Pour sortir, tu as une porte de sortie dans une sorte de mini channel mais c’est un grand mot. Il faut vraiment bien le viser. Tu dois l’utiliser mais il y a le contre-courant. Sans planche, c’est un enfer. Si tu te fais emporter par le courant tu te retrouves au niveau de « la Tortue« . C’est le gros rocher à droite où il ne faut pas aller. Je m’y suis fais emporter et je n’arrivais pas à en sortir comme j’étais à la nage. Après avoir bataillé pendant 10–15 minutes, je suis revenu sur le dur et me suis retrouvé à devoir sauter de rochers en rochers, à devoir éviter, anticiper et réagir rapidement dans une situation stressante. Ça fait vite monter le cardio mais il faut essayer de rester calme et de se rassurer. Quand j’ai réussi, les locaux sont partis chercher ma planche dans les rochers, un peu éclatée. J’ai changé de board, remis un nouveau leash et je suis reparti à l’eau. On a fini la session avec William et c’était cool.
SS : Tout ça en combien de temps ?
KG : Une matinée, la journée d’entrée, la bienvenue (rires). Je suis arrivé après 48h de voyage, un peu décalqué. Premier soir au Chili avec les boys, c’est fun puis dès le lendemain, première session : Bienvenido a Chile !
SS : Et William dans tout ça ?
KG : William n’est pas tombé une seule fois de la semaine hormis une seule chute l’avant dernier jour du trip où il s’est fait mal à l’épaule. Je n’étais pas content pour lui bien sûr mais j’avais envie de lui dire, « bon enfin un peu à ton tour quoi. Ça fait une semaine que je suis sur les rochers, à toi de passer un peu à la table« . Heureusement rien de très grave.
SS : Tu as donc aimé l’endroit ?
KG : Franchement top. L’endroit était vraiment cool, les locaux sont super accueillants, très bon délire. De bonnes vagues mais ce n’est pas un spot facile donc si tu veux de la perfection ou un tube facile, il vaut mieux ne pas aller là-bas. Mais si tu as envie d’avoir peur, de te mettre un peu de challenge, de jouer un peu avec les risques et avoir de l’engagement, c’est un bon spot où aller.
SS : Estimes-tu avoir atteint tes limites lors de cette session ?
KG : Disons que physiquement ça allait, tu te fais sécher c’est sûr mais tant que tu n’as pas tapé la tête contre le reef, que tu n’es pas tombé KO ou alors que tu t’es fais garder sous l’eau trop longtemps, ça va. Quand tu es surfeur tu dois travailler cette capacité à t’adapter à n’importe quelle situation. Là, ça demandait cette aptitude, pour ne pas se laisser submerger par la panique. Je ne pense pas que le pire soit au niveau physique mais plutôt mental. Ce n’est pas la pire branlée que j’ai prise, c’est plus le spot, la session et le contexte général que le fait d’être tombé qui en ont fait une session particulièrement engagée.
Je suis arrivé avec entre 60 et 80% de mes capacités, dans le but de me retrouver. Sachant que j’allais dans un spot super engagé avec des doutes mentalement sur mon engagement après 4 mois passés au CERS et sur le canapé, forcément se retrouver dans des vagues de 3 mètres, dans des slabs, on est un peu perdu (rires). Autant j’étais habitué en fin d’année, ça ne me faisait plus grand-chose, autant au Chili je me disais « c’est chaud quand même ».
Grâce à ça, j’ai repris confiance en moi. Par contre je suis vert, on a eu un second swell à la fin du trip avec de bonnes vagues même si c’était plus pour des droites que des gauches. Les premiers jours j’ai eu de bonnes gauches mais pas la bombe. Mentalement je n’étais pas prêt, physiquement et techniquement pas assez sûr de moi, donc même si il y avait eu la bombe je n’aurais pas pu l’avoir, la scorer. En fin de trip j’avais pris en confiance et de l’assurance dans mon surf. Je savais que si la bombe arrivait, j’aurais pu l’avoir.
SS : Avec le recul est-ce que tu as une certaine appréhension maintenant, que tu n’avais pas avant ?
KG : Non. Chacun réagit différemment, moi je sais que je suis quelqu’un qui aime réagir quand je suis dos au mur. Je n’aime pas me laisser faire. Plus je suis dans une situation critique, plus je vais me surpasser. Plus je suis face au danger, plus c’est risqué, plus je me sens en vie. C’est quand c’est chaud que tu as le cœur qui palpite, qu’il y a de l’enjeu, que là c’est le « real deal« . Tu n’as pas le droit de plaisanter, c’est intéressant, c’est ça que j’aime. Tu peux vivre une situation intense et incroyable ou au contraire finir avec une cheville cassée ou avoir d’autres problèmes. Dans l’eau avec des grosses vagues comme ça, avec l’optique d’avoir la plus grosse, tu es obligé de débrancher le cerveau parce que si tu te poses trop de questions tu fais des erreurs mais il faut quand même réfléchir un minimum pour pas faire le con. Il y a de l’enjeu, c’est ta vie, ton corps.
Le point de vue de William Aliotti
Contacté par téléphone, William nous répond de l’aéroport de Singapour, en transit vers Bali où il fait un stop pour profiter des longues vagues indonésienne avant de se rendre en Australie pour un projet fou. Le Saint-martinois nous a raconté sa vision du trip au Chili, une destination qu’il affectionne particulièrement pour sa diversité de vagues et de paysages. À force de s’y rendre régulièrement, il commence à très bien connaitre les différentes vagues qu’on y trouve. Lors de ce trip, le focus a été mis sur le Nord du pays.
« J’ai beaucoup d’amis qui se sont fait mal là-bas, sur les cailloux » nous confie t-il. Autrement dit Kyllian est loin d’être une exception. « C’est une vague dangereuse on est proche du bord, elle n’est pas accessible et pas facile backside. Les directions de swell changent beaucoup, c’est une vague qui peut tourner vite au drama. C’est le Pipe chilien en quelque sorte » explique t-il. Sans parler de la mise à l’eau dans ce fameux channel presque inexistant, qui fait 1m50 de large, « tu ne sais pas où il est quand il y a la mousse » précise t-il « surtout qu’on était que deux à l’eau« . Au sujet de sa chute, où il s’est fait mal à l’épaule, William raconte : « le swell était plus Ouest l’avant dernier jour, les vagues se tournaient plus en droite, les gauches fermaient un peu plus, elles pinchaient. Il y a eu cette vague là où j’ai hésité et j’ai pris la foudre, je suis allé direct dans les cailloux. » Rien de grave pour autant, pour le surfeur déjà de retour sur la route.
Interview réalisée par Noé Le Mentec.