Est-il encore nécessaire de présenter Now Now, ce beau projet photographique lancé par le Sud-Africain Alan Van Gysen, véritable référence du surf en Afrique. Le photographe publie régulièrement des films d’une grande qualité, tant dans le fond que dans la forme. Il vient de travailler sur un nouveau projet vidéo, « Chasing the Unicorn« , en tant que directeur de la photographie, qui retrace l’histoire du surf au Mozambique juste après la guerre ainsi que la quête d’une vague mythique. Ce projet dresse également le portrait de toute une communauté. La « licorne« , que de nombreux surfeurs se sont mis à chercher au Mozambique après la guerre civile, est une magnifique droite de plusieurs centaines de mètres. Ces explorateurs au tempérament bien trempé, pionniers du surf dans le pays, évoquent les débuts du surf dans cette région d’Afrique de l’Est. Pendant ce temps, des images d’archives défilent, elles semblent tirées d’un rêve partagé par tous les surfeurs en quête d’aventure. Alan a travaillé main dans la main avec Will Bendix, qui a réalisé le film. Nous nous sommes entretenus avec eux sur leur travail.
Surf Session – Pourquoi était-il important pour vous de mettre l’accent sur la dimension historique du Mozambique ?
Will Bendix – Je pense que le conflit enduré par le peuple mozambicain pendant près de 30 ans a eu un impact direct sur le façonnement du pays et la vie de ses habitants. C’est pour cela que nous avons pensé qu’il était important de le mettre en avant. Un conflit qui a également eu une influence directe sur l’évolution du surf dans ce pays et explique pourquoi la culture surf locale du Mozambique est si récente, qu’elle commence à peine à s’épanouir. C’est ce que nous voulions montrer dans le film.
Surf Session – Comment avez-vous découvert le potentiel du surf au Mozambique ?
Will Bendix – Je pense que beaucoup de surfeurs sud-africains ont toujours été curieux du potentiel du Mozambique, mais ce n’est qu’à la fin du conflit, en 1992, qu’ils ont commencé à s’y intéresser sérieusement. Le search trip avec Tom Curren, Shane Beschen et Frankie Oberholzer (entre autres) a certainement été un catalyseur, mais personnellement, c’est le Gotcha Experiencia, un concours de surf spécialisé qui s’est tenu en 1998 à Ponto do Oura, qui m’a ouvert les yeux sur ce qu’offrait le Mozambique.
Le visage rayonnant sur la photo ci-dessus, c’est celui de Sung Min Cho, un jeune homme plein de talent. Il espère faire monter le drapeau rouge, jaune, noir et vert sur les plus grands podiums. Jordy Smith fut sa principale source d’inspiration, lui qui n’avait personne vers qui se tourner au Mozambique. Entre le manque de modèles, de structures et de matériel, rien n’a aidé les jeunes de la région à se mettre au surf, eux qui ne savaient au départ même pas nager.
Surf Session – Pourquoi avez-vous choisi ces surfeurs en particulier pour le projet ?
Will Bendix – Sung Min Cho est le meilleur surfeur du Mozambique et le seul surfeur professionnel du pays. Véritable ambassadeur de son pays, il aide à faire connaître le surf à la prochaine génération. Il fait le lien entre le passé et le présent du surf mozambicain, il fait partie intégrante de l’histoire, tout comme Julia Fernando. Eli Beukes et Brendon Gibbens, d’Afrique du Sud, sont d’incroyables surfeurs et tubes riders, des gars super sympas avec qui voyager. Nous voulions les impliquer dès le début. Après un état des lieux du surf au Mozambique l’autre objectif – et pas des moindres – était de réunir une équipe de surfeurs pour refaire un trip sur les traces de leurs prédécesseurs. On voulait montrer que la vague n’était pas qu’une légende urbaine. Et bien sûr, il y a Jordy, qui est à l’avant-garde du surf et de l’exploration du Mozambique depuis des années. La plupart des autres surfeurs qui apparaissent dans le film, comme Mikey February, étaient là pour les mêmes swells lorsque nous filmions et ont gentiment accepté de faire partie du projet.
Jordy Smith, véritable star du surf mondial originaire du pays voisin, a traversé pour la première fois la frontière en 2007 pour venir se frotter aux routes impraticables du Mozambique, dans le cadre d’un trip avec Surfer Magazine. C‘est sa femme qui l’a entraîné à revenir des années plus tard, alors qu’elle était dans un camping de la région et qu’elle a vu une vague au loin, qui pourrait plaire à son mari.
Les jeunes surfeurs qui donnent vie à la région sont partis de rien pour en arriver là où ils sont aujourd’hui, ce qui rend la réussite encore plus belle. Animés par un amour pur du surf, ils sont allés inlassablement à l’eau pendant toutes ces années. Un amour de la discipline qui a poussé Sung Min Cho à se lancer dans un projet qui dépasse le cadre sportif, aux cotés de Julia Fernando et du premier surfeur de Tofo, le spot le plus connu, Armando ‘Castro’ Nhambirre. Forgés par la débrouille, ils veulent désormais venir en aide aux jeunes de la région pour leur offrir un avenir encore meilleur. Le Tofo Surf Club a alors vu le jour sous l’impulsion de Sung Min Cho. Ses ambitions sont à la hauteur de sa passion : « Je veux voir le Mozambique sur la scène mondiale, aux ISA et aux Jeux Olympiques » confie-t-il.
« C’est une manière de garder les jeunes investis dans la vie autour de l’océan. Ils n’ont rien à payer, tout ce qu’ils ont à faire c’est aller à l’école. » Pour cela, le surf club s’est engagé à payer les frais de scolarité aux familles dans le besoin. Le rêve de Julia Fernando est de voir un grand groupe de femmes surfer. Elles sont encore largement minoritaires, mais cela n’a pas empêché la surfeuse de se faire sa place et de gagner le respect de la communauté. Elle transmet aujourd’hui son savoir aux jeunes avec Sung au Tofo.
Surf Session – La vague « The African Kirra » ne fonctionne pas souvent, était-ce un défi de réaliser ce film ?
Will Bendix – Absolument. Il nous a fallu deux ans pour trouver le bon moment, chasser une houle là-bas est toujours un pari. Heureusement, Ryan Ribbink nous a aidés. Si la vague déferle deux fois par an, on s’estime chanceux, elle est tellement capricieuse. Les prévisions changent littéralement d’une heure à l’autre. Le film dépendait de cette vague, qui fait le lien entre le passé et le présent et lors de notre première tentative, les vagues n’étaient pas celles que nous espérions. Nous n’avons même pas utilisé les séquences de surf de ce voyage. La pression était donc encore plus forte lors du second voyage. La houle a fini par chuter considérablement lorsque nous sommes arrivés sur place, mais la direction et le vent étaient bons, ce qui nous a permis de tenir pendant quelques jours. Ce fut un soulagement. Mais comme le dit Alan dans le film, nous n’avons pas encore vu la vague à son plein potentiel.
Surf Session – Ryan Ribbink a dit « ce n’est pas seulement une question de surf… » Quelle est la suite ?
Will Bendix – Le Mozambique a tellement d’autres choses à offrir, c’est ce que Ryan souligne dans le film. Il y a tellement de cultures, d’histoire et de merveilles naturelles à explorer. Ses habitants figurent parmi les plus accueillants du monde. Il y a certainement des vagues qui attendent d’être découvertes, mais Ryan est probablement la personne la mieux placée pour en parler.
Surf Session – Selon vous, jusqu’où peut aller le potentiel surf de l’Afrique ?
Alan Van Gysen – Ce continent a un énorme potentiel et c’est très excitant de le voir émerger depuis une quinzaine d’années. Nous avons un œil sur un récif qui ressemble à la version africaine de Teahupo’o ainsi que sur un autre sandspit qui pourrait donner le tournis. Il est tout aussi excitant de voir les différents surfeurs et communautés d’Afrique commencer à se mettre en avant. On a l’impression que les choses sont en train de bouger ici.
Surf Session – Vous êtes une véritable référence en matière de photographie en Afrique. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Alan Van Gysen – Je me sens privilégié et béni d’avoir eu l’occasion, au cours des vingt dernières années, de photographier l’Afrique, ses habitants et de partager cette expérience avec d’autres personnes dans le monde entier. Pendant longtemps, l’Afrique était considéré comme le « continent noir », mais aujourd’hui nous voyons de plus en plus de lumière briller et il y a des histoires incroyables à raconter et à entendre. C’est une période passionnante.
Surf Session – Aimeriez-vous continuer à explorer l’Afrique ?
Alan Van Gysen – J’aimerais certainement voyager davantage en Afrique. Il y a encore beaucoup d’endroits très intéressants que j’aimerais visiter avec des surfeurs qui ont l’habitude de voyager et tous ceux qui partagent cette même passion pour l’expérience et la communauté. L’Afrique est la dernière frontière (Ndlr idée que l’Afrique est le dernier des continents à avoir été exploré) et je suis très reconnaissant de vivre ici et de pouvoir en faire l’expérience.