Nombre de surfeurs et surfeuses porté·e·s sur l’écologie se trouvent bloqués entre l’amour de la glisse et les contradictions qui viennent avec. Comme pris en étau, entre la triste réalité de l’impact de leur sport sur l’environnement et une conscience écologique qui peine à trouver des solutions durables. Les voyages à l’autre bout du monde font partie de l’équation et il est de plus en plus courant de ressentir cette honte de prendre l’avion que nos voisins suédois appellent « flygskam ». Pour peu qu’on ait le temps et le courage, une alternative bien plus en phase avec l’océan se (re)fait une place dans la culture surf : le voilier.
Une lubie pour beaucoup, mais une réalité pour d’autres, le voilier remet également sur la table des réflexions souvent mises de côté du type : « Et si l’important dans un surf trip, ce n’était pas aussi le voyage ? ». En plus d’être un excellent moyen de se reconnecter à l’océan et à la culture surf des origines, le voilier est en mesure de transformer une vie moderne et confortable en vie d’aventure, en faisant au passage écho aux récits des premiers explorateurs. Prenons au hasard une nouvelle destination en vogue : le Sénégal, le voilier est-il une bonne ou une mauvaise idée ? Nous en avons discuté avec la Landaise Pauline Privat, tout juste revenue d’un surf trip au pays de la téranga.
Surf Session – Ce n’est pas la porte à côté. Quel était votre trajet pour ce surf trip ?
Pauline Privat – « Nous sommes partis de Séville. Premier stop à Madère où nous sommes restés dix jours avant de filer direction les Canaries, puis le Sénégal.
Surf Session – Vous avez opté pour ce mode de transport beaucoup plus lent que l’avion. C’est votre conscience écologique qui vous a poussé à vous lancer ?
Pauline Privat – En partie. On s’est dit que pour aller en Afrique, on pouvait vraiment éviter l’avion, mais on a surtout fait ça pour l’expérience. C’est lent, mais arriver par la mer permet de visiter des endroits inaccessibles aux voitures et aux autres touristes. C’est un énorme avantage, que ce soit pour accéder aux spots, mais aussi pour visiter. Moi qui suis plutôt du genre à vouloir tout visiter, tout voir, tout planifier, cette fois, c’était plutôt : on ne connaît pas, on ne planifie pas, on voit ce que ça donne et on improvise.
Surf Session – Est-ce que ç’a changé votre rapport au surf ?
Pauline Privat – Oui, déjà en ce qui concerne le matériel. D’habitude, on est tout le temps en train de chercher les meilleures vagues, regarder les prévisions. On part toujours avec deux planches chacun, car si on en casse une, il nous en faut une autre pour ne pas louper une seule journée de surf. À l’inverse, on s’est dit cette fois qu’on allait plutôt voyager léger, avec des planches qu’on allait laisser au Sénégal. On se disait clairement « si on surfe, tant mieux, si on ne surfe pas, ce n’est pas grave ». On était là aussi pour l’expérience, pour apprendre de nouvelles choses, apprendre à naviguer, connaître les vents, les nœuds, s’éloigner du surf trip que l’on fait habituellement. L’idée était également d’anticiper un trip en voilier à Tahiti et arriver avec des connaissances.
Surf Session – Alors est-ce que vous avez trouvé le temps de surfer ?
Pauline Privat – C’était assez compliqué. On s’est rendu compte que notre bateau n’était pas super adapté au surf. Quand tu cherches un mouillage, il faut forcément un endroit où il n’y a pas de houle, donc toujours à l’opposé des spots de surf sur les îles. À chaque fois qu’on voulait aller surfer, il fallait descendre à terre, louer une voiture et aller surfer de l’autre côté de l’île. Je pense que dans des îles comme la Polynésie, avec des lagons à côté des spots, tu peux plus facilement te poser. À Madère, le problème était surtout les falaises, il y avait trop de fond et on ne pouvait pas s’arrêter. Il y a toujours l’option de la petite annexe, mais il faut quelqu’un pour s’en occuper.
Surf Session – On imagine que le facteur humain pose aussi un problème ?
Pauline Privat – Oui, notamment pour ce qui est de rester trois mois avec quelqu’un que tu ne connais pas. Notre capitaine était un peu asocial, il soufflait toute la journée, ne nous parlait pas et l’ambiance était assez pesante sur la fin. Heureusement qu’il y avait l’autre couple avec qui on s’entendait très bien, mais sinon on avait l’impression de le faire chier. On était parti pour trois mois en plus, avec beaucoup de bateau, peu de surf et beaucoup de temps calmes.
Surf Session – Le temps, une sacrée contrainte, comment avez-vous géré cet aspect du trip ?
Pauline Privat – Il ne faut clairement pas être pressé. En mer, tu peux te retrouver sans vent, tu n’avances pas. Une transat ça peut durer deux semaines comme ça peut durer un mois. Il faut donc être large au niveau des dates, tu ne sais jamais si ça va durer plus longtemps que prévu. Mon copain Paul est prof de surf, il ne travaille que l’été, et moi, je bosse l’été dans une école de surf, l’hiver Serre-Chevalier, ça facilite les choses.
Surf Session – En parfaits novices, comment avez-vous vécu cette aventure ?
Pauline Privat – Une fois sur le bateau, le temps semblait vraiment suspendu. Je passais beaucoup de temps assise, allongée, à être malade ou à dormir. J’avais des quarts à faire et le reste du temps, je me reposais. C’est long parfois quand tu fixes l’horizon. Tu n’as pas de paysage, c’est toujours pareil, tu ne vois personne d’autre que l’équipage, mais c’est normal, tu es sur le bateau, tu avances doucement. On s’y attendait et ça me faisait peur perso, je suis plutôt du genre hyper active, mais j’ai été surprise de voir que, malgré tout cela, le temps passe très vite. On avait un catamaran qui avançait à la voile quasiment tout le temps et on a fait Séville-Madère en quatre jours, puis Madère-Canaries en deux jours et il nous aura fallu huit autres jours pour rejoindre Sénégal.
Surf Session – Comment avez-vous trouvé votre bateau d’ailleurs ?
Pauline Privat – Sur un site qui s’appelle vogueavecmoi.com, sur lequel on trouve beaucoup de capitaines qui cherchent des petites mains pour les aider à faire les quarts, à nettoyer, etc. Il y a des trajets qui sont gratuits, tu ne paies que la nourriture. Nous, on payait 30€ par jour, c’est cher par rapport à la moyenne, mais on avait un gros bateau suréquipé. Sur un petit voilier, tu ne paies pas autant. Nous avons trouvé en deux semaines. Nous avons fait un visio avec le mec et c’était validé. Aucun entrainement, ou très peu, nous sommes partis de rien. Ce n’est pas si compliqué finalement, c’est souvent la même chose et tout s’apprend vite.
Surf Session – Est-ce que tu t’es sentie en sécurité tout le temps ?
Pauline Privat – Alors, c’est assez étrange. Quand tu es dans les cabines du catamaran à l’avant, les parois sont assez fines et les vagues ont tendance à taper super fort d’un côté à l’autre. Tu te dis que c’est la tempête et que tout le monde va mourir, un vrai cauchemar. Mais quand tu vas dehors, sur le pont, tout est tranquille, même avec des vagues de deux mètres, le voilier avance et tout va bien. Les premiers jours tu flippes un peu, mais les suivants, tu te rends compte que c’est dans la tête et que ce n’est pas si dangereux. C’est donc assez accessible comme moyen de transport, il faut juste avoir le temps et la motivation. Avec Paul on ne connaissait rien et perso j’avais le mal de mer au début, je n’étais vraiment pas bien, mais les jours d’après ça allait beaucoup mieux.
Surf Session – Tu repartirais pour un autre surf trip en voilier ?
Pauline Privat – Oui, je repartirais volontiers, mais avec un capitaine qui aurait aussi envie de surfer, car on ne s’arrêtait pas forcément aux meilleurs endroits. Et avec une bonne bande de potes aussi. »
Quand l’avion mettra quelques heures pour vous transporter d’un point A à un point B, l’autre mettra plusieurs jours, voire plusieurs semaines. La différence est telle qu’on se demande même pourquoi on en vient à les comparer. Au nom de l’écologie ? Le choix vous revient. Il est surtout question ici de renouer avec une notion oubliée : les longs trajets, plus que jamais vecteur d’aventures humaines incomparables. Une chose que les aéroports ont magistralement réussi à effacer, même si Jack London nous le répète depuis bien longtemps : « Ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage. » Partir en voilier, c’est repenser la mobilité, mais c’est repenser son rapport au temps. Il est ici question de ralentir sérieusement, pour laisser plus de place à la surprise et à l’inattendu. Le risque est évidemment de s’exposer à quantité de galères, d’avoir moins le temps de surfer, mais c’est aussi une manière de redonner au surf trip ses lettres de noblesse et une connexion beaucoup plus large avec l’océan.
Article par Mathieu Maugret.