« J’ai aussi senti que j’étais la meilleure surfeuse ce jour-là, j’étais en confiance et ma connexion avec l’océan m’a parue très spéciale »
Son parcours a commencé jeune : Caroline Marks s’est qualifiée sur le Championship Tour à 15 ans, en 2017. Six ans plus tard, la Floridienne a décroché à Lower Trestles son premier titre mondial. Pour ce faire, elle a grimpé les échelons de sa 3e place au classement général à la première marche du podium, en remportant lors des WSL Finals un premier heat face à Caitlin Simmers, un second face à Tyler Wright et deux heats face à la numéro 1 à la sortie de saison 2023 : Carissa Moore.
Alors qu’elle avait manqué le début de saison 2022 pour des « raisons médicales », la résidente de San Clemente est revenue sur le Tour cette saison avec les moyens au niveau de ses ambitions. Parmi les résultats lui ayant permis d’appartenir au cercle fermé des « Final 5 » on compte notamment deux victoires sur le CT : la première au Salvador, la seconde à Tahiti. L’Américaine avait aussi atteint la finale à Sunset Beach et au Ranch, ainsi que les demi-finales à Margaret River et Rio.
Quelques semaines après son premier titre mondial, la surfeuse du team Roxy est revenue sur cette journée et son titre, mais aussi sur son année et son surf.
Surfeuses – Raconte-nous ton état d’esprit lors de cette journée et comment tu t’es sentie au fil des heures.
Caroline Marks – J’ai essayé de ne pas trop penser, je savais que j’aurais beaucoup de heats et mon point principal était de conserver mon énergie. C’était une houle cyclonique, ce qui est diffèrent pour Lowers donc je voulais voir les vagues et lire un peu l’océan. J’avais anticipé la structure de ma journée avec un horaire de lever, un free surf, le moment où je regarderais les heats ou non. J’avais même prévu mon petit déjeuner, même si j’etais trop nerveuse pour manger toute la journée (rires). Globalement j’étais très concentrée sur le processus et je ne pensais pas à la suite, j’étais dans le moment et c’est là où je suis la meilleure. Je suivais le flow, discutais avec mes coachs…
Avais-tu eu des conseils d’autres surfeurs sur cette journée spéciale et comment appréhender ce rythme particulier ?
J’ai parlé à Steph (Stephanie Gilmore, championne du monde 2022, ndlr) qui m’a écrit et m’a prévenue que ça allait très vite. Une autre chose que j’ai beaucoup entendue c’est que l’ensemble de l’année peut être ramenée à 35 minutes et j’avais ces pensées en tête, que le travail de toute mon année pouvait vraiment se résumer à ce premier heat, qu’il n’y avait pas de seconde chance. Pour être dans le top 5 il faut déjà avoir eu une très bonne année, tout le monde surfe très bien et tout le monde est en forme, ce sont les meilleures des meilleures donc j’étais très prête. Le premier heat est une finale et chaque heat est vraiment serré donc j’ai voulu apporter le meilleur de moi-même dans chaque heat car c’est ce qu’il faut pour gagner.
Y a t-il eu un moment où tu as senti que tu allais décrocher ce titre ?
Je pense qu’après le premier heat j’ai senti que j’avais pu lire l’océan et l’avantage d’avoir surfé une première fois est que tu as une meilleure lecture de l’océan que la prochaine personne que tu affronteras car tu as déjà eu un heat à l’eau. Après le premier j’ai gagné en confiance, même si c’est celui où j’ai eu le score le plus bas. Je savais que j’étais passée et j’avais identifié les changements que je pouvais apporter à mon surf, mon timing sur la vague notamment. Face à Tyler, j’ai eu l’impression de sentir que ça avait pris, que je savais quelles vagues prendre, que je surfais bien, tout me paraissait très connecté. Après ce heat j’ai réalisé que j’étais déjà au final match mais en parallèle je ne voulais pas trop m’avancer car j’affrontais Carissa Moore, elle est coriace donc je devais présenter le meilleur de moi-même. Mais j’ai aussi senti que j’étais la meilleure surfeuse ce jour-là, j’étais en confiance et ma connexion avec l’océan m’a parue très spéciale, j’étais dans un état de flow toute la journée, c’est super de ressentir ça, à chaque fois que ça a été le cas les choses se sont bien passées donc c’était bien (rires).
Ce titre, c’était ton rêve depuis tes 10 ans, qu’est-ce que ça fait de le réaliser 11 ans plus tard ?
C’était génial, je pense que ce qui a joué un gros rôle aussi c’est que San Clemente est aujourd’hui chez moi, il y avait toute ma famille et mes proches. N’importe où ailleurs dans le monde ma famille aurait été là mais je ne sais pas si tous mes amis et tout ce soutien aurait été là. Ça a joué dans le fait que c’était un scénario de rêve, d’avoir tout ce soutien et de voir tous mes proches après avoir gagné. C’était beaucoup d’émotion car je me disais “tous ceux que j’aime sont là pour me voir atteindre mon plus grand rêve et mon plus grand objectif”. Ce qui rend un parcours si spécial est de le partager avec les gens qu’on aime et c’est ce qui a rendu cette victoire dix fois plus spéciale. J’en ai des frissons car ils étaient tous là et c’était un si beau moment ! C’est en ça que le rêve est devenu réalité. C’est fou de se dire que quand on commence à surfer on a tous ces rêves et que plus de 10 ans après ils deviennent réalité, tu repenses à tout ce qu’il s’est passé, tout le travail que tu y as mis, c’est fou (rires).
« Nos parents nous ont élevé avant tout à être de bonnes personnes. »
Tu parles de ton entourage et de ta famille, peux-tu nous expliquer en quoi leur présence au quotidien t’aide à devenir la surfeuse que tu es ?
Ma famille est une grande part du chemin et une grosse raison pour laquelle j’en suis là aujourd’hui à accomplir ces objectifs. Une chose importante c’est que nos parents nous ont élevé avant tout à être de bonnes personnes, ils n’ont pas cherché à ce qu’on devienne des super-athlètes ou à faire des choses incroyables, ils voulaient qu’on soit bons à l’école et qu’on traite bien les gens, qu’on sache prendre soin de nous-mêmes et naviguer dans la vie. Je pense que c’est une raison pour laquelle j’aime tant le surf, car je n’ai jamais été forcée à quoi que ce soit. Mes parents voulaient qu’on soit actifs et pas sur les écrans, qu’on ait un mode de vie sain. Plus jeune, j’ai essayé tous les sports auxquels on peut penser et le surf est le chemin que j’ai choisi de prendre pour toujours. Ils m’ont poussée mais jamais de façon malsaine et j’ai beaucoup de gratitude pour ça, car je pense que c‘est l’une des raisons pour lesquelles j’aimerai le surf pour toujours, car je n’ai jamais été forcé à le faire. J’adore ça et ce n’était pas une tâche à effectuer, c’est quelque chose que je voulais faire. Ils ont joué un rôle majeur là-dedans et dans le fait de devenir qui je suis. On est tous très proches, ils ne voyagent plus autant avec moi qu’avant mais ils viennent aux échéances importantes.
Tu as eu un début d’année difficile en 2022, avec des problèmes médicaux qui sont venus avec leur lot de doutes. Qu’as-tu fais pour revenir avec le même niveau de plaisir à l’eau ?
C’est fou d’y repenser. Fin 2021 et début 2022 ont été les moments les plus difficiles de ma vie et maintenant je suis dans les moments les plus beaux. Durant cette période difficile j’ai eu besoin de déconnecter complètement, je n’ai pas beaucoup surfé, c’était difficile mais je savais que c’était la bonne chose à faire pour moi, pour guérir comme il faut. Depuis que j’ai commencé à surfer, tout ce que j’ai toujours connu c’est le fait de surfer tous les jours, la compétition, le voyage et vivre cette vie magnifique si spéciale. Mais parfois on peut le prendre pour acquis et ne pas l’apprécier pleinement et à sa juste valeur. Quand ça m’a été enlevé j’ai réalisé que je ne pensais jamais vivre ça. Je me retrouvais assise-là, à ne plus faire de compétition, à ne plus faire ce que j’aime et le feu que ça a allumé en moi était immense. J’ai pris un temps loin de tout ça parce que je ne prenais plus de plaisir. Je n’avais jamais eu ce sentiment et c’était très troublant car je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Prendre ce temps m’a permis d’apprécier le surf différemment et la joie que ça m’apporte. Pour moi c’est très thérapeutique, ma famille dit toujours “quand elle est en colère, donnez lui de l’eau salée, mettez lui un coup de spray au visage et elle se sentira mieux” (rires). J’ai eu ce feu en moi, je ne voulais plus me retrouver dans le noir et ça m’a permis de revenir plus forte. Maintenant je suis heureuse et en être là est une victoire en soi, je suis déjà reconnaissante pour ça.
As-tu mis des choses spécifiques en place à ton retour sur le Tour, dans ta routine ou dans ta façon de travailler, pour rester dans cet état d’esprit ?
J’ai travaillé avec un autre coach cette année. J’ai eu Mike Parson dans mon corner les premières années et je travaille maintenant à plein temps avec Luke Egan. Mike est toujours super impliqué et présent mais j’ai un autre coach et avoir une perspective différente a été très intéressant. Ce n’est pas tant quelque chose que j’ai changé dans ma routine, c’est plus propre à moi, j’ai dû traverser certaines choses pour réaliser quelles étaient mes priorités. Et j’ai réalisé que ce qui marche pour d’autres personnes ne marche pas forcément pour moi. J’ai pris plus confiance en moi, j’ai 21 ans et il y a des choses sur lesquelles je suis encore insécure, je travaille dessus mais je pense que j’ai trouvé cet espace où je peux faire comme je veux et être moi, car il n’y a qu’une seule moi. Rien que ça, ça a été quelque chose de super car j’ai mis du temps à atteindre ce stade.
L’une des choses qui ressort dans ton surf est la puissance de ton surf backside, qu’as-tu travaillé au cours de l’année en cours ou par le passé pour conserver cela comme un atout ?
Je pense que tout ce temps passé à l’eau m’a aidée, même si bien sûr le travail au sol aide aussi beaucoup. Regarder des vidéos et partir en surf trip pour surfer différentes vagues, changer de dérives et jouer un peu avec tout ça pour tester à quel point je peux pousser le plus fort dans la section la plus raide de la vague, ça permet de pousser son surf. Pour s’améliorer, il faut également beaucoup tomber, se pousser à l’échec pour identifier sa limite et ensuite se donner quelques mois pour réussir ces turns. Les conseils de Luke Egan et Mike Parson ont également été très utiles pour ma technique. Ce sont toutes ces petites choses qui m’ont menées loin.
Tu as été la “grom on Tour” pendant longtemps, et cette année des surfeuses plus jeunes ont rejoint le plus haut niveau. Tu termines avec le titre mondial comme pour confirmer que tu fais partie de cette nouvelle génération qui monte et cherche la progression du surf. Qu’as-tu envie de voir chez cette nouvelle génération dans les années à venir ?
Je pense que la nouvelle génération est sur la bonne voie, elle est super coriace. C’est fou car elle a grandi avec les piscines à vagues et tous ces outils qui vont accélérer sa progression. Pour ma part, dans les premières années je n’avais pas de piscine à vagues mais maintenant on a tout ça et je pense que la progression va être de plus en plus marquée. Avant tout mon envie est d’être un bon role model pour la prochaine génération, un modèle positif, c’est important. Les gens se rappellent comment on les fait se sentir et tu peux avoir du succès, mais si tu n’es pas quelqu’un de bien alors personne n’y portera d’intérêt. Je pense que c’est important d’être une influence positive, d’avoir un bon regard sur le monde, ça mène loin.
As-tu beaucoup fait l’usage des piscines à vagues, en tant qu’outil ?
Ces dernières années nous avons eu la piscine de Kelly sur le CT et Waco est plutôt fun. Je crois qu’il va y en avoir une nouvelle à Dubaï, il y en a de plus en plus, celle du Brésil a l’air géniale, j’adorerais y aller, donc oui c’est définitivement un bon outil d’entraînement. J’en ai testé quelques-unes mais j’aimerais en tester plus, des nouvelles, pouvoir m’entraîner davantage. Ça aide beaucoup, notamment pour les airs et c’est une partie de mon surf que je veux améliorer.
« Je pense que c’est important d’être une influence positive, d’avoir un bon regard sur le monde, ça mène loin. »
« Ce serait très cool d’avoir des gens de la maison sur le Tour ! »
Y a-t-il des surfeurs ou surfeuses que tu aimerais voir sur le Tour l’an prochain ?
Je sais qu’il y a des garçons et des filles de San Clemente qui sont proches de se qualifier donc ce serait très cool d’avoir des gens de la maison sur le Tour !
Note : Depuis cette interview, Crosby Colapinto, originaire de San Clemente, a décroché au Brésil sa qualification pour le Championship Tour 2024.
Quels sont tes projets pour la off-season ?
Je vais profiter de ce moment, faire pas mal de médias (rires) et j’aimerais partir sur un trip ou deux avec mes frères pour prendre de bonnes vagues et du bon temps. On ne sait pas encore où, ce sera last minute en fonction des houles. J’aimerais trouver quelques tubes pour travailler ça avant le début de la saison prochaine, on verra où cela me mène (rires). En novembre je retourne en Floride pour mentorer un surfcamp avec des filles, ça va être chouette, j’ai hâte.