Alors que l’île de Tahiti se prépare pour accueillir les Jeux Olympiques de Paris 2024, l’édification d’une nouvelle tour des juges inquiète la communauté locale et les amoureux de la vague de Teahupo’o.
Pour s’assurer que l’épreuve de 2024 puisse être retransmise en direct tout autour de la planète, le gouvernement de la Polynésie a commandé une nouvelle tour démontable, en aluminium. Le coût, d’abord estimé à 350 millions de francs pacifiques, a bondi entre autres du fait de l’inflation pour atteindre les 527 millions de francs pacifiques, soit 4.4 millions d’euros. Un tarif incluant les études et le marché de conception (réalisation des fondations, construction de la structure en aluminium, implantation des réseaux sous-marins d’électricité et d’eau et une partie technique sur la tour en électricité et plomberie).
Pour répondre aux exigences de Paris 2024, la Polynésie Française va donc chercher au travers de ce projet à produire une transmission d’images par fibre amenée depuis la terre par un câble sous-marin de 800m de long, lequel sera voisin d’une coque en fonte de 20 cm de large et 800m de long contenant un tuyau d’alimentation en eau, un tuyau d’évacuation des eaux usées, un câble électrique et un câble fibrique, reliant la tour en aluminium et le littoral. Dans un lieu encore préservé et alors que la compétition ne durera que 4 jours, ces mesures sont jugées excessives et nocives par les habitants, désireux de protéger la nature.
Échanges infructueux entre le gouvernement et les habitants de la presqu’île
En août dernier, la ministre des Sports Nahema Temarii expliquait à nos confrères de La Dépêche de Tahiti que son gouvernement avait “un contrat d’engagement avec l’État qui est censé permettre un cofinancement à 50 % » lequel n’a pas pu être tenu par ce dernier du fait de l’inflation et du rehaussement du « curseur environnemental”. Dans les faits, c’est aussi car il aurait été demandé “des études supplémentaires et une adaptation structurelle pour limiter l’impact de la tour sur l’environnement. » précisait-elle alors. « Par exemple, pour les fondations, il n’y aura pas d’excavation. On va rajouter des fondations cylindriques sur un espace sablonneux, ce qui permettra aussi à l’actuelle tour en bois de continuer d’exister. On ne va pas supprimer les anciennes fondations sur lesquelles la vie a repris ses droits”.
Pourtant, la réunion advenue en septembre entre la ministre et la population de la presqu’île n’a pas suffit à apaiser les craintes. Dimanche 15 octobre, plus de 400 personnes se sont réunies autour de l’association Vai ara o Teahupo’o pour exprimer ses inquiétudes et s’opposer à la construction de cette tour au travers d’une marche pacifique. Le message y était clair : « OUI aux JO, mais pas dans la démesure et le non-respect de l’environnement et des habitants, surfeurs, touristes qui aiment cet endroit et qui cherchent avant tout à préserver cette terre, le lagon et la vague« .
De nombreuses inquiétudes pour les habitants, soucieux de la préservation de la nature
Le collectif déplore notamment l‘absence d’étude d’impact environnemental préalable, qui aurait pu permettre une évaluation des risques encourus par la biodiversité marine, mais aussi le manque de préconisation aux entreprises devant effectuer les travaux sous-marins ou encore l’absence d’assurance sur la possible invasion par la ciguatera (algue toxique qui empoisonne le poisson et le consommateur, dont la présence est souvent constatée à la suite de travaux d’aménagement marins). Enfin elle souligne qu’aucune obligation de surveillance et de suivi des impacts environnementaux n’a été prévue.
Les 12 plots sous-marins en béton armé maintenus chacun par 3 à 6 micropieux métalliques enfoncés à 4 mètres de profondeur dans le platier corallien mentionnés dans les échanges inquiètent, tout comme cette canalisation sous-marine qui devra traverser un lagon à l’accessibilité réduite, dû à la faible profondeur de l’eau et à la présence de très nombreuse patates de corail qui risquent d’être anéanties. Et quid des barges porteuses d’engins et de matériel faisant des allées et venues sur le lagon ? Quel impact sur la biodiversité lagonaire ?
Enfin pour le surf, le perforage nécessaire à l’installation des micros pieux soulève aussi la question de la fragilisation du récif et par ricochet de l’effondrement à court, moyen ou long terme de la faille à l’origine de la formation de la vague de Teahupo’o.
Beaucoup de zones troubles sont ainsi invoquées par le collectif, qui déplore le manque de réflexion sur ce projet, questionne son interêt et remet en doute les « ambitions environnementales » de Paris 2024. Dans son discours, l’entité précise en effet vouloir s’appuyer « sur 95% de sites déjà existants ou temporaires » et de faire « le choix de la sobriété » en construisant moins pour « réduire considérablement l’impact carbone et permettre de célébrer toute la richesse architecturale française ». Si la sobriété et la préservation de la biodiversité sont ainsi mises en avant dans les discours, pourquoi ne pas faire usage de la tour en bois fonctionnelle présente à Teahupo’o ? Une question soulevée par le collectif, qui cherche à faire entendre sa voix.
Des solutions proposées
En face des options étudiées par le gouvernement, les habitants de la presqu’île proposent donc des solutions plus adaptées au lieu et plus proches de la réalité du terrain. À commencer par l’utilisation de la tour en bois actuelle, qui a fait ses preuves en matière de solidité et d’efficacité depuis plusieurs années, même lors des grosses houles et sur des compétitions internationales. Mais aussi en proposant l’usage d’une alimentation photovoltaïque par centrale flottante (ou par groupe électrogène couplé à du photovoltaïque), une utilisation du wifi pour les transmissions d’images, l’usage de toilettes sèches sur la tour, la réduction à 25 personnes du nombre de personnes à bord de la plateforme des juges et un positionnement des journalistes et officiels à terre sur une plateforme surélevée.
Une action collective qui prend de l’ampleur
La marche pour Teahupo’o des opposants à l’installation de cette tour a levé le voile sur un sujet qui demande toute l’attention de la communauté surf. Dans la nuit, le surfeur local Matahi Drollet a lancé sur les réseaux sociaux une pétition largement relayée, demandant le soutien de la communauté surf dans les inquiètudes concernant la préservation de la vague de Teahupo’o et de son écosystème. La pétition a réuni près de 20 000 signatures en moins de 24h tandis que nombre de surfeurs professionnels l’ont relayée sur leurs réseaux sociaux, de Gabriel Medina à Koa Smith en passant par Shane Dorian, Barron Mamiya ou encore Kelia Moniz, Laura Coviella et Justine Dupont.
Image à la une : © Thomas Bevilacqua / Article co-rédigé avec Romuald Pliquet – photographe de surf
Protégeons la barrière !!!