Jade Magnien a 21 ans et évolue depuis plusieurs années sur le circuit QS européen. En parallèle, la Landaise dont nous faisions le portrait en 2020 évolue entre ses études et des surf trips pour profiter de sa passion en free surf. C’est lors de l’un de ces voyages qu’elle s’est lancée sur l’une des plus belles vagues de sa vie. Une « session engagée » en Indonésie qu’elle nous a raconté en détails au mois de juin dernier.
Raconte-nous Jade ! Où et quand a eu lieu ta « session engagée » ?
C’était aux îles Mentawais, sur une vague qui s’appelle Lance’s Right, en juin 2022. Je ne connaissais pas du tout les Mentawais mais c’était mon rêve d’y aller depuis gamine. J’avais eu des opportunités pour y aller par le passé mais je n’avais jamais pu les saisir, entre mon bac de français ou encore le COVID. Et puis est venue l’année dernière, j’étais en Indonésie avec Charly Quivront et Leo Fioravanti et j’ai eu l’opportunité d’aller scorer cette vague.
Je ne me rappelle pas des forecasts précis mais je dirais qu’il y avait 3m, peut-être 3m50 à la série et surtout un max d’énergie, c’était un swell costaud et attendu.
Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette journée ?
Les garçons m’avaient prévenue que c’était un vague incroyable, qu’on risquait de l’avoir comme elle n’avait pas été depuis longtemps. Ils m’avaient dit aussi que c’était une vague super simple pour faire des tubes mais ça, pour dire la vérité de suite, ce n’est absolument pas le cas (rires).
On est resté une semaine dans la villa en face du spot et on a eu de la chance car le swell est monté crescendo. Les premiers jours c’était assez petit, il y avait 1m-1m20 donc c’était top pour se mettre dans le rythme et essayer de faire des tubes. Puis le swell a augmenté, donc la pression aussi. Les garçons m’ont de plus en plus motivée aussi, ils m’ont dit « si tu veux la vague de ta vie Jade c’est dans les deux prochains jours que ça va se jouer » et c’est clairement ce qu’il s’est passé.
Parle-nous de ta vague ce jour-là !
J’ai eu de supers conseils des garçons, qui m’ont dit de venir avec eux au peak. J’étais une des seules filles à l’eau. À un moment donné ils m’ont dit « la prochaine elle est pour toi, si tu ne la veux pas tu nous le dit mais sinon c’est la tienne, même si c’est la bombe de journée, si tu pars elle est pour toi« . La vague est arrivée, ils m’ont dit « c’est le moment » et je suis partie.
Je suis partie, j’ai fais mon take-off, je me suis mise dedans. La vague m’a tellement prise… elle m’a enroulée carrément. Dans ma tête rappelle m’être dit « je n’ai jamais vu une vague aussi parfaite, aussi grosse, c’est juste hallucinant« .
Je me suis faite défoncer et je ne suis pas sortie du tube mais j’étais scotchée de tant de beauté, je n’avais jamais vu de vagues aussi magnifiques. À la fin j’ai été sonnée, j’ai tapé le reef avec le dos et j’ai eu envie de vomir sur l’heure qui a suivi mais c’était incroyable, je le referai pour n’importe quoi.
Après ma vague, le photographe sur le bateau m’a dit qu’il allait engueuler Léo et Charly car pour lui c’était impensable qu’ils m’envoient sur une vague aussi grosse que ça. Je lui ai dis que c’est moi qui l’avait voulue mais il ne voulait rien entendre en pointant du doigt la bouffe que j’avais prise, car il avait bien vu que c’était trop gros pour moi (rires). Le soir on en a tous discuté et les gars ont dit que j’avais pris la décision de partir, ce que j’ai confirmé: moi j’étais trop contente. Le meilleur trip de ma vie.
Quel était ton état d’esprit juste avant cette session ?
J’étais assez stressée car je n’avais pas vraiment de technique en tube. Pour être cash j’avais les couilles mais je n’avais pas la technique (rires). J’ai posé le cerveau franchement, j’étais simplement concentrée sur l’idée de prendre la vague de ma vie. J’ai bien bouffé le reef aussi car je m’y suis essayé à plusieurs fois avant d’avoir cette vague. Je me suis mis énormément de pression à me dire « je suis aux Mentawais, il faut que je sorte le barrel de ma vie ». Finalement je ne l’ai pas sorti donc j’étais assez frustrée là-dessus mais ça a été une superbe expérience. J’étais trop contente, simplement d’avoir des visions comme ça : j’étais entourée de bleu, c’était incroyable. Je n’ai pas les mots en fait, même un an après je n’ai toujours pas les mots. On le voit même à ma tête sur la photo en zoomant, je suis choquée de la beauté et de l’épaisseur de cette vague.
Et après, tu t’es sentie comment ?
Comme j’ai tapé le reef, je suis sortie dans le chenal jusqu’au bateau du photographe car je n’étais vraiment pas bien. J’étais sonnée mais je me suis dis « écoutes Jade, tu ne vas peut être vivre ça qu’une seule fois dans ta vie des vagues comme ça. T’y retournes, c’est pas une nausée qui va t’arrêter« . J’avais quand même en tête que si je tapais la tête ou prenais un KO, je pouvais me noyer et dans ces moments-là forcément on a une pensée pour les parents, mais j’ai rationalisé en me disant que j’allais tout faire pour qu’il ne m’arrive rien de grave et j’y suis retournée.
J’y suis resté jusqu’à la nuit noire parce que c’était juste magnifique. Il fallait vraiment faire attention car j’avais déjà pris de sacrés coups les premiers jours, j’avais tapé le pied et un peu partout. Le soir j’étais hachée mais je suis retournée à l’eau le lendemain, c’était plus petit. Par contre, je suis rentrée en France en morceaux. J’ai été voir l’ostéopathe : j’avais le bassin, l’omoplate et les côtes déplacées.
Où est-ce que tu te situais par rapport à tes limites Ont-elles évoluées depuis ?
Je pense que je n’avais pas de limite parce que je ne les connaissais pas. Je sais que sur cette session je les aient complètement dépassées. Je me blessais le matin, l’après-midi j’avais des blocs de glace dans le dos et le soir je repartais surfer. Mon corps me disait stop mais ma tête n’avait pas de limite. Je n’avais jamais vu ça avant et on aurait pu me couper un membre que j’aurais été à l’eau quand même. C’était tellement incroyable de voir de telles vagues.
La limite aurait pu commencer à se poser en constatant les douleurs physiques qui ont suivi mais c’est surtout le carton que j’ai pris en jet-ski l’hiver suivant qui m’a appris qu’il fallait que j’y aille pas à pas et que j’avais des choses à mettre en place pour arriver et surfer de grosses vagues en étant sereine dans ma tête.
Je dis ça car que ce soit la session aux Mentawai ou celle à Belharra je n’avais pas peur, sauf que quand tu n’as pas peur, tu n’as pas vraiment de limite, à part la douleur physique. Depuis l’accident je sais qu’il faut que je réfléchisse à deux fois parce que l’océan est bien plus fort que nous. Tu peux poser le cerveau et ne pas avoir peur mais l’océan te rappellera toujours à l’ordre pour te dire « eh poulette c’est moi qui commande« . Aujourd’hui je pense que je ferais les mêmes choix dans le sens où je serais à l’eau, mais à l’époque je n’avais pas voulu mettre de gilet d’impact ou de casque alors qu’aujourd’hui je les porterai. Je ne mettrai plus autant la sécurité au second plan et je tâcherai de penser aux conséquences.
Il y a donc eu un avant et un après cette session ?
Oui, après cette session j’ai vraiment compris que les grosses vagues c’était un domaine que j’aimais beaucoup et dans lequel je voulais performer. Du coup en début d’année 2022 j’ai acheté mon propre jet-ski. Malheureusement j’ai eu un accident de jet-ski cet hiver et je suis restée bloquée, blessée pendant 3 mois, mais j’ai quand même surfé Belharra une fois et j’ai adoré. Je sais maintenant que les grosses vagues ça va faire partie de ma vie.
