« Session engagée » : Patrick Beven raconte une chute qui aurait pu lui coûter cher

"J'ai senti comme un coup de couteau sous l'eau. Direct. Ma jambe s'est de suite endormie, je ne la sentais plus."

18/11/2024 par Maia Galot

Après les derniers récits de « sessions engagées » de Matt Etxebarne, Antonin de Soultrait, Kepa Acero ou encore Maud Le Car, c’est au tour de Patrick Beven de nous raconter la sienne. Pour l’exercice, le surfeur a choisi une session à part. Pas forcément la plus grosse ni en terrain hostile mais bien à domicile sur un spot qu’il connait, dans des conditions qu’il a surfées plus de fois qu’il ne peut les compter. L’occasion de rappeler pourquoi le surf est caractérisé de sport extrême.

Raconte-nous Pat ! Où et quand a eu lieu cette « session engagée » ? Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette journée ?

Je dirais que c’était il y a 4 ans. C’était une session au VVF à Capbreton, un jour où il y avait de la houle. Il devait y avoir 2m-2m50. En général au VVF, c’est très près du bord, c’est un peu shorebreak, entre shorebreak et outside. C’était très très creux donc si tu te plantais au take-off il y avait des chances de soit taper le fond, soit se prendre la planche si tu n’étais pas suffisamment décentré.

Ce moment est arrivé en « milieu » de session je dirais. J’avais déjà fait quelques bons tubes, la marée descendait, ça devenait de plus en plus creux, les take-off étaient très engagés et très rapides. Comme il y avait quand même de la houle, c’était compact au pic et du coup il ne fallait pas se planter. Soit on prenait les vagues plus tranquilles, soit on attendait les grosses pour partir sur les grosses et sur celles-là il n’y avait pas d’eau, il y avait de quoi toucher le fond, se faire mal.

Parle-nous de la vague ?

Je suis un mec très sélectif donc j’attends beaucoup, je peux attendre 1h-1h30, je suis très patient. J’attendais cette vague depuis un moment. Il y en a une ou deux qui sont passées, je les aient regardées mais je n’ai pas trop connecté avec. Au bout de 30 minutes, cette vague est arrivée. Une grosse vague de série du coup je suis parti. Je me suis calé dans le tube, c’est là qu’elle a bougé. Il n’y avait pas d’eau, le take-off était très engagé. Dans le tube, je n’ai pas pu contrôler, le foamball est rentré sous la planche, m’a fait danser, j’ai essayé de tenir et je ne sais pas ce qu’il s’est passé exactement mais je suis tombé. Je n’ai pas pu contrôler en fait. J’ai senti comme un coup de couteau sous l’eau. Direct. Ma jambe s’est de suite endormie, je ne la sentais plus. J’ai senti de suite qu’il y avait quelque chose de grave. J’ai regardé ma combinaison sauf qu’avec la combi on ne peut pas trop voir, mais j’avais très mal à la jambe. J’ai vraiment senti comme un gros coup de couteau et en fait c’est la dérive qui m’avait heurté dans la jambe.

Si j’avais été seul ça aurait été dangereux, si j’avais été loin du bord j’aurais galéré aussi. La chance que j’ai eue, c’est que j’étais très près du bord. J’ai eu la chance de pouvoir me laisser porter. J’avais quand même très mal et la jambe endormie, je pense que le sang s’est vidé pas mal et très vite. Je me suis mis sur la planche et je me suis laissé porter. Quand je suis arrivé sur le bord, j’ai eu de l’aide. Les gens sont arrivés direct. C’était une chance que les vidéastes et les photographes soient tous au bord et soient vite arrivés. J’ai à peine pu poser le pied sur la plage. La zone a bien gonflé, j’avais une grosse bosse bizarre, un énorme hématome. J’ai eu la chance de vite être amené à l’hopital, où ils m’ont fait des points internes et externes. Ça a touché dans le muscle, très profond, mais j’ai vraiment eu de la chance de ne pas toucher une artère comme certains surfeurs qui se prennent un coup de dérive ou de nose et là si tu ne vas pas vite…

Mentalement, comment as-tu réagi sur le moment ?

J’ai flippé parce que je voyais les sets entrer derrière. Moi j’étais entre deux. La chance que j’ai eue, c’est que comme j’avais avancé pas mal dans le tube, j’étais près du bord. Quand j’ai senti ma cuisse s’endormir très vite, je me suis de suite dis que j’avais une jambe en moins, que je ne pouvais pas la bouger et que donc ça devait être très grave. Je me suis dis qu’il fallait que j’aille vite au cas où c’était une artère.

Patrick Beven lors d’une autre session © @calao_gilles
Patrick Beven lors d’une autre session © @calao_gilles

T’es-tu rétabli vite physiquement ?

J’ai dû attendre un moment pour cicatriser, notamment à cause des points internes. Mais voilà (rires) j’ai attendu au maximum, 3 semaines il me semble, mais j’ai re-surfé assez vite car on a eu des vagues sur cette période. C’est le métier. L’hématome est resté un moment et j’avais mal au muscle mais la sensation d’endormissement est passée au bout de deux jours. J’ai pu recommencer à poser le pied à ce moment-là et ensuite ça a été.

Avant cette journée, quelle était ta perception du risque d’accident ?

Le surf c’est un sport extrême donc ça peut arriver n’importe quand. Il y a beaucoup d’accidents dans le surf, même si on ne les voient pas toujours. Ce n’est pas que de la noyade : une planche c’est très dangereux, il y a les dérives, le nose, le risque de se la prendre dans la tête, on peut faire un black-out… Un surfeur sur deux s’est déjà pris un coup comme ça. Pour ma part j’ai déjà eu tous les accidents possibles : un longboard dans l’arcade, des coups de dérives, des risques de noyades. Tout est passé mais je touche du bois car ça fait partie du métier. C’est comme ça, on est surfeur ou on ne l’est pas et comme on dit : « only surfers know the feeling« . Il faut être là pour passer par ça. On ne peut pas anticiper ces accidents car on cherche toujours la perfection. Tu te mets dans les endroits les plus difficiles donc tu frôles ces moments-là en permanence.

Il a t-il eu un avant et un après cet accident dans ton surf ?

L’accident reste toujours en tête. Quand je rame sur une vague très creuse ou que je me retrouve à peu près dans cette image, j’y pense. J’essaie de la sortir car ce n’est pas bien de la garder en tête mais je me dis que ça peut arriver à nouveau, j’y pense souvent.

Le conseil que j’ai à donner aux surfeurs, qui surfent ce genre de vagues, c’est de mettre un nose guard. C’est quelque chose qu’on a arrêté de mettre mais je crois que ça peut aider. Moi je crois que c’est la dérive qui m’a touché, mais couvrir le nose c’est déjà un risque en moins.

© Images de une et carousel 2 : @calao_gilles / carousel 1 : Jean-Marc Amoyal / portrait surf action : @calao_gilles / portrait : @warm.in.cold.water


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