Plus d’un an.
Plus de 365 jours sans un surf trip. Des mois passés à observer le quotidien se transformer petit à petit, et voir le cliché du surf marketing « dream job » se déliter doucement… Jusqu’au sursaut : ne plus attendre que les frontières tombent, ne plus espérer que les restrictions s’allègent, et prendre la route pour reposer le pied sur le terrain, ramer au line-up, au cœur de cette passion.
Des mois déjà que l’on parlait d’enfin venir au contact de la culture bretonne, que l’on planifiait doucement le projet, que l’on mettait en perspective les options, pour enfin fixer les choses et se retrouver à 5h du matin en ce mois de mars en compagnie de Justin Becret et Bastien Bonnarme. Direction le Nord ouest français. Boîtiers, caissons, optiques, palmes, wetsuits, nouvelle collection, boards, sacs, ordinateurs et smart phones, mais évidemment chaussons, gants et cagoules pour compléter l’armure bretonne. Sans cliché.
L’imaginaire celtique est fort : des paysages aux sensations, de la réputation d’un peuple engagé aux mystères d’une côte aussi découpée, il semble que le pays breton ne laisse jamais indifférent. Un pays de mer, de marins, de fronts météo rugueux, de forêts magiques et de roches acérées, au milieux desquelles se dressent des vestiges architecturaux millénaires. Villages, ports de plaisance, flottes de pêche colorées et digues brutalistes… On pourrait décrire le cadre des heures durant.
Cette richesse nous ramène par ailleurs vite à la réalité : sans un guide, difficile de choisir un chemin.
Après 10h de route et quelques détours au fil des conversations animées avec la petite équipe, on arrive à bon port en suivant les indications de la légende locale : Ian Fontaine. Bonnet de marin sur le crâne, ciret bleu marine sur les épaules, et un grand sourire en guise d’accueil, Ian sait recevoir. Le Breton est né et a été élevé ici, et malgré une carrière internationale au fil des swells, il n’a jamais quitté son pays natal. Ce qui en fait un surfer pro à part, doté d’une ouverture d’esprit et d’un regard réfléchi sur le monde, mais aussi doté d’un niveau de surf qui l’a emmené au 4e rang mondial ISA, en plus de posséder un ancrage culturel indiscutable. Il n’existe en effet ici pas un seul spot où il ne connaisse pas plusieurs locaux… Si la Bretagne était une commune-surf, Ian en serait le maire.
A ses côtés, Gaetan Duque, jeune photographe et vidéaste qui se joindra à nous pour compléter la travail et nous accompagner dans cette exploration de l’ouest.
Pointe du Raz, Ile Vierge, Crozon, La Torche, Pont-Croix... Bandes de sable blanc bordées d’eaux cristallines, plateaux de roches grises, forêts de pins maritimes et petites routes sinueuses deviennent en quelques heures une suite de tableaux détaillés aux couleurs aussi variées que contrastées. On arpente le pays de 6h à 20h jour après jour, et on prend petit à petit conscience de ce dépaysement si agréable, de cette invitation à découvrir la prochaine baie avec toujours l’espoir de tomber sur un pic magique. L’équipement est essentiel, comme pour toute aventure. Couvert d’une 5/4mm cagoule, les mains dans des gants et les orteils au chaud enrobés de 5mm de neoprène infusé de graphène, Justin est aux anges : les line-ups sont beaux, et les points de vue depuis les peaks sont à couper le souffle.
Pendant qu’un chalutier rentre au port avec sa traîne de mouettes en mouvement toutes attirées par la pêche du jour, Justin est assis au pic, entouré d’Aurélien Buffet (surfer pro breton), Davo (bodyboarder engagé) ou encore Gabriel Abiven, l’étoile montante du coin. A chaque session, son lot de spécificité : une mise à l’eau chirurgicale, un phoque qui sort la tête, une marche de plusieurs dizaines de minutes ou un parking de surfeurs en van qui observent le swell se mettre en place. Un avantage pour l’équipe : la science du surf breton que nous livre Ian, au compte-goutte évidemment car les secrets sont précieux.
Entre le jeu des vents, marées et orientations multiples, la Bretagne ça se gagne. Tout ça en tenant compte du respect de la communauté locale et de leurs line-ups bien préservés des foules, un élément crucial à prendre en compte afin de maintenir un équilibre essentiel à la magie celtique.
Modeste, performant, à l’écoute, observateur et éveillé dans son approche du surf trip, Justin détonne clairement dans le monde du surf. Troisième mondial WSL pour finir sa carrière Pro Junior en 2019, le Landais s’impose deux entraînements physiques par jour, passe le plus de temps possible dans l’eau et se frotte à une grande variété de vagues. On l’a vu à 16 ans sous un Jaws de 8m, en Irlande casser des guns, ou encore aux trials du Pipe Masters à deux reprises, sans oublier Belharra en tow-in et les innombrables tubes mis en banque à la maison, à Tahiti, ou plus récemment au Costa Rica et aux Açores… Tout cela en ne lésinant pas du tout sur un air game puissant.
C’est donc avec cette expérience déjà si riche que Justin redécouvre les vagues bretonnes, se remémorant au passage sa victoire lors du Pro Junior de la Torche en 2018. Une expérience qui lui a permis de pousser quelques gamins au pic comme le jeune Gabriel Abiven, qui a profité de ces quelques jours en compagnie du champion pour accumuler de l’expérience et monter à bord de ce qui devient un surf trip à la maison.
Derrière les objectifs, capturant l’énergie et l’ambiance de la mission, du lever du soleil au couvre-feu encore en place pendant ce trip, Bastien Bonnarme documente l’aventure en pays bigouden, accompagné du local Gaetan Duque. Avec pour mission de shooter une large sélection de produits pour le côté moins glamour du trip, les clics retentiront plus de six mille fois en 4 jours…
Dans un contexte aussi tendu où les voyages et les budgets ont été réduits au strict minimum, les professionnels de l’image surf subissent de plein fouet les conséquences d’une crise sans précédent. Cette mission est donc aussi une bulle d’oxygène autant pour notre équilibre mental à tous que pour l’aspect professionnel qu’elle comporte. Et les paysages escarpés de cette côte ancestrale font leur effet. Mondialement reconnu pour son aisance à l’eau et fort de quelques clichés historiques autour du monde, Bastien prend tout autant de plaisir à diriger notre surfer-mannequin qui portera les couleurs de la prochaine collection Adventure Division’ de Billabong.
Entre 2h à l’eau par 2 degrés pour capter quelques images et la veille permanente pour ne pas rater un arrière-plan iconique du pays, Bastien a le boîtier à l’épaule quand il n’est pas dans ses mains. Pendant ce temps, le local Gaetan fait son travail avec l’éclairage local. Un angle, un sentier, des roseaux, un travelling ou l’action depuis la plage, le fan d’argentique complète le travail d’une part, et les nombreuses conversations qui mobilisent les opinions d’autre part : CoVid, sexisme, politique et culture… le crew profite des longs trajets entre spots pour échanger, se reposer ou simplement observer cette Bretagne qui nous envoûte.
Le héro du trip : la Bretagne. Malgré un pan entier de l’expérience impossible à vivre en raison des restrictions imposées, les jours défilent et il devient impossible de retenir tous les noms de lieux croisés. Pas de crêperie ouverte, pas de bar… mais un bout de baguette partagé sur le quai du port par un local chaleureux, une conversation devant un pic sur un rocher, des bonjours par centaines, quelques locaux méfiants à l’apparition des objectifs et des stickers aussi, des jeunes surmotivés malgré l’eau froide, des tubes, des carves, des airs, des gauches et des droites, le 29Hood crew, des églises de granite, des hangars de pêche, des épaves, des lagunes turquoises… En quelques mots : le trip de la diversité sur tous les plans.
Davo, Aurélien, Robin, Clément, Ian, Gaëtan, Pierrot, Gabriel et tous les autres… Merci pour le surf. Merci pour l’accueil. Merci pour la découverte. Quelques heures de route et la sensation d’avoir traversé les mers, d’avoir découvert un territoire préservé et d’être revenu à ce qui continue de nous émouvoir plus que tout : l’ailleurs et les autres.
Pourvu que ça dure.
Les photos du trip