Puerto Rico, 6 novembre 2010, Kelly Slater monte sur le podium du Search Rip Curl Pro. L’attend là, pour la dixième fois de sa vie, le trophée du titre de champion de monde. La joie est certaine chez le Floriden, mais en même temps ses yeux se remplissent rapidement de larmes. Il retient celles-ci et au micro dédie son dixième titre historique à Andy Irons. La sincérité du geste replonge l’audience dans l’émotion troublante qui traverse le monde du surf, à Puerto Rico comme partout ailleurs, depuis l’annonce, quatre jours plus tôt, de la disparition de l’Hawaïen triple champion du monde.
Comme toute mort qui emporte jeune, on dénie à celle-ci sa brutalité soudaine. On ne veut pas y croire. Victime de la Dengue sévissant à Puerto Rico et des complications liées au virus, Andy Irons s’est éteint, seul, à 32 ans dans un hôtel d’aéroport à Dallas. Pourquoi dans un hôtel et non pas soigné dans un hôpital ? L’enquête du fait divers n’est pas de notre ressort. Stupide, sordide, la vérité de cette disparition impromptue n’a désormais de noblesse que dans le regard que nous, surfeurs, portons sur l’Hawaïen. Et aussi forte qu’est la désolation de le savoir en d’autres cieux, réelle est l’unanimité à reconnaître en Andy Irons un surfeur comme jamais.
Chacun a ses photos, ses vidéos, ses souvenirs d’Andy en action et nul ne peut être insensible à ce qu’il a donné à voir du surf, par son surf. Quelque chose de propre à lui, d’inatteignable par les autres, de réellement sublime dans l’étincelle d’une fulgurance, cette fulgurance qui semble avoir été, dans les vagues comme dans la vie, la constance, à la fois merveilleuse et épuisante, d’Andy Irons.
Elevé au rythme aléatoire et caverneux des vagues de Kauai, forgé dans la rivalité avec son frère Bruce et en en tirant sa force d’aîné, Andy Irons, l’intrépide, a su par le surf et dans le surf exprimer son être “supérieur”. En cela il a été bien sûr aidé, attisé par Kelly Slater à qui il a su, malgré sa fougue, tenir tête pendant trois ans d’affilé. La joute entre les deux hommes, au début des années 2000, a souvent été narrée sous l’angle de la difficulté de Slater à recouvrir sa suprématie mondiale et de la nécessité du Floridien à rebooster sa technique. Mais la réciproque est tout aussi notoire, comment le retour de Slater a armé le surf d’Andy Irons.
Ces années-là, les années de gloire d’Andy resteront parmi les grandes de l’histoire du surf. Pas uniquement en terme de compétitions, mais par l’éclat du surf dégagé, des vagues surfées. Face à l’ampleur des gestes et à l’inépuisable ressort d’énergie propres au style de Slater, Andy Irons est celui qui glisse son mouvement en félin pour mieux poser son corps dans l’épure de vague. A l’acrobatie de Slater, à la fluidité de Parkinson, aux virevoltes de Burrow, à l’accélération de Fanning, Andy Irons répond par la trajectoire, que les 4 nommés ont bien sûr, mais pas au niveau et à la précision d’Andy.
Une trajectoire instinctive, animale mais touchant aussi à l’art martial tant on n’en voit pas les appuis dans la calligraphie des manoeuvres enchaînées. Un surf sur la pointe du pinceau, du couteau, la vague offrant à Andy Irons un royaume et une tempérance à sa puissance d’artiste, par ailleurs si difficile à canaliser dans la vie, comme pour beaucoup d’artistes. La disparition d’Andy et le 10ème titre de Kelly en cette année 2010 marque forcément la fin d’une page emblématique du surf. Une page dont l’écho cheminera longtemps, la trajectoire inoubliable d’Andy Irons restant gravée dans tellement de spots dans le monde.
Gibus de Soultrait
Edito du Surf Session de décembre 2010, en kiosque dès samedi 27 novembre.
Bel hommage que ce texte…