Interview : Jérémy Florès revient sur la performance de l’équipe de France olympique et sur son rôle dans le collectif tricolore

L'ancien compétiteur parle du groupe, des résultats des Bleu(e)s mais aussi de son vécu de ces Jeux Paris 2024.

01/10/2024 par Maia Galot

Après avoir dressé le bilan de la campagne olympique de l’équipe de France de surf, Jérémy Florès est revenu avec nous plus en détails sur ces Jeux Paris 2024. Manager terrain de l’équipe de France, il était aux premières loges pour encadrer et encourager les 4 représentants et représentantes tricolores, sur des mois de préparation et jusqu’aux journées de compétition.

Surf Session – On est quelques semaines après les Jeux alors la question se pose, comment est-ce qu’on redescend d’une saison olympique ?

Jérémy Florès – Pour commencer, ça fait du bien. C’était pour ma part 2 longues années, presque 3 ans depuis que j’ai accepté ce rôle et intégré le staff de l’équipe de France. On s’y prend, c’est tellement excitant. On a eu un groupe magnifique et solide, il y avait vraiment une énergie qui se dégageait. Ça a commencé aux qualifications ISA, où il y a eu quelque chose de spécial, et ensuite bien-sûr le jour-J aux JO. C’est vrai que c’est historique tout ce qu’il vient de se passer, c’est beaucoup beaucoup d’émotions. C’était très intense, très fatiguant et beaucoup de sacrifices à tous les niveaux, pour les athlètes mais pour nous aussi.

Se dire qu’on est la nation n°1 du surf et qu’on est Français, il y a quelques années on n’y aurait pas cru, du coup c’est magnifique. En plus, c’est Teahupo’o, ce n’est pas n’importe quelle vague, donc ça prouve qu’on fait vraiment partie des meilleurs au monde et qu’on est plus à prendre à la légère.

L’équipe de France olympique au complet lors de la cérémonie d’ouverture à Teahupo’o © ISA / Pablo Jimenez

Ressens-tu ces résultats différemment des athlètes ?

C’est sûr que ce sont eux qui surfent mais en même temps ils sont tellement dans leur bulle, tellement préparés et ils font tellement d’entrainements avec tous leurs proches derrière eux et leur équipe qu’à ce niveau-là ils n’ont pas vraiment le temps de cogiter. J’ai envie de dire que c’est surtout nous qui cogitons, qui nous prenons la tête et sommes en première ligne pour tout. Pour les problèmes, les petits buzzs qu’il y a pu avoir, les mécontentements par rapport à l’organisation des Jeux Olympiques, tout le côté environnemental, les nouvelles règles olympiques qui sont très strictes… Sur tout ça il faut que l’on s’adapte constamment alors que les athlètes, eux, font leur job, qui est de s’entrainer, de travailler le mental afin qu’ils soient bien dans leur tête et qu’ils surfent. Personnellement j’ai vécu les deux, c’est la première fois que j’ai cette responsabilité et c’est beaucoup plus dur d’être de ce côté que de l’autre, ça je le ressens (rires).

© ISA / Pablo Franco

En tant qu’ancien compétiteur, comment as-tu vécu ce changement de rôle ?

Ça a été un travail de quelques années. Mon rôle était plus sur l’aspect structure et l’administratif, c’est ça qui a été différent. Il a fallu que je sois politiquement correct souvent.

Sur ces Jeux Olympiques on a fait en sorte d’être prêts à toute éventualité. Que ce soit petit, gros, sous la tempête, venté, le travail a été fait de A à Z. Du coup, quand le travail a été fait comme ça en amont, forcément le jour-J pour nous on a fait le job, après c’est eux qui sont sur la vague, qui sont à l’eau et leur destin est entre leurs mains. Les messages que j’avais à donner à ce moment-là, ce n’était rien de révolutionnaire. C’était des coups de boost, pour leur donner confiance, des fois des petits messages pour leur rappeler tout le travail qui a été fait. J’avoue que parfois je faisais des bonds quand j’étais à l’eau mais j’avais confiance en eux. Il y avait la pression car ça crée toujours de la pression, parfois j’avais envie de m’arracher les cheveux, mais j’avais une posture à respecter : je voulais leur montrer que je leur faisais confiance. Même dans les moments de doute, il ne fallait pas que je leur montre que je doutais. Il fallait à chaque fois que je leur dise « ça va arriver, j’ai confiance en vous » et c’est un message qui est important dans une équipe je pense.

Le jour-J normalement on est prêt. Malgré tout on sait que le surf c’est un sport où il peut se passer plein de choses. C’est très aléatoire mais on a fait en sorte que chaque athlète soit bien, avec les bonnes personnes, avec la famille, avec le logement qu’ils veulent, les coachs qu’ils veulent… On a fait en sorte qu’ils aient tout à disposition.

Jérémy Florès au plus près du line-up lors des Jeux Olympiques Paris 2024. © ISA/Tim McKenna

Y a t-il eu un moment particulièrement difficile à gérer ?

Sportivement, c’est vrai que les duels Johanne et Vahine ensemble dans la même série et Joan et Kauli c’était dur, c’était un crève-cœur.

Administrativement, c’est compliqué car j’ai toujours été direct dans ma manière de faire. J’ai toujours dis ce que je pensais et je ne mâche pas mes mots. Malgré tout il y a certaines personnes avec qui je travaillais dont je ne suis pas forcément proche donc j’ai dû m’adapter constamment. La priorité c’était que les athlètes soient bien. Si derrière entre nous on devait s’expliquer sur certaines choses, tant que ça ne touche pas les athlètes, c’est le principal. Mais c’est vrai que personnellement c’était dur, j’ai été dans l’élite mondiale toute ma vie, je sais ce que c’est le très haut niveau et il faut s’adapter à une équipe qui n’a pas forcément cette expérience mais qui peut apporter d’une manière ou d’une autre, autre chose. Ça s’est fait très vite, j’ai intégré l’équipe de France il n’y a pas si longtemps et j’apprends aussi. C’est tout nouveau ce rôle pour moi du coup je fais pour le meilleur et pour le pire mais je pense que tant que les athlètes sont bien, c’est le principal.

Comment évalues-tu l’importance du relationnel dans cette équipe de France et ses résultats ?

Je considère les 4 athlètes comme la famille. Vahine est ma belle-soeur, Kauli est mon petit frère depuis toujours… Joan Duru on a grandi ensemble et ça a été mon rival et mon meilleur ami toute ma vie. Je n’aurais jamais eu la carrière que j’ai eue si on ne s’était pas boosté ensemble. Et Johanne Defay vient de La Réunion, comme moi, on a une relation très spéciale depuis toujours. Il y a quelque chose de spécial qu’il s’est passé entre nous vis-à-vis de ces années entre Réunionnais.

C’est spécial parce que j’ai dû rester neutre, le plus neutre possible, mais en même temps j’ai toujours été transparent sur le fait que je veux juste que les surfeurs se donnent à fond et qu’ils soient bien dans leur tête. Du coup il y a des coachs techniques, mentaux et chaque athlète a son entourage. Je suis juste là pour discuter avec chaque membre des équipes pour faire en sorte qu’il y ait une bonne organisation et une bonne structure pour que eux aient tout en leur possession le jour-J. C’est intéressant car si j’avais eu ça à l’époque, je pense que ça aurait été beaucoup plus facile dans ma carrière. C’est vraiment toute une équipe qui les a chouchoutés et c’est agréable d’être chouchouté. C’était super intéressant mais très intense (rires).

Jérémy Florès, Joan Duru et Michel Bourez lors du Quiksilver Festival 2023. © Quiksilver

De l’extérieur, on a pu avoir l’impression que la richesse de « l’humain » avait bénéficié au groupe…

Complètement. Ça a commencé aux championnats du Monde ISA au Salvador. Forcément il y a eu des heureux et des cœurs brisés, c’est la dure loi du sport : il y en a qui gagnent, il y en a qui perdent. Mais déjà rien que là, on sentait qu’il y avait quelque chose de spécial dans le groupe. L’idée c’était de travailler l’attitude. C’est à dire une cohésion et s’entraider les-uns-les-autres parce que le surf c’est un sport très individuel mais pour ce genre de compétition qualificative, il faut travailler ensemble. Il faut que tout le monde fasse en sorte de s’entendre et je pense qu’il y a des amitiés qui se sont créées grâce aux championnats du monde parce qu’ils se sont tous entraidés, c’est ça qui était beau à voir. Je pense que ce sont des expériences qu’ils vont garder jusqu’à la fin de leurs jours. Là c’est le côté sportif mais dans la vie en général, je sais que beaucoup d’entre eux, qualifiés ou non, en sortent grandis, plus matures. Ce sont des expériences de vie. Je pense que c’est ce qui a été magnifique dans cette équipe et ça s’est ressenti dans les résultats.

Vahiné Fierro Kauli Vaast Jérémy Florès Salvador ISA 2023
World Surfing Games ISA 2023 © FFS / we_creative / Antoine Justes

Tu as pris la parole dernièrement sur les sujets de santé mentale, cela a t-il permis une discussion ouverte à ce sujet avec les athlètes ?

J’ai eu une carrière avec beaucoup de haut et de bas, des victoires mais aussi beaucoup de blessures et de pression. J’ai utilisé cette expérience pour peut-être apporter à l’équipe d’une manière ou d’une autre. Ce qui est intéressant et ce qui m’a vraiment plu dans ce rôle, c’est de rentrer dans la tête de l’athlète. À savoir que chacun est différent, c’est à dire que l’exercice n’est pas le même pour tout le monde, chacun individuellement a ses points forts et ses faiblesses. J’ai trouvé ça super intéressant.

Il y a de très bons coachs techniques, la position, la stratégie… ça c’est quelque chose. Et puis il y a toute la partie physique, l’entraînement physique. Cependant l’aspect mental je trouve que surtout dans le surf français malheureusement ça a beaucoup manqué. Il a manqué de force mentale dans le surf français depuis des années. C’est quelque chose que je savais que j’avais et qui m’intéresse, du coup c’est là où je sais que je pouvais apporter quelque chose à l’équipe : si je parvenais à dire les bonnes choses au bon moment, pour les aider. Des fois il y a besoin, des fois il n’y a pas besoin. Dans le haut niveau c’est ça : il y a des jours où tout va bien et ensuite tout va mal, ce sont les montagnes russes. C’est intéressant car j’ai vécu ça toute ma vie, du coup c’était naturel d’échanger avec les athlètes. C’était même un plaisir et ça m’aidait aussi dans la vie en général. Je suis loin d’être un psychologue ou d’être un préparateur mental mais grâce à mes expériences c’était quand même plus facile de faire passer le message.


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