Interview : Kauli Vaast, avant, pendant et après l’or aux Jeux Olympiques Paris 2024

Le Tahitien nous parle des moments décisifs, du déclic mental et de tous les éléments qui ont impacté ce résultat.

08/10/2024 par Maia Galot

Kauli Vaast a été sacré champion olympique cet été. Sur la vague de Teahupo’o qui lui a tout appris, le Tahitien a écrit une belle page de son histoire et marqué l’histoire du sport, de la Polynésie Française et du surf français. Le premier échange du heat final sera sûrement celui qui restera dans les annales : alors que l’Australien Jack Robinson délaisse une vague, Kauli plus à l’intérieur s’engage très profond dans un tube qui creuse de suite. Il disparait, longuement… pour ressortir les poings en l’air. Sa technicité et sa lecture unique de cette vague lui ont permis de surfer cette bombe : un tube de 30m de long ultra rapide scoré 9,50 points. Ce temps fort a été suivi d’émotions tout aussi fortes et c’est l’or autour du cou que le surfeur de 22 ans a enchainé les séries de la prestigieuse compétition avec les représentations médiatiques (à Paris au plus près des spectateurs français mais aussi sur les plateaux de télévision, aux côtés de ses sponsors ou encore au premier rang des WSL Finals aux Etats-Unis). À peine sorti de la tornade, nous lui avons demandé de revenir sur plusieurs éléments de cette expérience hors-normes.

Surf Session – On est quelques semaines après ton titre, es-tu parvenu à redescendre et prendre conscience de ce que tu as accompli ?

Kauli Vaast – Je ne réalise pas. Avec tout ce qu’il se passe, je reste quand même sur mon petit nuage parce que je vis des trucs de fou depuis la finale. Venir à Paris, repartir à Tahiti, profiter avec la famille, non-stop, aller à Los Angeles pour les WSL Finals, revenir deux jours à Tahiti, revenir à Paris et faire tout ça, plus les cérémonies. J’ai loupé la cérémonie d’ouverture mais j’ai fait la cérémonie de clôture, le Club France, la parade des champions… ce sont des moments uniques. Je trouve que je ne suis pas redescendu de mon nuage, surtout que je ne réalise pas forcément réellement ce que représente une médaille olympique, surtout celle en or, donc il va falloir du temps et je pense que le temps fera les choses.

Tu as reçu une vraie vague de soutien et d’affection du public français, tu t’y attendais ?

À Tahiti, ça s’est su direct que c’était un truc de malade. Tout le monde était content et fier que ce soit un surfeur avec le drapeau tahitien, à Tahiti. Ça a été le plus beau jour de notre vie, pour beacoup. On a galéré pour avoir les Jeux, on y a cru, on y a mis toute notre bonne énergie et ça l’a fait, jusqu’au bout. Le fait pour eux d’avoir un Tahitien qui gagne et pour moi surfeur d’avoir toute la population, toute la Polynésie derrière moi avec cette énergie de malade, c’était unique. Après, en venant à Paris, je n’aurais jamais pensé de ma vie voir autant de monde qui avait suivi la compétition, qui me soutenait et qui était heureux d’avoir pu voir ça et vivre ces moments-là. C’est touchant, c’est beau.

En devenant athlète olympique, as-tu vu une différence dans la perception des gens à ton égard ?

Quand tu te qualifies pour les Jeux, ça montre que tu es une personnalité, que tu as bossé, que tu en as chié. Ce boulot ce n’était que la première partie, après il fallait performer. Les gens savent que tu es qualifié aux Jeux, ça veut dire beaucoup donc les encouragements qui s’ensuivent c’est primordial et ça veut dire beaucoup aussi.

Tu as pris une vague massive en tow-in 2 semaines avant les Jeux, peux-tu nous parler du déclic et de l’énergie que cela a déclenché en toi ?

C’est vrai mais il y en a même eu un avant ça. Le premier déclic, ça a été l’arrivée de la flamme olympique. Toute cette journée, ce passage, ça a été un truc de fou. Ça a mis une énergie de malade surtout que Vahine tenait la flamme au départ, ensuite la flamme olympique a été dans les mains de toutes ces légendes, polynésiennes, françaises, tahitiennes. On a fait parti des premiers à l’eau à Teahupo’o, on a été au large tôt le matin. Il pleuvait et quand il pleut à Teahupo’o, c’est une bénédiction. À partir de là, ça a été incroyable, surtout quand Michel (Bourez, ndlr) l’a posée sur le chaudron. Je ne pourrais même pas mettre les mots car c’était trop fort. Dès de ce moment-là, j’ai gardé une bonne énergie. Ça a été puissant et à partir de là, j’y ai vraiment cru. Je me suis dit : « c’est sûr il va y avoir un truc, soit elle (Vahine Fierro, ndlr) soit moi mais il faut que l’un de nous gagne et ça va le faire. » On y a cru jusqu’au bout.

Puis 2 semaines avant, cette vague est arrivée.

Tu as beaucoup précisé que cette victoire était « pour tout le monde », pourquoi c’était important pour toi de le dire ?

Parce qu’ils m’ont tellement mis le stress ! (rires) C’était tellement un stress que je devais gérer, le fait que c’était à la maison, que c’était obligé de gagner. Beaucoup de monde attendait beaucoup de moi et le fait de gagner c’était aussi pour les remercier d’avoir cru en moi, d’avoir donné cette énergie, de m’avoir boosté dans ce truc-là. Ça aurait pu faire l’effet inverse mais en fin de compte ça m’a boosté. Cette victoire, c’était pour les remercier, pour aussi toutes les personnes « backstage« , qui sont derrière et dont on ne parle pas mais qui ont fait un boulot extraordinaire. Je parle de plein de monde, de tous ceux qui ont organisé les Jeux, de mes sponsors qui me suivent depuis des années et qui y ont cru, toutes les personnes qui ont toujours été là pour moi depuis le début et qui n’ont jamais voulu être sous la lumière des projecteurs, c’est toutes ces personnes-là. Ma famille aussi bien sûr. C’est beau pour le sport aussi et pour moi, me dire que j’ai accompli mon rêve et un objectif que je me suis placé au milieu de l’année et qui est arrivé assez vite.

Certains des proches de Kauli Vaast dans la fan zone lors des finales © ISA / Pablo Franco

Ce switch pour renverser la pression, comment s’est-il opéré ?

J’ai compris ça 5 jours avant la compétition. Sur un appel avec ma préparatrice mentale. On a discuté à 4h du matin alors que je n’arrivais pas à dormir. Il y avait une vidéo d’un athlète qui expliquait justement comment lui avait réussi à gérer ça et il disait que toutes ces personnes-là qui te disent « tu vas gagner« , ça veut dire que tu vas gagner. Il faut le prendre du bon côté et pas l’inverse. Ne pas m’effondrer mais le prendre en confiance et se dire « ils ont raison, j’ai pas fait tout ça pour rien et je vais gagner. S’ils le disent je vais le faire« . L’échange m’a beaucoup parlé et je lui ai dis « je vais gagner ces f**king Jeux« . J’avais déjà confiance en moi mais là ça m’a permis de switcher et de comprendre. Ça, et le fait qu’il fallait que je m’amuse.

On a beaucoup parlé de ta relation à Jérémy sur ces Jeux, à combien évaluerais-tu l’importance de « l’humain » dans ce qu’il t’a apporté ?

Je dirais qu’il y a 80% d’humain, parce que tout passe par l’humain. Jérémy, c’est une relation qu’il faut entretenir, comme avec une personne de ta famille, tu entretiens le lien. Tu les aimes, ils t’aiment, il faut parler et discuter. Combien de fois il a été là dans des moments où je ne me rendais pas forcément compte des choses et il me les a dites cash. C’est une personne vraie, qui dit les choses. J’ai toujours dis qu’il faut discuter avec les gens, parler, s’expliquer, même si des fois c’est compliqué. Il a tellement donné de sa personne, de son temps, de son amour. Plus que le coaching je pense et c’est pour ça que je dis 80% car depuis petit, il a toujours été là. Il m’a toujours aidé et là particulièrement. Les gens ne s’imaginent même pas : il a passé des heures sur le jetski alors que personne ne le faisait. Il était là parce qu’il avait l’amour pour nous. Il avait envie, il était dedans, il était investi comme jamais et c’est ça qui est beau.

Kauli Vaast et Jérémy Florès à Tahiti © Quiksilver Tim McKenna

Pour toi, quel a été le heat le plus difficile ?

Je pense que le heat le plus difficile a été celui contre Joan. 

En quarts de finale face à Joan Duru © ISA / Beatriz Ryder

De voir Vahine Fierro quitter la compétition prématurément, ça a eu un effet sur toi ?

Ça m’a donné envie de gagner encore plus, pour elle. Je sais qu’elle a tout donné. C’est difficile de revenir d’une victoire incroyable (la Tahitienne avait remporté le CT en tant que wildcard en mai, ndlr) et d’arriver aux Jeux. Elle était prête à fond mais c’est le surf, c’est les vagues, c’est le moment… Elle a perdu, ce n’est pas grave et c’est pour ça que je me suis donné encore plus, pour elle et pour Joan, je me suis dis « let’s go« .

Comment expliques-tu que ton émotion ait été si différente entre ta qualification et ta médaille ?

Parce que j’en ai énormément chié mentalement, physiquement et émotionnellement aux qualifications. C’est une compétition différente, on a surfé des séries de malade, il n’y avait qu’une chance et il fallait aller jusqu’au bout. Vahine s’est qualifiée avant, c’était un rêve devenu réalité pour elle et j’avais encore 2 jours à faire. J’ai tout lâché et j’ai pleuré car je me suis dis « Enfin. J’y ai cru jusqu’au bout, c’était chaud mais voilà c’est écrit, je me suis qualifié« .

Kauli Vaast Salvador ISA 2023
Qualifié lors des ISA 2023 © FFS / we_creative / Antoine Justes

Je n’ai pas autant pleuré à Tahiti car j’avais une sensation de déjà vu. Ce n’est pas pour faire le malin mais j’ai beaucoup travaillé la visualisation et cette victoire, j’en ai tellement rêvé. Tous les soirs j’avais des visions, je rêvais de ça. J’en avais des frissons le matin en me levant, en me disant « Imagine que je gagne. Il faut que je gagne. Je suis si proche, je ne peux pas perdre. » Chaque jour c’était comme ça et je me disais sur chaque série : « je vais la gagner« . Le moment où j’ai levé les bras, je me suis dis « je viens de le faire, ce dont j’ai rêvé le plus au monde. J’en ai vomi des fois le soir de stresser, de me dire – c’est pas possible, ça va être chaud mais je vais y arriver, c’est stressant mais let’s go – et là je viens de le faire, je viens de faire ça quoi« . Je n’ai pas pleuré car il y avait vraiment de la joie, du bonheur de pouvoir se dire « voilà, je viens de le faire, job done« .

À l’issue de la finale olympique © ISA

Avec une réussite de cette ampleur, à 22 ans, cela change t-il ta projection pour la suite de ta carrière ?

C’est vrai que je n’y pense pas trop. C’est génial mais je suis au début de ma carrière. Je ne suis même pas encore qualifié sur le CT, je n’ai même pas gagné un Challenger Series dans ma vie. J’ai gagné un QS dans ma vie, j’ai gagné des compétitions en junior certes mais voilà, j’ai réussi à gagner ça et je pense que c’est le graal pour un athlète. J’espère qu’il y en aura d’autres et j’espère me qualifier sur le CT donc les objectifs ne changent pas, j’essaie de rester focus et d’aller de l’avant.

Avant les Jeux, était-ce complexe pour toi de suivre les deux objectifs en parallèle ?

J’ai toujours donné 100% dans les deux. Ce n’est pas si compliqué car pour les Jeux c’était beaucoup de préparation mentale et de travail sur moi-même tandis que sur les Challenger c’est un peu habituel, on connait la routine : il faut y aller à fond et tout donner. La préparation physique c’était aussi un travail sur moi-même car j’ai du mal à me mettre dedans mais quand je suis dedans, c’est bon. Pour le surf, c’est facile de surfer à Teahupo’o donc il fallait vraiment surfer tout le temps et dès que j’avais la chance de rentrer, de profiter de ces moments-là. Au début, j’avais toujours les Jeux en tête et puis au fur et à mesure je me suis dit « en fait mon but ultime c’est le CT. Il ne faut pas trop que je me focalise sur les Jeux car si jamais je perds, ça va m’atteindre si j’y pense trop« . Je savais que j’aurais mon moment pour penser aux JO donc j’ai réussi à faire la part des choses en me concentrant sur chaque moment.

Comment projettes-tu la fin de ta saison ? On t’a vu absent du circuit QS cet été…

Pour la fin de saison, je vais finir mes deux Challenger Series. Je n’avais pas le temps et je ne pouvais pas participer aux étapes Qualifying Series. Même physiquement, il y a tellement de fatigue que ça allait être difficile pour moi de performer dans ce genre de compétition. Surtout que ça m’aurait fatigué encore plus et si je peux maximiser mes chances pour me qualifier, il faut que je me concentre sur les Challenger Series qui arrivent. Si je peux finir les deux Challenger Series en beauté ce ne sera que du bonus donc c’est pour ça que je mets toute ma concentration là-dessus. Je prends le risque et on verra bien.

Sur l’EDP Ericeira Pro 2024 © Laurent Masurel/World Surf League

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