Donald Brink : "Je veux que vous surfiez mieux"

Rencontre avec le shaper californien, apôtre des planches asymétriques et militant du shape fonctionnel.

06/07/2015 par Robin Guyonnet

Après une tournée sur la Côte Atlantique française, le shaper californien Donald Brink, d’origine sud-africaine, est venu rendre visite à Surf Session. L’artisan s’est notamment fait connaitre pour ses planches asymétriques ou encore avoir réalisé une planche en bois depuis une palette. Rencontre avec un shaper atypique et engagé.

Tu vis désormais en Californie mais tu es d’origine Sud-africaine ?

J’ai grandi à Cape Town. C’est là que j’ai commencé à surfer. Mais je faisais aussi beaucoup de travaux artistiques, je jouais de la musique et j’ai eu la chance de pouvoir voyager avec un groupe de rock de surfeurs chrétiens. On a fait la tournée des États-Unis, de Miami à New York. C’était une expérience incroyable. Ensuite, j’ai traversé le pays pour aller jusqu’en Californie assister au mariage d’un ami, où j’ai rencontré ma femme.

Je me suis un peu intégré à la communauté surf californienne et c’est devenu ma maison. Mais je reste très lié avec mon pays d’origine ! D’ailleurs la France me rappelle beaucoup l’Afrique du Sud. C’est un peu les mêmes arbres, les grands espaces… Mais j’adore vraiment la Californie, les vagues y sont très bonnes, et j’ai deux enfants là-bas maintenant.

Tu es avant tout un surfeur, comment as-tu commencé le surf ?

Je n’ai pas grandi près de la plage. Ce n’est qu’à 15 ans que j’ai déménagé près de l’océan. Et j’ai directement aimé ce milieu, j’aimais pécher, faire du skimboard et du body surf, et c’est comme ça que j’en suis venu au surf. Ça m’avait toujours fasciné.

“Chacun devrait faire ses propres réparations, ça fait partie du surf”

Comment en es-tu arrivé à shaper des planches alors ?

J’ai toujours été intéressé par la façon dont les choses fonctionnent. Donc c’est venu tout naturellement pour le shape. Je faisais des réparations au début, et ça m’a permis de rencontrer pas mal de monde. On me faisait des planches et, au fur et à mesure, elles étaient de mieux en mieux, j’affinais mes côtes, c’était fun. Mais au bout d’un moment, je me suis dit que je pouvais faire ça tout seul. J’ai beaucoup observé d’autres shapers et j’ai ensuite commencé à faire les miennes. Je pense que chacun devrait faire ses propres réparations, ça fait partie du surf.

Et beaucoup de gens devraient aussi essayer de fabriquer leurs propres planches. C’est une extension du surf. Même si le résultat n’est pas terrible au début, ça vous fera apprécier encore plus une bonne planche ! Vous comprendrez comment ça flotte, qu’est ce qui fait que ça glisse. En tout cas, moi, c’est ce que j’aime, réparer et fabriquer des choses.

On a vu une vidéo où tu shapes des planches à partir de palettes en bois…

C’était un projet qui me tenait à coeur. Un projet qui demande beaucoup de travail aussi. En fait, j’ai eu l’idée en voyant la toute première collection de boardshorts Vissla, arriver dans des palettes. Alors j’ai dit aux gars « je veux ces palettes ! ».

Parles-nous de ton travail sur les planches asymétriques ?

Ma théorie avec les planches asymétriques, c’est tout simplement d’aider les gens à améliorer leur surf, par rapport à leur stance (regular ou goofy). C’est plus difficile de surfer sur ses talons, backside, que sur ses orteils, frontside. Moi, j’ai changé les côtes, pour compenser tout ça, en aidant le poids du corps. C’est tout ! C’est toujours une bonne planche, mais avec un peu d’aide.

“En fonction de chacun, la planche pourra être très asymétrique, et pour d’autres, on pourra à peine voir ce qui a changé”

Ce genre de planche est-il accessible à tout le monde ? Ou cela dépend du niveau ?

C’est une bonne question ! Il ne faut pas le voir comme une planche, mais comme un concept pour adapter la planche dont ils ont besoin. Si tu as ce niveau, tu choisiras cette planche, et on la rendra asymétrique. Si tu as un niveau au-dessus, tu choisiras une autre planche, qu’on rendra asymétrique aussi. En fait, je ne veux pas que vous sentiez la planche différemment, je veux que vous alliez surfer avec et que vous sentiez que vous surfez mieux. Pas différemment, mieux.

Plus le surfeur aura besoin d’aide, plus la planche devra être asymétrique. Le pro, lui, a moins besoin d’aide, et je ferai des modifications beaucoup plus subtiles, que les machines ne peuvent pas faire. Pour le moment, ça n’a pas encore pris chez les pros, mais je suis convaincu que ça va venir. Donc en fonction de chacun, la planche pourra être très asymétrique, et pour d’autres, on pourra à peine voir ce qui a changé.

 

Est-ce que la tendance est plus développée en Californie ?

Oui, c’est plus développé qu’ici (en Europe, ndlr). Les gens essaient de plus en plus. Et en terme de design et de performance, les planches asymétriques marchent vraiment. Quand Bryce Young surfe sur ces planches asymétriques, c’est juste incroyable. Tu ne le verras jamais surfer aussi bien sur des planches normales. Je crois que ce n’est pas un hasard. Après, je pense que c’est bien plus adapté aux petites vagues. Sur les grosses vagues, tu parviens à générer facilement de la vitesse.

Mais on ne sait jamais. J’ai shapé un gun asymétrique pour Ben Wilkinson, un surfeur très talentueux, et elles ont super bien marché, il a shooté de très grosses vagues avec, les photos arrivent bientôt. Ben est venu me voir en me disant “Voilà ce que je veux faire, et voilà ce que je peux faire parce que mes planches me stoppent. Est-ce que tu peux me faire quelque chose pour atteindre le niveau supérieur ?”. Ceci dit, Ben n’est pas un surfeur lambda, il a beaucoup de talent. Mais surtout, il savait ce qu’il voulait faire, ce qui n’est pas du tout le cas de tout le monde. Il faut vraiment venir avec une idée construite pour arriver à un vrai résultat.

Donc tu préfères faire des planches fonctionnelles plutôt qu’artistiques ?

100% fonctionnel. Pour moi, une planche qui est belle et qui marche bien, c’est mieux que juste une planche qui est belle. Je fais aussi beaucoup de peinture et d’autres travaux artistiques. Faire une planche, c’est un métier. Rendre quelqu’un d’autre heureux, c’est plus de la performance. Peut-être qu’un jour je ferai des planches artistiques, mais pour le moment, il y a trop de groms qui plantent le rail intérieur (rires).

“Aujourd’hui, le conformisme dans le surf est omniprésent”

Justement, est-ce que les groms surfent tes planches, ou bien restent-ils attirés par les shortboards performance traditionnels ?

Il y a deux types de groms. Ceux qui rident tellement de planches que ce n’est pas la peine pour eux d’essayer. D’un autre côté, il y a ceux que ça intrigue, qui pensent vraiment aux planches qu’ils surfent, ils cogitent différemment sur leur façon de surfer. Ca peut paraître drôle, mais je pense que mon rôle est de faire plus réfléchir les gens sur la façon dont ils profitent à l’eau. Pas mal de groms essayent chez moi, je leur propose des prix abordables, car j’apprends d’eux aussi, ils fracassent.

Mais ils grandissent tellement vite… Il y a un jeune qui retourne surfer aux championnats nationaux sur une planche asymétrique, une des miennes. Il avait gagné toutes ses séries l’année dernière jusqu’à prendre la quatrième place. Mais à travers la beauté du surf de performance, il est souvent difficile de discerner les légers changements. Surtout avec des groms de ce niveau. Aujourd’hui, le conformisme dans le surf est omniprésent, et c’est vrai qu’il touche particulièrement les jeunes. Ils surfent les planches que surfent leurs amis. Mais c’est normal, on le faisait aussi ! Tout ça va changer.

Tes impressions sur ce trip en France ?

C’est un endroit magnifique. Je me sens comme à la maison, parce que ça ressemble beaucoup à l’Afrique du Sud. J’aimerais connaître le langage. Les gens sont très sympas. Et l’ambiance avec les gars de Vissla était dingue. C’est un peu une seconde famille. Et que dire des vagues… elles sont incroyables ! Il y a beaucoup de très bons surfeurs aussi. C’était un rêve de venir ici depuis tant d’années. Ça m’intriguait.

“Pour vous c’est normal, mais quand moi je vois une Citroën, je dis regardez ces lignes !”

Ce qui est bien, c’est que tu n’as pas vu juste Hossegor, mais toute la côte Atlantique !

Oui, j’adore voyager. On est allés jusqu’en Vendée. J’ai aussi visiter la Rochelle, j’ai beaucoup aimé les Églises, les gares… c’est plein d’histoire ! Venant d’Afrique du Sud, j’ai été influencé par l’Europe, l’Asie et les États-Unis. C’est centralisé par rapport à toutes ces grandes régions du monde. Donc pour moi, venir en Europe, ça a beaucoup de sens. J’aime l’architecture ici, les lignes, les courbes, la façon dont les choses sont faites. Rien n’est uniforme. Pour vous c’est normal, mais quand moi je vois une Citroën, je dis “regardez ces lignes !”. Ça c’est du shape. Je ferai peut-être une voiture asymétrique un jour (rires). /

Interview : Romain Ferrand & Robin Guyonnet


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