Eric Dargent – « Avant d’accoucher, ma maman était partie nager la vieille. Je suis un peu né comme si je commençais déjà à nager. Petit, j’étais tout le temps dans ou près de l’eau, pour aller nager, pêcher, ou jouer sur le sable. Je suis né à Martigues et j’ai grandi au bord de la mer Méditerranée. Le surf est devenu une passion assez rapidement. J’avais déjà 8 ans quand j’ai commencé à monter sur un bodyboard. J’ai découvert la glisse dans les vagues méditerranéennes. C’est vrai que ce n’est pas un endroit habituel. Mais ici, on a quand même de la houle et des dépressions qui passent, notamment en hiver. J’avais vu des images de personnes dans les vagues à Biarritz. J’ai harcelé mes parents pour avoir un petit bodyboard. Au début, je croyais que c’était juste fait pour sauter par-dessus les vagues. Et puis un jour, j’étais dans l’eau avec mon frère qui m’a dit, « mais non, retourne-toi et pars avec la vague ! » Une vague est arrivée à ce moment-là, je suis parti avec, j’ai glissé tout le long et la sensation fut juste incroyable. Jamais je n’aurais cru avoir ces sensations-là. Finalement, ça ne m’a jamais quitté. J’ai toujours eu envie d’y retourner, que ce soit l’hiver avec le vent ou dans la tempête. Dès que je savais qu’il y avait des vagues, je voulais retourner dans l’eau. Très rapidement, le surf est devenu quelque chose d’important pour moi. J’ai vraiment grandi avec lui.
Le surf en Méditerranée…
E.D – C’est assez particulier parce que c’est très rocheux. Nous avons des vagues rapides qui ont très peu de période, donc pas autant de puissance que dans l’océan. Dans l’océan, ce sont des périodes entre 16s et 20s. En Méditerranée, si on arrive à 10s, on est déjà au taquet. Mais par contre, ça créé des vagues rapides et courtes, des slabs, donc des vagues qui tubent un peu. Quand ça fonctionne évidemment, parfois c’est pendant une journée entière. C’est vraiment cyclique. Ça part du même endroit, arrive au même endroit ; le tube est vraiment au même endroit. Ça m’a permis quand même d’évoluer dans des vagues très creuses et d’accéder à des vagues difficiles lors de voyages, mais dans lesquelles j’arrive quand même à surfer parce que j’ai appris en Méditerranée. En tout cas, pour moi, les conditions sont bonnes à partir du moment où ça glisse, tout simplement. En Méditerranée, on ne va pas être trop difficile sur les conditions ! Quand il y a des vagues, on va dans l’eau. On n’hésite pas parce qu’on ne sait pas quand sera le prochain flat, ou pendant combien de temps ça va être la disette. Le surf de Méditerranée n’est vraiment pas un surf sélectif ; on va tout le temps dans l’eau. Après, bien sûr que je préfère aller surfer dans de l’eau chaude, dans des vagues glassy, tubulaires et avec des conditions parfaites qui font plaisir. Mais oui, dès qu’il y a des vagues, je suis dans l’eau ! Je surfe la plupart du temps en Méditerranée. Après j’aime retourner au Pays basque. C’est un endroit qui me plait vraiment que ça soit pour le paysage, les gens et les amis. Et puis les vagues sont quand même belles avec une fréquence qui est là.
Son accident…
E.D – Ma vie a été faite d’un accident qui m’est arrivé en 2011 sur l’île de la Réunion où j’ai été attaqué par un requin. J’ai perdu ma jambe gauche, donc j’ai été amputé au-dessus du genou. Mais je ne pouvais pas ne pas continuer le surf. C’était essentiel pour mon équilibre de vie. Cet accident m’a propulsé comme un coup de batte de baseball, où tu pars dans une trajectoire puis ça t’envoie d’un seul coup dans une autre complètement différente. Ça m’a propulsé vers le handicap et la découverte des difficultés. Je me devais aussi d’essayer d’aller plus loin, de toujours me dépasser, et surtout de continuer à aller vers mes rêves et de ne jamais rien lâcher. C’est quelque chose de fort que j’ai en moi et j’ai besoin de continuer à prendre du plaisir. À vivre, tout simplement. C’est pour ça que je rêvais déjà de pouvoir resurfer debout, puis de créer une prothèse pour aller le plus loin possible dans la performance. Aujourd’hui, je peux participer à des compétitions internationales comme des championnats du monde et faire des podiums. C’est une revanche aussi sur ce qui m’est arrivé.
Sa passion pour le surf et son addiction à la mer…
E.D – Il y a une réelle addiction qui est là. On peut vraiment parler d’une drogue dont on ne peut pas se passer. Même sans y réfléchir, j’ai envie d’être dans l’eau. Par exemple, je sais que s’il y a des bonnes conditions mais que je dois aller travailler, je ne suis pas complètement serein. J’ai trop envie de me retrouver dans l’eau et d’aller profiter. Cette addiction est là depuis que je suis tout petit et elle ne me quitte pas. Dès fois, elle n’est pas très compréhensible par les autres, surtout quand il fait froid ou qu’il y a du vent, mais elle est très forte. À la suite de mon accident, j’ai eu besoin aussi de ressentir que je n’avais pas de craintes ou de peur de retourner à l’eau. Les premières fois où j’y suis retourné, j’avais vraiment des frissons partout. C’était juste énorme. Je flottais, je n’avais plus mon handicap et je ne ressentais plus cette jambe qui me manque. Le simple fait de me retrouver dans l’eau fut quelque chose de fabuleux. Je sais forcément que ça va me faire du bien. Et puis, il y a toujours cette envie de continuer à progresser, à améliorer des manœuvres que je n’arrive pas bien à faire, à aller chercher des vagues quand je vois qu’elles sont au large, à essayer de glisser le plus longtemps possible… Il y a plein de choses qui m’attirent, qui me motivent à aller à l’eau et à me lever chaque matin. Ça fait partie aussi de cette addiction : cette envie de se retrouver dans l’eau tout le temps.
Ses inspirations et ses actions…
E.D – Pour moi, le plaisir est aussi de communiquer cette passion, de la partager et de montrer ce dont on est capable de faire aujourd’hui malgré son handicap pour continuer à aller le plus loin possible et pour se dépasser à chaque fois. Mes sources d’inspiration sont un peu différentes maintenant du fait de mon handicap. Le surf fut au centre de ma rééducation et du fait que je reprenne gout à la vie. J’ai trouvé beaucoup d’inspiration auprès de personnes parfois inattendues. Ce sont des personnes qui m’ont montré la voie, et qui, bien souvent, pratiquaient déjà des sports de glisse comme le snowboard ou le surf, tout en donnant beaucoup aux autres. Cela m’a inspiré et cela continue de m’inspirer. J’aime faire, réaliser, ouvrir des voies comme en wing foil et quelque part aussi montrer comment on fait, puis le partager. Je continue de m’inspirer de ces personnes-là. Désormais, je donne et je partage à mon tour moi-même au travers de mon sport et des évènements que je fais avec mon association Surfeurs Dargent. Et là, le plaisir est énorme ! C’est incroyable de pouvoir se dire que j’ai fait évoluer le sport, que le matériel est meilleur et que cela permet aux athlètes d’aller encore plus loin.
Sa découverte du wing foil et d’autres sports…
E.D – J’aime toucher à tout et découvrir, donc c’est presque naturellement que je pratique des sports différents. Ce qui m’a poussé à en faire beaucoup, c’est aussi le fait de vivre en Méditerranée. On n’a pas tout le temps des vagues mais on a d’autres choses qui permettent de compléter ces journées, notamment le vent. La découverte du wing foil fut vraiment incroyable. On arrive à s’écarter du bord et à surfer des vagues au large. En Méditerranée, c’est juste parfait parce qu’on a souvent du vent bien établi mais pas tout le temps des vagues. Donc ça créé une possibilité supplémentaire dingue d’aller surfer au large des creux sur des kilomètres et parfois plusieurs minutes. C’est une découverte incroyable. Je ne pensais pas un jour pouvoir vivre ça. Et puis, ce fut aussi la découverte d’un nouveau sport. Ce fut donc un équilibre encore différent à trouver avec la prothèse, qui était plutôt difficile entre la jambe avant et la jambe arrière et puis ce changement de jambe ! Ma prothèse se retrouve parfois à l’arrière, donc c’était un vrai challenge. Aujourd’hui, c’est un énorme plaisir de pouvoir arriver enfin à surfer avec le wing foil et augmenter comme ça le nombre d’heures dans l’eau. Ça n’en finit pas. Je suis de plus en plus dans l’eau et c’est génial ! Quand il n’y a pas de vent ou de vagues, ça me pousse à aller faire du skate ou du VTT, ou à aller jouer à la pala. Je fais d’autres sports qui me donnent aussi énormément de plaisir et qui me permettent d’être en condition physique le jour où il y a des conditions pour aller dans l’eau.
Son caractère et sa vision de waterman…
E.D – D’un côté, j’aime le contact et aller vers les autres. C’est notamment pourquoi j’ai choisi mon métier d’infirmier. J’aime être utile et aider. Mais d’un autre côté, j’aime aussi me retrouver seul dans l’élément marin et me confronter aux éléments naturels. J’aime me poser, réfléchir, me relaxer et me vider la tête quand je vais faire du surf ou de la wing. Finalement, la mer fait partie presque de mon caractère. Est-ce que je me considère comme un waterman ? Je n’ai jamais trop réfléchi à ce que j’étais ou ce que je n’étais pas. Ce que je sais, c’est que je fais ce qui me plait et je vais vraiment vers ça. Ce n’est pas pour rien si j’habite au bord de l’eau. J’aime utiliser et maîtriser tous ces éléments autour de moi : le vent, les vagues, la mer… Finalement, ce qui me plait est de sentir un dépassement de soi.
Stay Salty et MANERA…
E.D – Pour moi, ça serait plus que salé ! Je pourrais avoir des écailles de poisson ou des moules accrochées tellement je vais dans l’eau. Le sel coule dans mes veines. Ça fait tellement partie de ma vie que je ne peux pas m’en séparer. J’ai besoin de ça, de me retrouver au bord de l’eau avec l’odeur, la couleur, le toucher. Tout est là et je ne peux pas vivre sans ».