(Initialement publié le 3 juillet)
Par Jeanne Dauthy
Afridun – qui préfère le surnom d’Afri – est né à Kaboul. Sa famille décide alors de fuir la violence pour s’installer en Allemagne dès ses 6 ans. Réfugié de guerre, Afri vit donc une enfance et une adolescence berlinoise. Si ce n’est ni en Afghanistan, ni en Allemagne que le jeune surfeur a découvert le surf, il a su faire bon usage de sa passion, une passion qu’il retrace ici au fil de son histoire.
Tout jeune, il ignorait qu’il deviendrait la figure du surf afghan. « Je devais avoir 7 ou 8 ans et à la télé il y avait un documentaire sur le surf à Hawaï. Ma mère me raconte que j’étais scotché à l’écran. J’ai toujours été amoureux de l’océan, le surf était un sport qui me fascinait mais je ne m’imaginais pas devenir surfeur un jour », sourit-il.
Cette passion s’est concrétisée un peu plus tard, lors d’un trip à Hossegor. « En 2006, j’avais 18 ans, et avec des potes on est partis en France à l’arrache, sans trop d’argent. Arrivé à Hossegor, on m’a prêté une planche. Les vagues étaient petites donc je me suis mis à l’eau. Je me suis levé du premier coup et je suis tombé amoureux du surf et de la glisse. Je me suis dit : Ok, je veux continuer à surfer toute ma vie. »
Afridun aurait eu tort de ne pas poursuivre cet engouement pour la glisse, d’autant plus lorsque l’on sait qu’il a concouru il y a quelques semaines sous le drapeau de l’Afghanistan lors des championnats du monde de longboard à Biarritz pour la deuxième année consécutive. Une participation que le surfeur de 32 ans considère comme un exploit, mais aussi comme une chance. Celle de pouvoir représenter son pays natal.
Le surf comme terre d’asile
La population afghane représente la 2e plus grande population de réfugiés au monde, derrière la Syrie. Soit 2,7 millions de personnes en 2018 selon les Nations Unies. Les pays voisins, le Pakistan et l’Iran, sont les deux principales terres d’asiles de ces réfugiés (près de 88 % d’entre eux). Le reste de la population étant répartie dans divers pays d’Europe ou bien en Australie.
Si l’ONU définie la terre d’asile comme « le lieu où une personne menacée peut se mettre en sécurité », alors Afridun considère l’océan, par le surf, comme étant sa terre d’asile. Une terre d’asile qu’il compte partager avec ses pairs pour leur faire ressentir cette sensation de protection. C’est notamment l’objectif que présente la WRAA, (Wave Rider Association of Afghanistan) créée en 2011 par une poignée de surfeurs afghans animés par cette idée. Afri en est le fondateur et l’actuel président.
En 2015, la WRAA organise les championnats de surf d’Afghanistan au Portugal, et donne ainsi naissance au premier regroupement de surfeurs afghans.
Par la suite, les victoires n’ont cessé de s’enchaîner. En 2017, l’ISA leur autorise l’entrée aux World Surfing Games. En 2018, Afridun Amu fait ses premiers pas aux championnats du monde de longboard à Biarritz, sous le drapeau de l’Afghanistan. Une participation qu’il a réitéré cette année. Il annonce même une bonne nouvelle pour la pratique professionnelle du surf, en nous assurant qu’en 2020, une jeune femme afghane se joindra à son équipe nationale.
S’ils n’étaient que six à se lancer dans ce pari fou, aujourd’hui, plus d’une soixantaine de surfeurs d’Afghanistan ont rejoint les rangs.
Premier surfeur professionnel Afghan, premier à glisser sur les vagues afghanes.
Afri ne se contente pas d’emmener les Afghans sur la scène du surf mondial, mais aspire également à implanter le surf en Afghanistan. D’après lui, développer le surf afghan et le médiatiser permettrait de donner une image de l’Afghanistan, qui est « bien plus que le pays en guerre dont parlent les médias ». En 2018, le surfeur a d’ailleurs rejoint sa terre natale, accompagné de deux amis (surfeurs eux aussi, mais de vagues de rivières).
Une fois sur place, les surfeurs ont tout d’abord suscité une certaine défiance de la part des locaux. Défiance qui a par la suite, laissé place à une grande curiosité. Ce n’est toutefois qu’après quelques vagues que l’incompréhension de ce sport, alors nouveau, a su laisser place à la joie.
« Quand ils ont vu la board pour la première fois ils étaient sceptiques. Mais on a commencé à surfer et tout le monde souriait. Les enfants étaient heureux, ils nous montraient les pics où surfer. » Des moments de joies intenses qui n’ont pas laissé Afri insensible « Dans leurs yeux j’arrivais à voir la même émotion que celle que j’avais ressenti à Hossegor, la première fois que je suis monté sur une planche. »
Malheureusement, le surf de rivière reste dangereux, d’autant plus lorsque les enfants ne savent pas nager. Impossible donc de les faire goûter aux sensations du surf, ce qui ne freine toutefois pas l’ambition d’Afri. Le surfeur revient de son trip avec de nouveaux objectifs, tels que celui de faire évoluer la pratique du surf en Afghanistan.
« La première étape est d’apprendre aux enfants à nager. On veut commencer par créer des cours de natation pour les enfants en Afghanistan. Ensuite, on pourrait commencer à les amener vers les vagues de rivières, et si le niveau le permet, aller en Iran ou au Pakistan surfer les vagues de l’océan. »
« Le surf peut être un moyen de donner une nouvelle image de l’Afghanistan »
Lors de leur trip, les trois surfeurs afghan n’ont cessé de filmer la moindre vague, donnant lieu à un documentaire,« Unsurfed Afghanistan ». Ce dernier a principalement pour objectif de faire évoluer les mentalités en apportant de nouvelles images de l’Afghanistan que celles produites par les médias qui ne traitent que de la situation belliqueuse sur place.
De plus, le documentaire permettra de lever des fonds qui permettront par la suite, de fonder une école de surf.
« Dans le film il ne s’agit pas que de surf. Il s’agit de rencontres, de gens, d’hospitalité et de générosité. Je ne nie pas que la guerre existe en Afghanistan. Il n’y a pas à débattre là-dessus. Mais ce que je souhaite montrer, c’est que l’Afghanistan représente tellement plus que ça. Pour moi, le surf peut être un moyen de donner une nouvelle image à cet endroit et ses habitants. D’ailleurs, je n’aurais jamais eu l’opportunité d’apparaître dans ce magazine et parler de mon pays si je ne surfais pas.»
Le surfeur, pour qui rien n’est impossible, compte bien projeter l’Afghanistan sur la scène du surf mondiale. « Il y a quelques années, personne n’aurait imaginé que l’Afghanistan participerait aux championnats du monde de longboard à Biarritz, jusqu’à l’année dernière personne n’aurait imaginé que quelqu’un puisse surfer en Afghanistan. Qui sait ? Peut-être qu’aux J.O 2024 à Paris, il y aura des surfeurs venus d’Afghanistan. »
Des propos qui seront à confirmer en 2024, mais nous n’avons pas de doute quant à l’avenir du surf afghan.
>> Retrouvez Afridun Amu sur Instagram
Merci pour la découverte de ce pays et approche du surf, une interview enrichissante.