Santé mentale et compétition, l’interview de la longboardeuse Chloé Calmon

La Brésilienne revient sur son histoire avec le surf et les raisons qui l'ont poussée à faire une pause dans sa carrière.

17/10/2024 par Ondine Wislez Pons

Fin septembre, nous avons eu le plaisir de rencontrer la longboardeuse professionnelle brésilienne Chloé Calmon à Hossegor. La surfeuse nous a accueilli, tout sourire, à la Roxy House, dans les Landes. En juin dernier Chloé, compétitrice de longue date, annonçait publiquement son choix de faire une pause dans sa carrière de sportive, pour prendre soin de sa santé mentale. « Après avoir concouru pendant 18 ans, dont 14 sur le circuit mondial, la décision de ne participer à aucun événement en 2024 a été la plus grande et la plus difficile de ma vie. Mais aujourd’hui, six mois après, je réalise que c’était le meilleur choix que j’aurais pu faire » écrivait-elle sur son compte Instagram. En plus de son histoire (d’amour) avec le surf, nous avons questionné Chloé sur les raisons qui l’ont poussée à prendre une telle décision et comment elle se sent aujourd’hui, plusieurs mois après.

Surf Session – Salut Chloé, peux-tu nous dire pourquoi tu es en France en ce moment ?

Chloe Calmon – Je suis en France avec le team Roxy pour le Quiksilver Festival. C’est la première fois depuis longtemps que toutes les Roxy girls sont réunies. On passe une semaine très amusante toutes ensemble, on soutient celles qui font la compétition, on surfe ensemble, on shoote les futures collections…

On se doute bien que ce n’est pas ta première fois ici… Qu’est-ce que la France représente pour toi ?

Je ressens beaucoup d’amour pour ce pays où j’ai de très bons souvenirs. Ma première compétition sur le World Tour longboard était le Roxy Jam à Biarritz, en 2010 je crois. J’adore cette région, notamment pour sa culture surf et parce qu’elle me rappelle de très bons moments, au tout début de ma carrière internationale. J’adore passer du temps ici, j’ai beaucoup d’amis et c’est aussi une super opportunité pour pratiquer mon français.

Pour en revenir au tout début, où as-tu grandi ?

J’ai grandi à Rio de Janeiro, au Brésil.

© Roxy

Quelle est la chose la plus brésilienne en toi ?

J’adore les sucreries et mon dessert préféré est un dessert brésilien, le brigadeiro. Dès que je voyage, je me débrouille pour le cuisiner et le partager avec mes amis, c’est une façon pour moi de leur montrer un peu le Brésil. Ça ressemble un peu à une truffe en chocolat et j’ai même un tatouage qui représente ce dessert. Je suis aussi imprégnée du côté vivant et joyeux de la culture brésilienne, que j’essaye de partager avec mes amis en leur faisant écouter de la musique brésilienne, en dansant, en chantant.

En quoi dirais-tu que l’environnement dans lequel tu as grandi a influencé la surfeuse que tu es ?

Mon père est un amoureux du sport, il surfe depuis 50 ans. Ma mère a elle aussi grandi sur la plage, comme ce fut mon cas. Mes parents m’ont appris à nager quand j’avais seulement quelques mois et j’ai des photos de moi posée sur la planche de mon père, alors que je portais encore des couches. Du plus loin que je me souvienne, je n’ai aucun souvenir d’une vie loin de l’océan. Depuis que je suis très jeune j’ai l’esprit de compétition et j’ai grandi en essayant tout un tas de sports dont le surf, qui est devenu ma passion.

© Roxy

Peux-tu nous parler de tes débuts dans le surf ?

J’ai eu ma première planche l’année de mes 10 ans, une 6’0 en mousse. Quand j’ai eu 12 ans, j’ai emprunté le longboard de mon père le temps d’une session et j’en suis tombée amoureuse, je n’ai jamais cessé d’en faire depuis ce moment-là. Au début, j’avais besoin que l’on me porte ma planche, qui était beaucoup trop lourde pour moi (rires). Quelques mois après cette première expérience, j’ai participé à une compétition locale à Rio. Il y a un paysage compétitif très riche au Brésil, avec de nombreux événements amateurs. Au bout de deux ans, j’ai gagné le championnat national à 14 ans et c’est à ce moment-là que je suis devenue pro.

Peux-tu nous raconter quand et comment a démarré ton histoire avec Roxy ?

J’ai rejoint le team Roxy l’année de mes 15 ans. Avant ça, j’avais toujours été une fan absolue de Roxy. Je me souviens encore de mon premier board short Roxy, je voulais le porter tout le temps, à l’école, à la maison, pour surfer… Ma mère devenait folle parce que je ne la laissais jamais le laver et que je voulais le porter tous les jours. Je me rappellerai toujours du jour où le team manager brésilien m’a appelée pour me proposer de faire partie du team. C’est aussi l’année où j’ai reçu la wild card pour représenter le Brésil au Roxy Jam, à la Côte des Basques à Biarritz. À cette époque, les réseaux sociaux n’existaient pas encore et nous avions accès à la culture surf internationale dans les films, les magazines et j’avais des posters de Kassia Meador et de Jane Smith dans ma chambre. Quand je suis venue à Biarritz, à la Roxy House, je me suis retrouvée avec elles, je surfais avec elles… C’était presque une crise cardiaque chaque jour (rires), un rêve qui devenait réalité.

© Roxy

C’est donc cette compétition à Biarritz qui t’a donné envie de te lancer dans une carrière professionnelle ?

J’ai toujours été très compétitrice, mais quand je me suis retrouvée à Biarritz, aux côtés des meilleures longboardeuses du monde, je me suis dit que c’est là que je voulais être. Cette fois-là, j’ai perdu au premier tour parce que j’étais beaucoup trop nerveuse, mais j’ai décidé que c’était ce que je voulais faire. J’ai gardé ça dans un coin de ma tête et je ne savais pas si ça allait prendre 1 an, 5 ans ou 10 ans, mais c’était mon objectif. Par la suite, j’ai été sur le Tour pendant 14 ans et j’ai failli remporter un titre mondial à plusieurs reprises. Mais je pense que la chose la plus gratifiante a été de surfer avec mes idoles, de faire des compétitions avec elles, de devenir leur amie et de les battre de temps en temps (rires).

De ton point de vue, que pourrais-tu nous dire de l’évolution du longboard au Brésil depuis tes débuts ?

Quand j’ai commencé, il y avait très peu de jeunes filles et de jeunes garçons qui surfaient en longboard, parce que c’était ‘beaucoup plus cool‘ de surfer en shortboard. Il y avait aussi pas mal de stéréotypes autour du longboard, comme quoi c’était pour les vieux ou les débutants. Beaucoup commencent le surf par le longboard et dès qu’ils sont à l’aise et autonomes dans l’eau, ils passent sur une planche plus courte. Moi ça a été l’inverse. J’ai commencé sur un shortboard avant de passer sur un longboard. Mais aujourd’hui les choses changent et je trouve ça génial de voir tous ces jeunes faire du longboard. Il n’y a plus ces clichés autour de l’âge.

© Roxy

Pourrais-tu nous parler plus précisément de la communauté longboard brésilienne et de ton rapport avec elle ?

Il y a une grosse communauté longboard au Brésil. J’ai grandi à Macumba Beach, l’un des spots de longboard les plus iconiques du Brésil, en faisant du longboard avec mon père et ses amis, je ne connaissais personne de mon âge qui en faisait. Tous mes amis de l’école faisaient du shortboard et allaient sur une autre plage. Mes premiers ‘amis de surf‘ étaient donc des adultes et ils m’ont prise sous leur aile, en me transmettant la technique mais aussi la culture du longboard. La communauté dans laquelle j’ai grandi est très solidaire, je me suis toujours sentie soutenue et bien accueillie. Aujourd’hui le longboard devient de plus en plus cool, amusant, loin de la performance ou de la compétition. Je pense que c’est parce que beaucoup de gens admirent le surf rétro et souhaitent revenir à l’essence même du surf, à ses racines, le surf ayant commencé par le longboard dans les années 50. Quand on pense au surf fun, on pense tout de suite au longboard qui permet de s’amuser même quand les vagues sont toutes petites. Puis c’est plus simple à apprendre, plus facile à la rame, on se sent plus à l’aise dans l’eau… Je trouve le longboard plus démocratique, il accueille tout le monde, peu importe si tu surfes tous les jours, une fois par semaine ou une fois par mois. Le longboard a cette capacité à réunir.

Dirais-tu qu’il y a autant de soutien autour du longboard de la part du public brésilien qu’autour du shortboard ?

Je pense qu’au delà de la discipline, le brésilien est très chaleureux, qu’il sait encourager et soutenir ses athlètes, quel que soit le sport. Il sont très patriotes. Pendant les JO de Paris, c’était presque un jour de fête nationale quand le Brésil remportait une médaille. Moi-même je reçois beaucoup de soutien du peuple brésilien quand je suis en compétition, même quand je suis dans un pays où il y a plus de 10 heures de décalage horaire. Les gens restent éveillés toute la nuit pour regarder les séries, c’est assez incroyable. Mais le longboard possède deux visages, le côté compétition et toute la partie free surf, beaucoup plus chill, plein de bonnes vibes et loin de la performance. Et je pense que la communauté brésilienne se répartit bien dans ces deux mouvances.

© Roxy
© Roxy

Après une longue carrière sur le Tour, tu as récemment annoncé que tu faisais une pause. Qu’est-ce qui a motivé cette décision ?

J’ai dédié une très grande partie de ma vie à ma carrière de sportive, qui a commencé l’année de mes 12 ans et je vais en avoir 30. Ces dernières années, j’étais tellement concentrée sur mes résultats, que je n’arrivais plus à profiter de toutes les belles opportunités qu’offre le surf, voyager dans le monde entier, avoir la chance d’aller dans des endroits incroyables… Je me suis toujours beaucoup mis la pression toute seule. Une pression que ne me mettaient ni mes sponsors ni ma famille. Je suis très perfectionniste et que je sois seconde ou dernière, je le vis très mal. Ces derniers temps, je sentais que je m’éloignais de moi-même, de l’essence du surf qui, pour moi, est liée à l’amour de la nature, l’amour pour la pratique et je sentais que je me déconnectais de ma passion. Si je ne gagnais pas je ne m’amusais plus, mais c’est très dur de se maintenir au top niveau dans toutes les compétitions.

Ça n’a pas dû être une décision facile à prendre…

Ça a été la décision la plus difficile à prendre de ma vie, mais aussi la meilleure. Ça fait 9 mois que j’ai fait ce choix et je prends à nouveau beaucoup de plaisir à surfer, à essayer plein de nouvelles planches très différentes dans de bonnes conditions. Ça me fait beaucoup de bien de ne pas avoir à réaliser un gros score sur chacune de mes vagues.

© Roxy

Au moment de prendre cette décision, qu’est-ce qui s’est avéré le plus difficile ?

Au fil du temps, mon rapport à la compétition était devenu comme une sorte de relation amoureuse toxique. Je savais que ça ne me faisait pas me sentir bien, mais comme j’en faisais depuis tant d’années, je n’imaginais pas ma vie sans. Je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire d’autre, dans quoi j’étais douée, parce que je ne connaissais pas grand chose d’autre en dehors de ça. Je connaissais bien la Chloe Calmon athlète, mais pas vraiment la Chloe Calmon en dehors de la compétition. C’était assez effrayant au début, mais je savais que c’était à moi de prendre cette décision, que personne n’allait le faire pour moi.

Quels échos as-tu reçu, une fois que tu as rendu ta décision publique ?

J’ai eu des retours très positifs, mes sponsors, mes amis et les gens qui me suivent m’ont soutenue. Mais pendant les premiers mois, j’ai gardé ma décision secrète parce que je me disais que les gens me voyaient comme quelqu’un de fort et j’avais peur qu’ils perçoivent ma décision comme un échec, une faiblesse ou un abandon. Puis je me suis rendue compte qu’elle a été perçue comme un acte de courage, surtout le fait que je m’exprime publiquement. C’est finalement un très beau moment de ma carrière.

© Roxy

Comment as-tu vécu cette transition, de la compétition à un surf plus cool, davantage lié au plaisir ?

Il a fallu quelques mois à mon cerveau pour ne plus penser à la performance. Mais maintenant je me sens beaucoup plus légère. Ce que je souhaite par dessus tout, c’est de ne jamais perdre ma passion pour le surf, j’ai envie de ressentir autant d’excitation et de plaisir que quand je suis arrivée à Biarritz pour la première fois. Mon père, à 70 ans, est le surfeur le plus enjoué que je connaisse et je veux être comme lui plus tard. Et je sens que cette pause dans ma carrière me permet de prendre ce chemin. Même si je compte bien reprendre la compétition.

C’est justement un point que l’on souhaitait aborder. Penses-tu reprendre la compétition un jour ?

Oui, mais j’y reviendrai le jour où je sentirai que je suis prête à 100%. Je ne veux pas revenir à moitié. Je sais que si je fournis la moitié des efforts nécessaires, je n’aurai que des résultats médiocres et je serai frustrée. Je suis sportive depuis mon plus jeune âge, ce qui m’a appris la discipline et comment travailler pour atteindre mes objectifs. Donc si je me lance dans quelque chose, je veux le faire à 100%. Puis le longboard n’a jamais été aussi proche d’être aux JO, ce qui est une très bonne motivation pour revenir. Mais pour l’instant je me concentre pour finir mon diplôme de business et de management. Je devrais être diplômée dans 2 mois et je suis fière de ça. J’apprécie beaucoup le fait de percevoir le surf différemment, loin de la compétition. C’est nécessaire si je veux que ma carrière soit durable.

© Roxy – Serena Lutton

Que dirais-tu que cette année off, loin du Tour, t’apporte ?

Ça m’a permis de prendre conscience de ce que j’aimais en dehors de la compétition. J’ai le sentiment d’avoir enfin une vie personnelle en parallèle de ma vie d’athlète et j’adore passer du temps en extérieur, dans la nature et surfer pour le plaisir. Maintenant je sais que je peux désactiver le mode ‘athlète’ et activer le mode ‘humain’ (rires), accepter mes émotions et me laisser aller à ça. Pendant des années je n’acceptais pas de dévoiler ma vulnérabilité et ma fragilité, que ce soit aux autres ou à moi-même. Mais comme tout le monde, un athlète a des bons et des mauvais jours, connait des périodes de grande motivation et des moments sans. Je pense que c’est important d’accorder plus d’importance à la santé mentale comme c’est le cas aujourd’hui, dans le surf et dans le sport en général. Tout le monde y est confronté à un moment donné et très peu de gens en parlent. Au début, j’étais effrayée à l’idée de le faire, parce que je ne savais pas comment les gens allaient réagir.

Pour surmonter tout ça, avais-tu des outils, un accompagnement psychologique, un coach mental… Ou bien est-ce que tu a géré les choses toute seule ?

Quand j’ai décidé de faire une pause l’année dernière, la saison touchait à sa fin et ensuite je n’ai pas surfé pendant trois mois, alors que je vivais face à la plage. Je ne voulais plus entendre parler de surf ni toucher une planche. J’ai reçu beaucoup de soutien de ma famille, de mes amis et de mes sponsors. J’ai travaillé avec une psychologue du sport pendant presque 10 ans, qui est devenue une amie. On a donc dû arrêter la thérapie. Ça m’a pris quelques mois avant de faire à nouveau appel à quelqu’un, mais j’ai un nouveau psy, qui n’est pas spécialisé dans le sport et c’est ce dont j’avais besoin. Je gardais certaines choses en moi depuis très longtemps et ce n’était pas bon. Il ne faut pas attendre que la coupe soit pleine et qu’elle déborde avant de réagir.

© Roxy – Serena Lutton

Comment s’est passée ta reprise du surf ?

Je suis allée en Indonésie pendant deux mois en début d’année. C’était la première fois depuis très longtemps que je ne voyageais pas pour une compétition, pour m’entraîner, pour shooter ou pour une activation avec l’un de mes sponsors. C’était génial de faire du free surf sans penser à la performance. En plus, j’avais toujours voulu aller en Indonésie et toutes les fois où j’y avais prévu un voyage, il y avait toujours une compétition qui se calait à ce moment-là, qui m’obligeait à changer mes billets. Je pense que ça a été l’un des meilleurs voyages de ma vie, j’ai rencontré beaucoup de gens dont la vie tourne autour du surf mais qui évoluent bien loin des compétitions et qui ne vivent pas pour la performance. Ce voyage a ouvert mes perspectives.

Dans quel état d’esprit es-tu aujourd’hui ?

Je suis très contente d’avoir vécu tout ça. Après en avoir parlé avec des amis qui pratiquent d’autres sports, dont certains ont été des athlètes olympiques, en judo, en natation, en voile, j’ai découvert qu’ils étaient passés par les mêmes choses que moi, bien qu’en surf, ce soit plus facile que dans d’autres sports, où il n’y a pas vraiment de soutien possible de la part des sponsors en dehors de la compétition. Contrairement au surf, qui possède un si beau lifestyle, une telle connexion avec la nature, les gens, ce bien-être lié au fait d’être actif et en bonne santé et toute cette dimension free surf… Autant de choses qui sont pour moi la vraie essence du surf et je suis heureuse d’être à nouveau connectée à tout ça.

Quels sont tes projets pour les mois à venir ?

Je reviens du Sri Lanka. C’est aussi un pays où je rêvais d’aller depuis longtemps et où je n’étais encore jamais allée parce qu’il n’y a ni compétition ni vague de classe mondiale. J’ai plusieurs voyages prévus dans les mois à venir, aux Maldives, au Costa Rica, au Brésil… J’ai aussi eu la chance de participer à des retraites, en tant que coach de longboard. C’est assez marrant parce que d’habitude chaque année, j’écris tous mes objectifs dans un cahier, je planifie mon année à venir, je suis dans le contrôle total de ce qui va arriver. Mais cette année, pour la toute première fois, j’essaye de ne pas trop prévoir les choses à l’avance, je me laisse porter et j’essaye d’écouter mon cœur. Je vis mois après mois et je ne sais pas encore quels seront mes plans pour l’année prochaine.

© Roxy
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