Un peu excédé et à vrai dire rendu mal à l’aise par les torrents d’inepties, d’invectives abjectes, pétitions risibles et autres théories conspiratrices des plus fumeuses qui vomissent des réseaux sociaux et autres sites surfistiques plus ou moins sérieux depuis le dernier jour du Pipeline Masters et la diffusion de la liste officielle du Top 34 pour 2014 (wildcards comprises), j’ai décidé de prendre ma plume. Non pas parce que mon avis ne change quoi que ce soit, et qu’il y a de raisonnables chances que vous vous en tapiez complètement, mais parce que Surf Session m’a demandé de réfléchir à une nouvelle chronique, une sorte de billet d’humeur où j’exprimerais mon opinion, expliquerais une notion plus ou moins vaseuse ou fourrerais mon -gros- nez là où l’actualité le guide (ou pas). C’est donc au sortir d’une intense séance de brainstorming entre moi-même et une bouteille d’excellent Merlot que je me suis décidé à écrire sur ce fiasco général annuel que l’on appelle la fin de saison ASP, dénouement oh combien théâtral où surfeurs, fans et media s’empressent de ruer dans les brancards à chaque embardée d’un système qui pourtant repose sur ses propres adeptes.
Pour les braves qui auraient survécu à mon assommoir du mois dernier sur le système ASP, avant tout bravo, vous avez découvert que la concision n’est pas vraiment mon fort, aussi je m’efforcerai de ne pas être aussi exhaustif aujourd’hui et ai donc la bêtise d’espérer que les termes de « WCT, Prime, Star Events, Injury wildcards, replacement seeds » font désormais partie intégrante de votre vocabulaire quotidien.
WCT / World Ranking: le dédale de la (non) qualification ou le jeu des chaises musicales sur un air de Marche Funèbre de Chopin
Afin d’être plus visuel et moins relou, j’ai donc préféré mettre les choses à plat, et ai décidé de réajuster les classements en recomptant tous les points de tous les surfeurs du Top 50, en enlevant les résultats obtenus sur le WCT (oui, le Merlot rend ma vie complètement palpitante).
On se rend compte alors que le « World Ranking » est une véritable hâblerie, une sorte de système de Ponzi où les intéressés sont convaincus que quelque part ils sortent gagnant alors que cela ne profite qu’aux pensionnaires de l’étage supérieur. Il suffit de comparer les deux Top 20 ci-dessous. Comme expliqué en Novembre, les surfeurs du WCT bénéficient du luxe de pouvoir compter sur leurs deux meilleurs résultats de la saison WCT (hors dernière et avant-dernière places), soit un tiers de leurs 6 résultats comptant pour ce classement « universel », qui n’est en finalement véritablement accessible qu’à 34 surfeurs au monde. Le classement est donc foncièrement inégalitaire: le premier non-pensionnaire du WCT y aura d’ailleurs terminé 22ème (Jadson André).
Le premier surfeur du WCT a avoir un véritable classement mondial est par contre Alejo Muniz, qui compte tous ses 6 meilleurs résultats issus du circuit PRIME et Stars, ce qui certes prouve que sa saison WCT a été bien moisie, mais qui montre surtout qu’il mérite sa re-qualification pour 2014 en étant le vainqueur du circuit World ranking, pour peu qu’il existât pareil concept.
Comme vous pourrez le voir sur mon classement, les différences de points entre le classement officiel et le mien sont drastiques, mais surtout on peut avoir une vision claire de la réalité des classements de tous les surfeurs mondiaux sur une seule et même base. Pas de passe-droit, seuls les 6 meilleurs résultats de la saison hors WCT (même tarif pour les replacement seeds) comptent. La plupart des surfeurs du WCT perdent en moyenne 13.000 points, et une bonne quinzaine de places, prouvant l’absurdité du système. La palme du pincement au coeur revient par contre à MM. Mitch Coleborn et notre Marc Lacomare national, qui si le classement était équitable, seraient qualifiés pour le WCT en tant que 9ème et 10ème meilleurs surfeurs du World Ranking. (je n’ai pas trafiqué les classements, ne suspectez pas une subite montée de chauvinisme de ma part, les gens qui me connaissent savent que j’ai la fibre patriotique d’un réfugié apatride.)
Malheureusement les choses ne se passent pas ainsi, et la fumisterie continue, Willian Cardoso par exemple, hérite à nouveau pour 2014 d’une énième place de remplaçant en tant que « second meilleur classé » sur le World Ranking…cependant si on lui enlève ses résultats sur le WCT de 2013, échoue… à la 48ème place du classement… sa place devrait donc revenir à Granger Larsen ou Ezekiel Lau, les deux Hawaiiens se partageant la première place non qualificative dans mon classement…
Suivant ce modèle, le WCT 2014 compterait alors 6 nouveaux pensionnaires non issus de la re-qualification, voire 7 ou 8 avec les replacement seeds lors des épreuves comptant des blessés, ce qui apporterait bien plus de sang frais sur le Tour, et surtout motiverait autant les internes du WCT à se bouger pour se maintenir, que cela éclaircirait la voie des surfeurs de la « Ligue 2 » qui veulent se qualifier, ayant alors une véritable vision de leur saison et surtout n’ayant plus à attendre, impuissants, que les ténors finissent leur compétition au Pipe pour être fixés sur leurs sorts pour la prochaine saison.
Bref tant que les surfeurs n’élèveront pas leurs voix pour manifester contre un système ouvertement inéquitable, les drames continueront de se répéter saison après saison et les menhirs du WCT continueront de stagner dans le dernier tiers du classement, occupant la plupart du temps des sièges qui devraient revenir à plus motivés et souvent plus talentueux.
« Qui se sent morveux, qu’il se mouche »…
…répondit La Flèche à Harpagon: Richie Porta (chef juge ASP) aura été peut-être un peu trop prompt à s’asseoir au webcast et tenté d’expliciter la notation de Mick Fanning, à grands renforts de ralentis qui ne plaidaient pas forcément en sa faveur, alors même que la compétition était encore en cours.
Il y a une nuance particulièrement subtile entre explication et justification, et généralement quand on se précipite vers la seconde, c’est que l’on sait qu’on a quelque part manqué de clarté, ou pire. « Vague plus grosse, plus petite, plus creuse, plus technique… », la dizaine de milliers de spectateurs sur la plage et de millions sur les webcasts auront assisté à un spectacle aussi grandiose qu’inconfortable, car nombreux étaient et demeurent les incrédules, déchirés entre un finish aussi dramatique et une notation aussi cryptique.
Le talent du panel des juges n’est pourtant pas à remettre en cause, c’est une équipe soudée et professionnelle, mais qui repose sur des critères délicats à interpréter et appliquer, laissant une marge d’erreur qui parfois paraît douloureusement trop épaisse, qui plus est quand on navigue dans la notation des dixièmes quintessenciés séparant l’excellence de la perfection.
Les décisions sont prises et rarement révocables, et tous les compétiteurs s’y retrouvent confrontés (on tend à oublier le nombre de fois où des décisions sibyllines étaient en faveur de Kelly). Sur Pipeline les surfeurs du CT se sont fait une raison, et sans mal, car si la forme peut certes être discutable, le fond reste le bon : le titre de meilleur compétiteur pour la saison 2013 a été décerné à Mick Fanning, et cela personne ne peut le contester.
Le public tend parfois a négliger le fait que l’ASP ne sacre pas le meilleur surfeur du Monde, mais son meilleur représentant en lycra.
« Non, désolé le p’tit là il rentre pas »
La dernière polémique en date est celle de l’attribution des deux wildcards pour 2014 à Owen Wright (AUS), blessé au dos, et Tiago Pires (POR), blessé au genou, tous deux OUT depuis Bells Beach.
Bien que celle d’Owen paraissait naturellement acquise (3ème en 2011 après 3 finales successives et toujours dans le Top 10 depuis son entrée sur le Tour en 2010), j’avoue que j’avais par contre solidement parié sur Glenn Hall comme second bénéficiaire à la place de Tiago.
Enfin Rookie après plus de 10 ans à essayer d’intégrer l’élite, « Micro » avait plusieurs bons points: bon début de saison avec des scores solides et une 9ème place à Rio en ayant sèchement éliminé Parko, Glenn se blesse gravement durant une étape du Tour (triple fracture des vertèbres sur le reef de Fidji). Il est particulièrement aimé des surfeurs sur le Tour, notamment par ceux qu’il coache, Wilko et son meilleur ami Ace Buchan, qui est également représentant des surfeurs pour l’ASP, et a donc son mot à dire au comité technique… J’ai également eu l’occasion d’en discuter lors du WLT en Chine avec Chris Prosser, le chiropracteur du Tour, lui aussi membre du IWC (comité d’attribution) et soignant activement « Micro » depuis sa blessure, qui me confirmait que son dossier de demande de wildcard était plus que solide…
…Mais à la surprise générale, c’est le « tigre portugais » Tiago Pires qui s’est vu offrir l’invitation pour 2014. Dans sa sixième saison sur le Tour et n’ayant jamais fait mieux que 21ème (en 2010), Tiago est depuis en chute libre au classement avec des re-qualifications de dernière minute, et une saison en dents de scie avec une blessure au genou persistante qui le tenait éloigné des étapes du Tour, mais pourtant pas forcément des vagues ces quelques derniers mois vu qu’il enchaînait les free sessions depuis cet Été, testant la résistance de son genou aux Maldives loin du flat estival Européen…
Bien entendu, les initiés vont s’empresser de comparer la gravité/réalité de la blessure, les courbes de carrière de Glenn contre Tiago (l’un vient de se qualifier et semble prometteur; l’autre lutte pour se maintenir après 6 saisons toujours dans le dernier tiers du classement), mais il ne faut pas oublier que les critères d’attribution des wildcards pour blessure sont plutôt ésotériques.
Ainsi peut-on également envisager que d’autres facteurs sont aussi pris en compte, comme pourquoi pas la région d’origine du surfeur concerné, son impact médiatique et marketing, le nombre de compétitions qui y sont organisées, et surtout quelles pourraient être les éventuelles conséquences pour l’ASP de choisir de ne pas requalifier le seul représentant d’un pays qui, par exemple le Portugal, accueille 25% des épreuves Prime mondiales, deux WCT (plus que les USA) et place le surf en priorité média nationale lors du passage des épreuves sur ses terres… de quoi laisser songeur sur les véritables tenants et aboutissants d’une décision à l’origine médicale et sportive…
Quoi qu’il en soit, décision a été prise, et Glenn de se retrouver refoulé au pas de porte après avoir lutté dans la file d’attente pendant une décennie pour toucher du doigt son rêve…sur seulement trois étapes.
L’ASP, n’ayant jamais été assaillie par autant de demandes de wildcards, et très certainement un brin embarrassée par cette décision plutôt inique, a de nouveau fait fi de son règlement et des surfeurs qui le suivent, et comme lot de consolation a imposé Glenn Hall comme premier remplaçant pour 2014 (replacement seed) poussant ainsi Mitch Coleborn au second rang, et boutant donc définitivement Marc Lacomare hors d’atteinte potentielle des WCT pour 2014.
Ce fut donc une dernière semaine ASP à l’image de la saison qui vient de s’achever, pleine de drames, de joies et de controverses. À l’aube de l’ère ZoSea et de la tant attendue professionnalisation du système avec, pour objectif avoué l’ouverture du surf professionnel vers le grand public, il semblerait que les têtes pensantes aient quelques difficultés à faire de ce système une machine organisée, professionnelle et lisible.
On peut donc se poser légitimement la question : si les initiés ont du mal à suivre et comprendre leurs décisions, quelle image vont-ils pouvoir présenter aux profanes?
Julien « Vico » HAMEL
On passe de « dixièmes quintessenciés séparant lexcellence de la perfection » à « Juin sur le sled, 2014 reste au bled » hahahaha ! Y’a que Vico pour passer du mot compliqué à la blague vaseuse avec autant de naturel ! Aussi agréable de te lire ici que de t’écouter sur les compétitions poulet ! Bravo pour ce nouvel article et remercie ton Merlot pour t’avoir donner la force de recalculer tous ses totaux pour nous ! Beau boulot, bravo !
Cynique, juste, drôle, sarcastique, cultivé…et tout ça avec une légitimité incontestable et unique dans le surf français. Merci Vico pour relever le niveau du journalisme surf en France, merci d’appuyer là où ça fait mal de façon intelligente et argumentée, merci à Surf Session de faire appel à un intervenant qui dit très bien tout haut ce que tout le monde pense mal tout bas. Bravo, on en redemande ! Bonnes fêtes ! Arthuro
Très bien résumé la situationmy dear VICO!
Je pense personellement que tu as raison sur bien des points, en loccurrence l’avantage qu’est donné au WCTers par rapport a ceux qui se battent sur les primes. Pourtant ils ont déja fait des efforts au fur et a mesure la dessus, quelques ajustements encore a faire au niveau de l’équilibre des points entre les deux circuits.
Les WCTers eux te diront (avec plus ou moins de mauvaise fois) qu’ils ne peuvent pas tout faire et se concentrer sur deux circuits afin de s’assurer une requalification.
Deuxiemement, concernant le jugement sur le pipe je suis aussi d’accord avec toi et mon crew aussi on a halluciné quand la note est tombée. Ca a entaché un brin ce que je considere comme un des meilleurs moments de surf qu il m ait ete donné de voir su le webcast!!!
Mais je pense que remettre toujours en question l’ASP ne va pas nous aider a nous ouvrir vers un autre public au contraire (bien ou pas) mais tu as aussi raison dans le fait que c’est fait a l’arrache, et qu’ils devraient serieusement a faire bosser un avocat pour ajouter quelques chapitres et apprendre des décisions qui ont déja été prises et essayer d’anticiper des décisions difficiles a prendre ou agrandir le cercle de ceux qui décident afin d’obtenir des votes plus démocratiques. Kenavo!
Excellent!Merci
J adore
Avec une pointe d humeur de grâce de poésie très agréable. A lir un grand bravo et un grand merci
Surement le meilleur article que j’ai lu sur le surf en compétition.. Bravo.
+++, merci, bel article !