"J'avais envie de pousser beaucoup plus loin la dimension artistique de mon travail et la recherche photographique autour du mouvement, de la matière, de l'eau, des détails."
18/11/2021 par Rédaction Surf Session
Le photographe Ben Thouard sort son nouveau livre Turbulences, quatre ans après Surface, son premier ouvrage.
Turbulences est le fruit de quatre années d’un travail passionné et acharné à photographier la vague de Teahupo’o quotidiennement et dans tous ses états. Cette parution est l’occasion pour nous de revenir sur le parcours et le travail fascinants de ce photographe dont le nom est, depuis plusieurs années maintenant, indissociable de celui de Teahupo’o. Vous êtes tous forcément déjà tombés sur une de ses photos. Dès qu’un swell réveille le spot tahitien, en plus d’y être tous les autres jours de l’année, Ben se met à l’eau. Il shoote les vagues et les surfeurs qui s’y élancent. Il photographie ses sujets de l’intérieur, fait corps avec l’élément. C’est sans doute cela qui rend son travail si puissant.
Parler de passion à propos de Ben et de l’océan serait presque un euphémisme. Le terme d’obsession serait sans doute plus approprié. Il définit une idée, une image qui s’imposent sans relâche à notre esprit. Ben est fasciné par l’océan, ses mouvements, ses « turbulences ». La vague de Teahupo’o monopolise son objectif et son énergie, elle est au centre de sa vie, de son oeuvre, de son art. Très jeune, après avoir découvert le surf, il nourrit cette passion pour l’océan qui ne tarde pas à dessiner les courbes de sa vie, à la façonner et le guider jusqu’à ce qu’il fait aujourd’hui. Son goût pour l’art, pour la peinture puis la photographie, survenu au cours de son adolescence se mêle à sa passion première et crée du sublime. Il suffit de tourner les pages de Turbulences pour le vérifier.
Nous avons échangé avec lui sur son travail, son parcours depuis l’enfance, son lien avec cette vague mythique et le processus artistique qui est à l’origine de ce nouveau livre. Plus que n’importe quel autre photographe, Ben Thouard documente la puissance, le mystère et les détails qui font Teahupo’o.
Qu’est ce qui est à l’origine de ton nouveau livre, Turbulences ? Y a-t-il une réflexion ou un processus créatif à la base de ce projet ?
Ben Thouard – « Turbulences est arrivé quatre ans après le précédent, Surface, qui était épuisé. Dès que j’ai édité Surface, j’ai tout de suite commencé à travailler sur une nouvelle collection d’images. J’avais envie de pousser beaucoup plus loin la dimension artistique de mon travail et la recherche photographique autour du mouvement, de la matière, de l’eau, des détails. Je souhaitais montrer encore davantage l’envers du décor, ce que l’on trouve sous la surface de l’eau. C’est un approfondissement de mon travail dans l’eau. Quatre ans ont été nécessaires à la réalisation de mon nouveau livre.
Je suis passionné par l’eau, j’adore y passer du temps et je suis fasciné par ce que l’on voit sous la surface à Teahupo’o. Je suis également photographe. Ces deux choses se sont réunies à des fins artistiques et créatives. Il n’y a pas de message particulier dans mon travail, je suis pas un activiste environnemental mais je suis très sensible sur le sujet de la protection des océans. Je suis aux premières loges des problèmes qu’il peut y avoir. Si mon travail peut sensibiliser et informer les gens j’en serai ravi mais ce n’est pas la cause première de mon travail.
Peux-tu nous parler de la relation que tu entretiens avec la vague de Teahupo’o ?
Ben – J’ai déménagé à Tahiti il y a 14 ans suite à un coup de coeur. C’est devenu mon terrain de jeu, mon jardin. J’y vais quotidiennement, j’attends les bonnes conditions. Je peux parfois passer quatre ou cinq heures dans l’eau pour shooter deux ou trois photos. Ce sont des choses bien précises, que j’attends et qui n’arrivent pas souvent, qu’il faut savoir saisir. Puis parfois c’est simplement le fait d’être là, attentif à une certaine lumière ou à une certaine atmosphère que je réussis ensuite à capturer. C’est un rituel pour moi d’aller tous les jours sur cette vague. Je recherche des choses particulières tout en restant ouvert à ce qui vient à moi. Quand j’y vais il peut y avoir un mètre comme beaucoup plus. Je recherche des choses différentes en fonction de ça. Quand c’est énorme comme le dernier swell du mois d’août je trouve des choses extraordinaires en termes de hauteur, de puissance. Mais lors des petits jours il y a aussi des choses à regarder, à aller chercher, qui sont tout aussi extraordinaires.
Qu’est ce qui t’a amené à faire de la photographie aquatique ?
Ben – Ça a été naturel pour moi. Je suis surfeur depuis tout petit. Je suis originaire du sud-est de la France, c’est là bas que j’ai appris à surfer. Je suis passionné par la mer, les vagues. Ça a été ma première passion. La photo est venue plus tard, à l’adolescence. J’ai commencé à faire de la photo avec un vieil appareil et quelques films. Je shootais de la plage sans avoir la possibilité d’aller dans l’eau et ça a tout de suite été une frustration de ne pas pouvoir être au contact des surfeurs, des vagues. J’avais envie d’être au plus près de l’élément, d’être immergé dans ce milieu. J’avais du mal à shooter le surf ou les vagues de l’extérieur. Depuis le début j’ai eu envie de faire des photos dans l’eau et c’est resté quelque chose de primordial pour moi, de faire partie de cet élément et de montrer cet univers depuis l’intérieur.
Quand tu shootes, tu privilégies les vagues ou bien les surfeurs ?
Ben –Pendant des années j’ai été photographe de surf. Je shootais tous les athlètes qui venaient s’entraîner à Teahupo’o ou ailleurs, pour les magazines, les campagnes publicitaires… Ça a été fabuleux de faire tout ça, mais j’avais envie de montrer quelque chose de différent dans mon travail personnel. Il y a potentiellement du surf, qui occupe toujours une part encore importante dans mon travail. Mais je voulais montrer davantage l’envers du décor, des choses que l’on a pas l’habitude de voir dans les magazines de surf ou chez les marques. Un univers un peu plus caché, plus suggéré que l’on trouve sous l’eau. Le surfeur est encore présent mais pas forcément tout le temps. Je me concentre sur les mouvements de l’eau, les turbulences. Une fois de temps en temps il y a un surfeur qui passe, quelqu’un qui bouffe sous l’eau ou qui se fait aspirer par une vague. C’est tout ce que l’on retrouve sous l’eau, le surfeur est parfois suggéré, parfois absent…
Est-ce que tu suis un entraînement physique en parallèle de ton travail de photographie ?
Ben –Je ne m’entraîne pas particulièrement pour ça, mais je shoote à la nage plusieurs fois par semaine, je surfe aussi plusieurs fois par semaine. C’est davantage un mode de vie. C’est sûr que ça nécessite des conditions physiques particulières, il faut être en forme, savoir nager, où se placer… Mais je ne m’entraîne pas spécialement. C’est davantage mon style de vie quotidien qui m’y prépare.
Et parfois as-tu peur quand tu te mets à l’eau à Teahupo’o ?
Ben –Oui bien sûr. Quand on est à la nage, seul face à l’océan, on vit des moments d’intimidation et de solitude. Ça peut être très impressionnant et on reste toujours humble. La peur fait partie de certaines de mes sessions. Même lorsque ce n’est pas énorme on peut parfois se retrouver coincé à l’intérieur d’une vague avec un mètre de fond sur le récif. On sait qu’il y a des risques, que c’est hyper puissant. Mais c’est aussi ce qui permet de jauger le risque et de savoir là où on peut aller ou non.
À propos de ton nouvel ouvrage, Turbulences, tu évoques avoir découvert des similitudes étonnantes entre ce qu’il se passe en dessous et au dessus de la surface de l’eau. Peux-tu nous en parler plus précisément ?
Ben –Dans le travail que j’ai mené pour Turbulences, je me suis beaucoup concentré sur la dimension sous-marine. Il y a à peu près deux tiers des photos qui sont prises sous l’eau. Ce n’est pas que je ne voulais pas shooter au dessus de l’eau mais j’étais focus sur ce qu’il se passait en dessous. Quand je me suis mis à refaire des photos hors de l’eau, en bateau, en jet ski et même à la nage mais en regardant au dessus, j’ai retrouvé des textures et des formes similaires avec le dessous de l’eau. Je trouvais ça intéressant à observer.
C’est important pour toi que de ton travail résulte un objet papier ?
Ben –Oui complètement ! Avec Turbulences on a beaucoup plus travaillé sur la maquette, la dimension « livre objet ». C’est important que ce soit un objet d’art. Qu’en plus d’un contenu proposé il y ait quelque chose de soigneusement réalisé, avec des matériaux choisis et sélectionnés, dans la prolongation de mes photos. Mes photos sont une sorte d’acharnement, de recherche de la perfection, de quelque chose de précis. J’avais envie de pousser la chose jusqu’au bout, de confectionner un livre et de proposer quelque chose de vraiment particulier. Ça passe par le choix des papiers, la façon de le mettre en page, de présenter les photos… J’espère que le livre sera apprécié comme un objet particulier, au-delà même de son contenu. »