Britt Merrick : le shape en héritage

Lors de son dernier passage à Biarritz, le shapeur avait pris le temps de revenir pour nous sur son histoire personnelle, sa vision du shape et sa façon de travailler.

14/01/2021 par Marc-Antoine Guet

C’est un nom qu’il n’est pas facile de porter. Un héritage à la fois lourd et plein de promesses. Lors de son dernier passage à la Shaper House de Biarritz, Britt Merick, assis sur une chaise de barbier prêt à se faire tailler la barbe, avait pris le temps de revenir pour nous sur son histoire personnelle, sa vision du shape et sa façon de travailler. Un entretien passionnant et plus que jamais d’actualité, alors qu’en novembre dernier Channel Islands est revenue à ses racines en redevenant une entreprise familiale. 

Britt, d’où vient cette barbe ?

Britt Merick – « Les Merrick aiment bien chasser. Que ce soit moi, mon père, mon fils… Et il y a quelques années nous étions en voyage dans le Montana pour chasser et nous avons campé dans les bois pendant une dizaine de jours. Je ne me suis donc pas rasé. Et à mon retour en Californie, je m’apprêtais à le faire quand mon fils m’a dit : « Papa, tu as l’air top avec ta barbe, ça te vas super bien, ne la rase pas ! »

Quel est ton premier souvenir de shape ? 

B.M – Mon plus vieux souvenir remonte à une salle de shape. J’ai grandi dans une shaper house en fait. Mon père a commencé en 1969 et moi je suis né en 1972. Et à cette époque nous étions très pauvres. Mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Ils venaient d’emprunter 200 dollars pour lancer l’entreprise familiale que l’on connaît aujourd’hui.  Mon père comme ma mère devaient travailler toute la journée. Ma mère faisait des vêtements, quand mon père lui, fabriquait des planches de surf toute la journée. Je n’avais aucun endroit où aller si ce n’est traîner dans les pattes de mon père. Je passais mon temps avec lui dans les salles de shape, autour des pains de mousse. Mais je peux néanmoins me rappeler que depuis tout petit j’ai toujours été fasciné par le shape. Et je pouvais regarder mon père travailler à travers la porte pendant des heures. Je trouvais ça magique. La façon dont il prenait un pain de mousse banale pour le transformer en quelque chose de si jolie… J’adorais regarder comment il travaillait avec ses mains, la manière dont il se déplaçait, la manière dont il découpait le pain, etc. J’ai passé mon enfance et mon adolescence, à le regarder pendant des heures. Ce qui fait que le jour où j’ai pris mon premier pain de mousse, j’ai senti que c’était naturel. Je connaissais déjà les mouvements. 

Vous a-t-on déjà dit que vous aviez la même gestuelle ?

B.M – Non (rires). Peut-être que c’est vrai. J’essaye en tout cas. Mais je l’ai tellement regardé que ce que je fais aujourd’hui je le fais naturellement. J’ai la même approche que lui c’est vrai. J’utilise les outils de la même façon que lui les utilisait. Je suis toujours surpris de voir d’autres personnes shaper, parce que je n’ai connu que mon père. 

Justement, as-tu, à un moment, ressenti le besoin de travailler avec d’autres personnes, de te nourrir d’autres influences ? 

B.M – Je le fais beaucoup aujourd’hui. Mais au début, habitant Santa Barbara, nous étions un peu à l’écart des autres shapeurs. Il n’y avait donc pas beaucoup d’autres gars dans le coin à shaper des planches high performance. Mais travailler avec mon père fut génial pour moi car nous avions toujours à la maison les meilleurs surfeurs de la planète. Ils travaillaient presque tous avec mon père. Il y avait donc beaucoup à apprendre d’eux. 

Enrichissant pour un jeune de ton âge !

B.M – Oh oui ! Eux comme mon père m’expliquaient toujours ce qu’ils faisaient et pourquoi ils le faisaient. Ils rentraient dans les moindres détails avec moi me montrant des choses sur les planches que je n’aurais jamais vu seul. Ils m’expliquaient pourquoi telle chose sur la planche avait tel effet dans l’eau. Et mon père m’a toujours dit que ma main devait être comme l’eau. Quand tu caresses une planche, il me disait d’imaginer que ma main était l’océan. Juste pour essayer de ressentir ce que la planche ressent  dans l’eau. C’est comme ça que j’ai appris. En le voyant discuter avec les meilleurs. 

Quelle serait la chose la plus importante apprise de ton père ?

B.M – C’est plus un ressenti. Par rapport à la flottaison. C’est essayer d’imaginer comment la planche se comporterait dans l’eau, comment le rocker devrait être, etc. Aujourd’hui, il te suffit de regarder le dessous d’une planche pour reconnaître une Channel Islands. Et mon père m’a appris une chose très importante : la beauté est une chose, la performance en est une autre. Et sa façon de voir les choses c’est : tout ce qui est performant, est alors jolie. Donc son but n’était pas juste d’avoir les plus jolies courbes possibles. Vous savez, aujourd’hui il y a beaucoup de belles planches, mais la plupart ne fonctionnent pas très bien. Et pour nous, il n’y a rien de plus important que la performance.

Justement, avec le modèle Flyer sorti en 1999, Channel Islands a participé à l’évolution du shape et de la performance.

B.M – Avant que le Flyer n’apparaisse, les planches étaient beaucoup plus longues. Et la raison pour laquelle le Flyer est apparu c’est que les surfeurs voulaient plus de vitesse. Ils ont donc demandé à mon père de fabriquer une planche comme ça. A l’époque, Kelly surfait une 6’2. C’est super long. Mon père a donc construit des planches plus courtes et plus fines. C’est la période à laquelle les shortboards sont devenus de plus en plus courts et de plus en plus fins. 

On se souvient c’est vrai de Kelly qui a surfé pour la première fois à Pipe avec un shortboard d’une taille encore jamais vu auparavant ! C’était une 5’6 ou une 5’8. Tout le monde l’a copié après.  Dane Reynolds le premier. En parlant de ça, quel effet ça fait de travailler avec Dane ? 

B.M – C’est super. Parce que Dane adore les planches de surf. Aujourd’hui, certains surfeurs adorent surfer mais n’aiment pas vraiment les planches de surf et le shape. Ils veulent juste quelque chose sur lequel ils peuvent surfer. Mais d’autres, comme Dane, adorent les planches de surf autant que le fait de surfer. On a donc une superbe relation. On échange beaucoup et Dane est un surfeur très intelligent. Il comprend  comment les planches fonctionnent.  Il aime bien y réfléchir et échanger. Il a en plus un talent énorme : celui de ressentir des choses infimes que la plupart des surfeurs ne ressentent pas. Il peut venir me voir en me disant qu’il y a un peu trop de curve sur le rocker. Ce genre de surfeur est rare. Il ressent plus de choses que la majorité des autres surfeurs mais il sait aussi identifier ce qu’il ressent. Travailler avec un gars comme ça c’est un régal. Il m’aide à repousser mes limites. 

Vous demande t-il des conseils ? 

B.M – Oui il le fait souvent. Il m’amène la planche et me demande ce que j’en pense. Parfois il shape et m’apporte la planche pour que je la termine, pour améliorer les finitions. 

Avec quels autres surfeurs est-il intéressant de travailler ?

B.M – Ezekiel Lau par exemple. Il apprend en ce moment le shape. Au départ il ne connaissait rien à propos des planches.  Mon père m’a aussi appris à éduquer les surfeurs au shape et aux planches. Nous shapeurs, nous devons pouvoir avoir la possibilité d’échanger avec les surfeurs si l’on veut progresser. Mais parfois ils ne savent pas pourquoi la planche réagit comme ça ou comme ça. C’est notre rôle de les éduquer. J’ai envie de dire à Zeke Lau, pourquoi sa planche se comporte comme ça. Lui expliquer pourquoi je veux raccourcir le tail ou le rocker. Et les surfeurs eux même s’améliorent car en comprenant leurs planches ils surfent mieux. Plutôt que de sortir surfer, s’énerver sur une planche et ressortir frustré, je veux qu’ils se disent : comment je peux l’améliorer. Mon père a passé tellement de temps avec ses surfeurs à leur expliquer comment ça fonctionne.

En parlant d’Ezekiel Lau, que penses-tu de la nouvelle génération. Est-elle plus ou moins intéressée par le shape que ses aînés ?

B.M – Bonne question. J’ai l’impression que les vieilles générations étaient plus intéressées par le shape que la nouvelle. Le problème aujourd’hui c’est que les gars ont tellement de planches, parfois plus de 10 pour une seule compet’, qu’ils ne passent pas assez de temps avec une planche. A la fin des années 90′, quand Kelly avait une bonne planche il pouvait la surfer presque toute la saison. Du coup il se l’appropriait plus. Mais j’essaye de changer un peu ça chez les jeunes.

Est-il plus facile de travailler avec les jeunes surfeurs ou ceux d’expérience ? 

B.M – J’aime tout le monde mais par dessus tout je préfère travailler avec ceux que le shape intéresse. Certains surfeurs disent : cette planche ne fonctionne pas j’en veux une autre. D’autres veulent comprendre. Et c’est avec eux que je veux travailler. On ne le fait pas pour l’argent mais pour l’amour du surf et du shape. 

Comment fonctionne CI aujourd’hui ?

B.M – On est 60 employés, du shapeur au glasseur. On adore tous surfer. Chez moi il y a une règle : quand le surf est bon, on part tous pour une session. On est situé à moins d’un mile de Rincon donc quand les conditions sont là, on s’échappe. Tout le monde a la permission. 

Combien de planches fabriques-tu personnellement à l’année ? 

B.M – Je dirais entre 300 et 400. 

Selon toi, quelle pourrait-être la prochaine étape en ce qui concerne les high performance shortboard ? 

B.M – Je pense que la nouveauté va se situer en terme de matériaux utilisés. On est en train de voir comment faire des planches vraiment performantes en époxy. Si vous regardez les gars du CT, la majorité utilise des planches en PU. Mais nous savons que l’époxy est moins contraignant pour l’environnement. On est en train de développer des nouvelles technologies pour arriver à ce point.

Penses-tu que le milieu du surf est conservateur en matière de planches de surf ? Ou est-ce tout simplement le fait que les planches en PU sont meilleures ?

B.M – Je ne pense pas que nous soyons conservateurs. On l’était beaucoup plus dans les années 80′ et 90′. Avant, tout le monde avait la même planche. Aujourd’hui si vous allez à la plage vous voyez toute sorte de planches. Mais au meilleur niveau, les matériaux utilisés sont les meilleurs pour l’instant. Tout le monde s’attend à une nouvelle grande révolution comme nous avons eu avec le shortboard mais je ne suis pas certain qu’elle va arriver. On ne peut pas raccourcir les planches indéfiniment. On ne peut pas rajouter des dérives indéfiniment. 

Aimes-tu faire tout type de planches où bien seulement des planches high performance ? 

B.M – J’aime tout faire. Mais la chose la plus dure à faire, c’est construire des planches high performance. Ce n’est pas difficile de construire un fish pour l’été. C’est très facile de construire une planche qui va vite. Mais c’est très dur en revanche de shaper une planche high performance. Très peu de personnes sur cette planète peuvent en construire. 

Apprendre aux autres à shaper c’est quelque chose qui t’intéresse ? Quelle place donnes-tu à la transmission, notamment au sein de la famille ? 

B.M – J’adore ça. Je pense que c’est une bonne expérience pour tout le monde de rentrer dans une salle de shape. Après avoir shapé on apprécie son shapeur un peu plus (rires). Mon fils a essayé de shaper un peu. Avec moi mais aussi avec mon père. On fait des choses ensemble. Je suis heureux de travailler avec tout le monde. Il y a des gars de chez moi dans ma communauté qui me disent qu’ils veulent essayer. Je les laisse utiliser tout le matériel qu’ils veulent. Et moi même, dès que j’observe un shaper travailler j’apprends de lui. On se doit d’être ouvert. Et dans cette communauté on se doit de s’aider. 

Tu as fondé une église chez toi, peut-tu nous en dire plus ? 

B.M – Mes parents sont chrétiens et j’ai donc été élevé avec une éducation chrétienne. On m’a souvent parlé de Jésus, comme quoi il nous aimait et qu’il fallait le servir et ça a toujours été quelque chose d’important chez nous. Mon père m’a appris une chose qui est écrite dans la bible : c’est remettre à Dieu ce que nous produisons avec nos main et il vous le rendra. Et ma maman m’a dit que la chose la plus importante qu’elle ait faite pour Channel Island c’était de prier pour l’entreprise. Ils m’ont transmis tous ça. Et à un moment donné de ma vie, il y a 20 ans environ, j’ai comme ressentis un appel de Dieu. On a alors ouvert une église à Londres, une autre à Boston, Honolulu, San Francisco, Los Angeles, Santa Barbara… Je fais ça autant que je shape. Cela me permet de rester connecté à Dieu et aux gens.

Tu as fondé une église chez toi, peut-tu nous en dire plus ? 

B.M – Mes parents sont chrétiens et j’ai donc été élevé avec une éducation chrétienne. On m’a souvent parlé de Jésus, comme quoi il nous aimait et qu’il fallait le servir et ça a toujours été quelque chose d’important chez nous. Mon père m’a appris une chose qui est écrite dans la bible : c’est remettre à Dieu ce que nous produisons avec nos main et il vous le rendra. Et ma maman m’a dit que la chose la plus importante qu’elle ait faite pour Channel Island c’était de prier pour l’entreprise. Ils m’ont transmis tous ça. Et à un moment donné de ma vie, il y a 20 ans environ, j’ai comme ressentis un appel de Dieu. On a alors ouvert une église à Londres, une autre à Boston, Honolulu, San Francisco, Los Angeles, Santa Barbara… Je fais ça autant que je shape. Cela me permet de rester connecté à Dieu et aux gens.

Existe-t-il une connexion pour toi entre l’océan et la religion ? 

B.M – C’est certain. Surfer c’est quelque chose de très spirituel. Que l’on croit en Dieu ou pas, quand on va dans l’océan on ressent tous ce petit quelque chose qui nous transcende. Il y a quelque chose derrière. Dieu a fait ces vagues parfaites pour nous, pour que nous en profitions. Donc pour moi c’est connecté. Et j’aime remercier le créateur pour les vagues qu’il nous donne. C’est un cadeau.

Extrait du mag 366 – paru en septembre 2018

Propos recueillis par Baptiste Levrier et Marc-Antoine Guet

>> Vous pouvez retrouver ce mag 366 juste ici
>> Et notre dernier numéro (le 378) juste ici 

A quoi ressemble un jour parfait chez toi en Californie ? 

B.M – Si le surf est bon, je vais surfer. Si Rincon fonctionne, je ne shape pas, je ne fais rien d’autre et je vais surfer. Le jour parfait c’est donc me réveiller, descendre voir les vagues à Rincon et éventuellement aller surfer si j’ai de la chance avec les vagues. J’aime aller sur la plage avec mes enfants, ma femme. Prendre des coups de soleil et rentrer le soir et balancer une pièce de viande sur le barbecue que nous avons chassé. Et partager cette viande avec la famille et les amis. 

Gardes-tu un souvenir en particulier d’une planche, une seule ? 

B.M – C’était vers 1992, j’étais ici en Europe avec Tom Curren et sa femme. Il surfait une compet’ au Portugal avec des planches qui n’étaient pas de moi. Il est venu me voir en me disant qu’il ne les aimait pas. Il les a tous donné à des jeunes enfants sur la plage. Tout son quiver. Il m’a dit « Britt, j’ai besoin d’une planche ». Je n’avais aucun outil avec moi et il n’y avait pas beaucoup de shapeurs au Portugal à cette période là. On a trouvé une veille salle de shape avec pleins de vieux outils qui ne fonctionnaient pas bien. Il m’a laissé là et m’a dit « j’ai besoin d’une planche pour la compet ‘ ». C’était en plein milieu de la compétition ! J’ai fais une planche en vitesse, je lui ai donné et il a adoré. Il l’a surfé presque toute la saison. Je me souviens de celle-là parce que la manière dont je l’ai construite c’était assez marrant. Dans le jardin d’un particulier. Elle n’avait rien de spéciale en plus. Le rocker était très plat, la planche assez longue. Il m’a appelé plusieurs mois après me demandant de lui en faire une autre. J’en étais incapable je ne me souvenais de rien (rire).

Comment décides-tu de travailler sur un nouveau modèle ? 

B.M – Un nouveau modèle c’est toujours en fonction de ce que les surfeurs veulent. Je surfe tous les jours vous savez, et presque tous les jours quelqu’un vient me voir à l’eau pour me demander des conseils à propos des planches. J’essaye donc toujours de m’inspirer des ces gens là. De leur ressentis. Mais c’est aussi par rapport à ce que mon équipe souhaite. D’ou l’importance d’avoir une bonne équipe. Je m’attends d’eux à avoir des retours. Je veux échanger avec eux. Je veux qu’ils se projettent un peu plus loin que juste : ça marche, ça marche pas. Et je commence toujours avec une planche shapée à la main. Quand Dane vient me voir pour avoir plus de vitesse sur une planche comme il aime si bien le faire à Rincon notamment, plutôt que d’aller directement sur les machines et rentrer des données dans l’ordinateur je passe par un shape fait à la main. C’est comme ça que j’arrive à de nouveaux design. Par exemple sur la dernière planche black and white de Dane, nous avons fait plus de 15 boards shapées à la main avant que nous sachions laquelle utiliser. Une fois qu’il avait décidé, on a scanné les informations. Mais j’aime commencer à la main. C’est là que l’on est heureux. Quand le surfeur, peu importe qu’il soit pro ou pas, obtient ce qu’il souhaite. Quand ils ressentent ce qu’ils veulent ressentir. C’est ce qui me rend heureux. Quand je vais à la plage et que le gars à un grand sourire parce que la planche que je lui ai construite le rend heureux, alors je suis heureux ».


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