Rencontre : Chris Gentile de Pilgrim Surf + Supply, shop emblématique de NYC

Il revient sur l'histoire du surf shop, évoquant également la scène shape et surf new yorkaise.

01/11/2024 par Ondine Wislez Pons

© Ondine Wislez Pons
Chris Gentile © Julien Roubinet

Chris Gentile est le créateur de Pilgrim Surf + Supply, l’un des surf shops les plus emblématiques de New York. Situé à Brooklyn, ce haut lieu du surf new-yorkais rassemble une part importante de la communauté surf locale et participe à l’identité surf de la ville qui ne dort jamais.

Nous avons pris la ligne L du métro depuis Manhattan jusqu’à Williamsburg pour rejoindre le shop et échanger avec ce personnage très actif de la communauté surf et shape new-yorkaise.

Une vie de surf

Quand il débarque à New York il y a 20 ans, Chris est peintre, sculpteur et souhaite développer sa carrière artistique. Par la suite, la photographie deviendra aussi l’un de ses modes d’expression et ses œuvres seront exposées dans une galerie de Manhattan. Si New York fait partie des villes les plus urbanisées de la planète, Chris savait qu’il pouvait y surfer, mais il était loin d’imaginer la richesse de sa communauté surf.

Le new-yorkais d’adoption a passé son enfance et son adolescence à surfer sur les côtes du Rhode Island. « Mon oncle et ses amis ont commencé à surfer au début des années 60. Ils font partie de la première génération de surfeurs de Nouvelle-Angleterre. C’est eux qui ont fait naître en moi cette passion. » Les hivers étant très froids dans le plus petit état des États-Unis, la fenêtre de surf du jeune garçon se cantonnait à la période estivale. Adolescent dans les 80’s, Chris était connecté à la scène punk, hardcore et skate de ces années-là, mais le surf a toujours été au-dessus de tout.

La découverte du longboard

Chris a grandi en surfant des shortboards dans les années 80, mais son approche de la pratique a radicalement changé quand il a découvert le longboard au cours de la décennie suivante. « À l’époque le longboard était peu commun. Je me trouvais alors en Floride, pas loin de là où Kelly Slater a grandi. Ce jour-là les vagues étaient vraiment petites, c’était très dur de partir dessus. À côté de moi, il y avait un vieil homme sur son longboard qui attrapait absolument toutes les vagues, filant jusqu’au bord tout en style et en fluidité » explique Chris, qui s’est alors demandé ce qu’il faisait sur ces petites planches. « J’ai alors pris le longboard de mon père et ce fut comme si j’apprenais de nouveau à surfer.« 

Un goût du longboard qui a fait naître en Chris un vif intérêt pour le design des planches et l’histoire du shape. « J’ai commencé à commander des planches et à me documenter. À l’époque il n’y avait pas internet, c’était l’âge d’or des magazines » se souvient Chris qui les lisait avec avidité, forgeant ses connaissances des différents designs et autres planches alternatives. « Toutes ces planches existaient depuis longtemps, mais pas sur la côte Est. Je me suis mis à surfer de tout, des vieux longboards, des planches que je commandais à Rich Pavel, Tyler Hatzikian, des gars qui ont un véritable savoir-faire.« 

New York City

À New York, Chris réalise que les surfeurs sont nombreux, mais il peine à trouver des planches à son goût. « Dans les années 80-90, les shops étaient pleins de thrusters au glass clair. Il y avait quelques planches amusantes mais on ne trouvait pas de résines teintées. Les quelques surf shops new-yorkais ne correspondaient pas à l’idée que je m’en faisais. Si l’on voulait trouver du bon matériel, il fallait aller à Long Island ou dans le New Jersey » se souvient-il.

L’idée lui vient alors d’ouvrir un surf shop, renforcée par une situation fâcheuse vécue par le surfeur lui-même. « Je venais d’égarer mes chaussons après une très bonne session. Je les avais posés sur le toit de ma voiture et j’ai malheureusement démarré. Le lendemain matin les vagues étaient incroyables. Je me suis alors mis en quête d’en trouver des nouveaux mais impossible de trouver un surf shop ouvert le matin ! » Pour palier ce manque, Chris a eu envie d’ouvrir un petit surf shop, d’y vendre tout le matériel nécessaire, d’avoir un gros stock de combinaisons, des DVDs, des livres et des magazines de surf.

Les débuts de Pilgrim Surf + Supply

En 2007, avant de créer le Pilgrim Surf + Supply que l’on connaît, Chris a ouvert un premier lieu dans l’immeuble où se trouvait son studio. Cet ancien bâtiment industriel abritait des studios d’art, des galeries indépendantes, des lieux de performance, des studios d’enregistrement et de répétition. « C’était un haut lieu de créativité, quelque chose se passait à toute heure du jour et de la nuit » se rappelle Chris. « J’avais repéré un petit espace à louer, idéal pour y ouvrir un petit shop. »

Cette année-là, Chris passa aussi du temps à San Francisco où il fit la connaissance de Manny Caro, à l’origine de Mandala Custom Shapes. Ce dernier le présenta à John McCambridge, qui venait tout juste d’ouvrir l’emblématique Mollusk Surf Shop. Cette rencontre permit à Chris de découvrir la scène surf alternative californienne qui l’inspira grandement. « Bien plus qu’un surf shop, Mollusk est un lieu de rassemblement, d’exposition d’art, de rencontres où les surfeurs se mêlent aux artistes, aux cinéastes, aux musiciens, quand ils n’en sont pas eux-mêmes » nous explique Chris.

Un petit Mollusk a alors vu le jour dans son local. Si l’aventure fut belle et énergisante, Chris s’est vite rendu compte que l’esthétique et la communauté surf de New York étaient différentes de celles de San Francisco. « Ce fut une superbe expérience, mais j’ai compris qu’il fallait que l’on crée notre propre truc » explique-t-il. Pilgrim Surf + Supply n’allait pas tarder à sortir de terre.

© Ondine Wislez Pons

En 2012 Pilgrim Surf + Supply voit le jour au numéro 33 de Grand Street, en plein Brooklyn. Depuis toujours, Chris nourrit une passion pour les vêtements, qui lui vient de sa grand-mère et qui compose en partie l’ADN du nouveau shop. « J’aime l’idée de créer des vêtements issus de l’artisanat et non de l’industrie de la mode » nous apprend le surfeur, animé par l’envie de mettre au point des habits adaptés à un style de vie surf, outdoor tout en conservant un caractère urbain. C’est chose faite puisqu’aujourd’hui la boutique propose un large choix de planches hautement qualitatives, des livres, des magazines, tout le matériel nécessaire pour surfer ainsi qu’une ligne de vêtement originale.

Un lieu pour la communauté surf new-yorkaise

« Petit à petit, les gens sont sortis du bois » se rappelle le créateur de Pilgrim Surf + Supply.  » C’est notamment lors des soirées projections de films de surf que Chris a pris conscience du grand nombre de surfeurs et de surfeuses qui vivent à New York. « Certains soirs, plusieurs centaines de personnes venaient, des surfeurs, des skateurs, des gens très différents. On était dans la rue et la police nous laissait tranquille, c’était magique ! » se rappelle Chris avec le sourire. « La plupart d’entre eux ont grandi en surfant et ils amènent leur passion avec eux à New York » poursuit Chris qui voit défiler toujours plus de passionnés dans son surf shop et notamment Dick Brewer, Tom Curren, Rusty Miller…

Pilgrim Surf + Supply participe à rassembler la communauté surf new-yorkaise qui, selon Chris, « n’avait peut-être pas totalement conscience d’elle-même« . Le shop offre régulièrement des occasions de se réunir, autour d’événements et de soirées de projection mais il soutient également les surfeurs et les shapeurs locaux dans leurs projets et que Chris a à cœur de voir grandir.

Soutenir la scène shape locale

En franchissant les portes de Pilgrim Surf + Supply, nos yeux veulent de se poser partout, d’explorer, nos mains ont envie d’attraper les habits soigneusement suspendus sur des cintres, de saisir les livres, les vinyles et autres objets de la surf culture pour les observer de plus près. Mais ce qui attire le plus le regard c’est le rack de surf majestueux et sur lequel se dresse, magnifiquement, une enfilade de planches de surf de différentes tailles, sur la gauche. Un regard suffit pour saisir combien ces planches sont hautement qualitatives, tant esthétiques que performantes, mises au monde par les mains savantes de shapeurs de renom. Si Chris aime les belles planches, il soutient aussi la jeune scène shape locale, à l’image de King’s Glassing, un nom derrière lequel travaillent deux frères, Aaron et Drew, que nous avons rencontré chez Pilgrim avant de faire un saut dans leur atelier de Bushwick à Brooklyn et dans lequel l’un shape et l’autre glasse.

Les frères Austin, nouveaux venus dans l’univers shape de la Côte Est, ont pour ambition d’élever leurs planches au niveau de celles que l’on trouve sur le rack de Pilgrim Surf + Supply. Certaines de leurs fabrications s’y trouvent d’ailleurs déjà, preuve de la volonté de Chris de mettre en lumière les jeunes shapeurs locaux. À l’instar de la scène surf new-yorkaise, la scène shape est tout autant traversée, connectée à l’art sous toutes ses formes, que ce soit la peinture, la sculpture, la musique… Ces univers communiquent et se nourrissent les unes les autres.

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À la fin de notre échange avec le créateur de Pilgrim, ce dernier nous a entraîné sur le trottoir d’en face pour nous montrer son dernier projet : une résidence de shape en plein cœur de Brooklyn. Il souhaite y faire venir, le temps de plusieurs jours ou plusieurs semaines, des shapeurs du monde entier, créant ainsi une dynamique, une émulation autour de la pratique.

Un shapeur français que l’on connaît bien pour avoir franchi les portes de son atelier angloy il y a quelques mois, voulant en savoir plus sur son travail et ses hulls, caractéristiques de son travail, a d’ailleurs passé du temps dans la résidence de shape new-yorkaise. Il s’agit de Tristan Mausse, qui shape sous le nom de Fantastic Acid et dont on trouve d’ailleurs plusieurs modèles sur le rack de Pilgrim Surf + Supply.

Fantastic Acid in New York City

Chris a d’abord commandé à Tristan des planches depuis la France qu’il était venu récupérer à l’atelier. Lui est ensuite venue l’idée de créer cette résidence de shape à New York, pour y faire venir des shapeurs et des glasseurs tels que Tristan. « C’est comme une résidence d’artistes mais pour les shapeurs, uniquement ceux qui shapent à la main. Chris voulait articuler un mouvement artistique au sein de la scène du shape new-yorkaise quasi-inexistante et de ce fait, pouvoir collecter des commandes custom plutôt que de faire de simples stocks » nous explique Tristan, qui s’est alors rendu à New York à deux reprises. Il y fit un premier séjour en juillet en 2023 et un second en avril 2024.

Ainsi, le shapeur français a pu rencontrer et échanger avec les clients. « Au-delà d’une simple marchandise, on peut replacer la planche de surf dans un contexte culturel » poursuit le Français qui, immergé, s’imprègne de l’atmosphère et des tendances locales, pouvant ainsi se rendre compte des nécessités des surfeurs quant aux critères techniques de leurs planches.

Pendant ses deux séjours, Tristan a beaucoup shapé. « Les shaping trips sont toujours très intenses. C’est comme ça qu’on les appelle, même si Chris leur a préféré le nom de « shaping residency ». Généralement on dispose de peu de temps pour shaper une assez grande quantité de planches. « Des planches qui proviennent des commandes passées préalablement auprès de surfeurs locaux. « En général, on fait des journées de 12h de travail, c’est très physique, on n’a pas de jour de repos et il faut tenir sur la durée. Mais on prend aussi le temps de surfer. Lors de ma première résidence, on a eu un swell magnifique dans le New Jersey. On a pu surfer un point break de sable avec des vagues incroyables. » Le reste du temps Tristan a surtout surfé à Rockaway, s’immergeant également dans la culture new-yorkaise, des concerts, des expositions… « C’est le bon côté de New York » déclare le shapeur, que nous avons questionné sur son impression avec la communauté shape locale.

« Je n’ai pas rencontré beaucoup de shapeurs mais ceux que j’ai vu étaient passionnés, dévoués, comme les surfeurs. Le truc spécial là-bas c’est que comme ils n’ont pas des vagues tout le temps, du moins pas de qualité tout le temps, ils vivent leur passion encore plus intensément. Comme s’ils comblaient le manque de vagues par le caractère culturel surfistique, la passion forte des planches, des films de surf, des projets divers autour du surf. C’est une communauté assez soudée qui contient d’excellents surfeurs qui, pour beaucoup, viennent du skate » raconte Tristan.

Les planches de Tristan, Fantastic Acid.
© Ondine Wislez Pons

Surf Session – Chris, que peux-tu nous dire de la communauté surf new-yorkaise ?

Chris Gentile – Ce que j’adore ici, c’est que beaucoup de gens se sont mis au surf tardivement, dans leur trentaine, leur quarantaine… C’est assez fou, parce que c’est tellement dur à apprendre ! Mais ça reflète assez bien le genre de personne que l’on peut rencontrer ici. En s’installant ici, en travaillant ici, les gens savent qu’ils atterrissent dans un environnement extrêmement compétitif, où il faudra lutter pour faire sa place et ils sont capables de gérer tout cela. Faire face, lutter, rester debout et continuer d’essayer… C’est ce qu’ils font dans le surf. Ces gens font des choses incroyables, savent ce que c’est que l’humilité et n’ont pas d’égo surdimensionnés, ils l’ont surtout au bon endroit. Cette capacité à se mettre tardivement au surf est assez unique ici. Personne ne vient à New York pour devenir un surfeur, les gens viennent ici pour leur carrière même si ça reste bien évidemment des passionnés de surf. Quand les vagues sont bonnes ici, les sessions ont un goût spécial, contrairement à des endroits comme la Californie, où les vagues sont beaucoup plus fréquentes.

C’est une communauté qui semble diverse, éclectique…

Oui, on croise une grande diversité à l’eau. Beaucoup de filles surfent, ainsi des personnes issues de la communauté queer, d’origine asiatique, afro-américaine, portoricaine, hispanique… Il y a aussi beaucoup de jeunes enfants, dont certains issus de quartiers difficiles qui sont pris en charge par des associations qui leur font découvrir le surf et l’océan. C’est très inclusif ! Tout ça rend le line-up beaucoup plus agréable, il y a moins de gens qui cherchent à faire leurs preuves, moins de testostérones, d’égo… Même si, comme partout, un certain localisme peut exister.

Dirais-tu qu’ici, le surf à moins à voir avec l’image, comme cela peut parfois être le cas ailleurs ?

À New-York il y a une concentration de personne qui sont à l’avant-garde de beaucoup de choses, que ce soit l’art ou autre, et qui surfent aussi. Ici les gens ne cherchent pas à se forger une personnalité ou une identité à travers le surf. On ne reconnait pas un surfeur à sa tenue ou sa coupe de cheveux. Ici le surf n’est pas une image ou un lifestyle, les gens sont simplement et profondément connectés à lui de manière très personnelle et il y a une grande ouverture d’esprit au sein de la communauté surf. Chacun ride la planche qu’il veut, que l’on soit bon ou moins bon ne définit pas le degré d’amour que l’on ressent pour le surf. Chacun à sa façon se surfer, d’aimer le surf.

© Ondine Wislez Pons
© Ondine Wislez Pons

Peux-tu nous dire quelques mots sur les spots de New York ?

Rockaway est le spot le plus proche et le plus accessible, en prenant le A train. On peut aussi s’y rendre avec le ferry de la ville, le trajet est très beau, on voit Downtown Manhattan et la Statue de la Liberté. L’été beaucoup de gens le prennent avec leur vélo et leur planche sur le rack. C’est une plage où les pics sont nombreux, c’est donc possible d’en trouver un avec peu de monde. À environ 45 minutes d’ici en voiture il y a Long Beach puis des spots dans le nord du New Jersey, à 1h30 de New York. Il y a aussi beaucoup spots tout le long de Long Island, sur 190km de côte jusqu’à Montauk. Montauk abrite d’ailleurs une grande diversité de spots, des beach breaks, des reef breaks… Nous nous y étions d’ailleurs rendus, désireux de rencontrer la scène et la communauté surf de cet endroit des Etats-Unis.

Et que peux-tu nous dire des conditions sur la Côte Est américaine ?

La meilleure période de l’année est l’automne, mais il faut regarder avec attention et très régulièrement les prévisions parce qu’elles changent rapidement et radicalement. On ne peut pas vraiment se fier au forecast une semaine avant mais plutôt 2-3 jours avant. Ce qui est cool c’est que l’aéroport de New York figure parmi les plus grands du monde et il y a plein de vols directs et assez rapide pour Baja California, Porto Rico, la République dominicaine, Saint-Martin et beaucoup d’autres endroits dans les Caraïbes. Le Costa Rica est à 5 heures de vol, ainsi que d’autres destinations en Europe…


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