Théo « Titigee » Preuilh est un vidéaste et photographe français, autodidacte et indépendant. Il fait partie de la jeune génération qui documente la scène surf française, à domicile ou à l’étranger. Son enfance et son adolescence, passées entre le Sénégal et son Pays basque natal, furent marquées par des amitiés fortes et des rencontres inspirantes, qu’il semble avoir le talent de provoquer. Depuis ses 15 ans Théo, capture des images de surf dans et hors de l’eau, affûtant sans cesse son œil et se donnant les moyens de tenir entre ses mains un matériel toujours plus performant. Que ce soit les membres d’ALC, le fameux collectif de surfeurs biarrots, ses potes d’enfance – et excellents surfeurs – ou ses congénères du crew Keks Machine, le vidéaste a de quoi faire avec sa caméra. Il a d’ailleurs signé des édits pour certains de ses amis et surfeurs pros, tels que Juliette Lacome ou Kepa Housset. Théo est à l’origine d’une quinzaine de productions vidéos, tournées dans une dizaine de pays et ne compte pas s’arrêter-là. Du haut de ses 21 ans, il affiche une maturité et un savoir-faire surprenants, résultant de sa curiosité du monde et de ces milliers d’heures, passées sur la plage et dans l’eau, caméra à la main.
Après le bac Théo a commencé une école de cinéma qu’il ne tardera pas à arrêter, préférant poursuivre son parcours en autodidacte, voyager, filmer, toujours porté par cette volonté d’affuter ses compétences et son regard. Fasciné par le travail de certains maitres de la photo en aqua, le jeune vidéaste a rapidement investi dans un caisson étanche qu’il a fait venir de San Diego. Il en fera sa première expérience au Costa Rica en 2019, où son père venait de s’installer puis à la Côte des Basques entouré de ses grands frères d’ALC et autres local heroes.
Il nous faudra peu de temps pour comprendre combien Théo porte un regard éclairé et lucide sur son époque comme sur son milieu, dont il maîtrise les codes tout en s’en affranchissant. Il n’est pas dupe, bien au contraire. Son travail offre à ses sujets comme à ses spectateurs une alternative, ouvrant à une réflexion sur le surf contemporain. En s’inspirant de ce qui a été fait avant, de ce qui se fait ailleurs tout en restant fidèle à ses goûts, le vidéaste nous offre une vision qui est la sienne, indépendante et singulière. Et face à la tournure toujours plus lisse que prend le monde, inondé par le contenu des réseaux sociaux, Théo apporte sa vision, forgée par le pouvoir du collectif, le processus créatif, le partage et l’amitié. Son travail déjà riche pour son jeune âge apporte du relief, de la rugosité à un monde (du surf) souvent uniforme et corporate. Filmer le surf, les avant-après sessions, les voyages, le quotidien de sa bande de potes, les soirées… Tout est matière à être filmé et à passer par le filtre de son objectif et le prisme de son esprit créatif.
Surf Session – Salut Théo, où as-tu grandi ?
Théo Preuilh – Je suis né en 2003 à Bayonne. J’ai soufflé mes premières bougies au Sénégal, dans le village de Ngor, où j’ai grandi les pieds dans le sable. Mes parents se sont rencontrés là-bas et se sont très bien intégrés au sein de la communauté locale. Mon père s’était lié d’amitié avec les gars et les pêcheurs du village, notamment avec Patina, le premier surfeur sénégalais. On vivait un peu comme les Lébous, une famille de piroguiers pêcheurs de Ngor. Je crois que j’aimais beaucoup la vie là-bas parce que sur quasiment toutes les photos de cette époque j’ai le sourire jusqu’aux oreilles. À notre retour en France, j’ai grandi au Pays basque, entre Bidart, Guéthary et Biarritz.
Quand et comment ta passion pour l’image est-elle née ?
J’ai eu ma première petite caméra l’année de mes dix ans, je l’ai encore et elle ressemble plus à une game boy qu’autre chose. Quand j’ai eu un iPod je filmais les sessions skate entre copains et je faisais des petits édits sur iMovie. Pour mes 13 ans j’ai eu un Kodak AZ421 et j’ai réalisé ma première petite vidéo pendant un voyage au Maroc. C’était très basique, je filmais des paysages, des ambiances, mais je cherchais déjà à développer mon œil. C’est à 15 ans que j’ai compris que j’aimais vraiment l’image. Je venais de rentrer en seconde au lycée Malraux, à Biarritz, quand mon père m’a offert mon premier reflex, un Canon 50D d’occasion, équipé de deux objectifs, un 50mm et un 70-300. J’ai acheté un trépied et je me suis formé en autodidacte à la photo de surf en suivant mon frère, son groupe de copains et mes potes de lycée, Diego Torre, Kepa Housset, Pablo Jeanne et Louis Marchiset, déjà très bons surfeurs. J’investissais tout mon argent dans du nouveau matériel, tout en me créant un petit réseau sur la Côte Basque. En vivant à Guéthary, j’étais présent sur toutes les sessions de gros et entre les cours, j’allais shooter à la Grande Plage. Diego me faisait venir de temps en temps sur son home spot, le Club à Anglet et je shootais souvent à L’Uhabia ou à Bidart Centre avec Kepa.
Comment définirais-tu ton univers, ton ADN ?
Je ne pense pas encore avoir trouvé mon univers. Je pense que c’est le travail de toute une vie. Pour l’instant, j’expérimente toutes sortes de choses en essayant de rester fidèle à moi-même. Je suis assez perfectionniste et j’attends d’être vraiment satisfait d’un montage pour le montrer. En photo, j’aime que mes images soient très colorées ou alors en noir et blanc très contrastées. En vidéo, je marche à l’instinct, je ne travaille pas encore avec de vrais scénarios. J’essaye d’écrire, mais je n’ai pas encore cette fibre et mes meilleures idées viennent quand je m’y attends le moins. Je fais souvent mes plus belles images au cours des sessions improvisées, j’aime le freestyle et j’ai du mal avec les choses trop organisées. J’aime cette idée que c’est dans la spontanéité de ses gestes qu’un artiste resplendi.
Est-ce que la vidéo t’apporte quelque chose de plus que la photo ?
J’aime toujours autant la photo mais je trouve le processus créatif de la vidéo vraiment intéressant. Avoir des idées, les écrire, en parler avec les copains, les filmer ensuite puis faire le montage avec des musiques que j’aime, c’est vraiment génial. Quand je refais dix fois les cuts de mes édits, que je change l’ordre de certains plans et que j’arrive à trouver un son qui se cale parfaitement, c’est très satisfaisant. Puis c’est vraiment cool de les projeter pendant les soirées et d’avoir des retours directs.
Peux-tu nous parler de tes débuts dans la vidéo ?
Quand je me suis mis à la vidéo, je suis passé sur un Canon 70D et par chance il rentrait dans le caisson étanche de mon 50D. J’ai fait mes premières vidéos en aqua lors d’un voyage à Ngor en décembre 2019 et par chance l’un de mes surfeurs préférés, Mikey February, était de passage au Sénégal. Je l’ai filmé et j’avais décroché un article dans un média surf. J’ai commencé à faire plus de vidéo et à monter quelques clips pour les copains. J’avais besoin d’argent pour acheter une vraie caméra, j’ai donc travaillé tout un été dans une école de surf à la Côte des Basques et je vendais des photos aux touristes qui prenaient des cours de surf. J’ai investi dans un Sony A7R III qui restait très fonctionnel niveau photo et m’a permis d’approfondir mon approche de la vidéo. J’ai investi dans un 200-600 et un 85mm, je pouvais donc filmer du bord et en aqua.
Et quels ont été tes premiers projets ?
C’est en 2020 que j’ai commencé à vouloir me professionnaliser dans la vidéo et que j’ai réalisé mon premier édit pour une marque, avec mon amie longboardeuse Eliza Arbelbide. Au même moment j’ai aidé mon ami Julen Laporte à réaliser son projet Euskal Gazteria, un film de surf qui met en scène la jeunesse basque. J’ai ensuite commencé à filmer pour ma pote Juliette Lacome, qui avait besoin de contenu et j’ai réalisé pour elle de petits édits. J’ai connecté avec Tiago Carrique à l’occasion d’un voyage au Costa Rica et j’étais content de la tournure que prenaient les événements. Mais c’est l’année 2021 qui fut vraiment révélatrice pour moi, avec mon tout premier trip payé pour la vidéo. Je suis parti aux Canaries avec Clément Roseyro, filmer pour l’un de ses sponsors. J’étais très content à l’idée de commencer à voyager pour la vidéo. J’ai aussi réalisé mon tout premier film avec Jordan (Sevellec) pour BTZ Downhill. Cette année-là, j’ai également travaillé avec Claudia Lederer sur des jobs de captation vidéo.
Tu filmes aussi du skate et tu fais d’ailleurs partie des initiateurs du BTZ Downhill, comment cela s’était mis en place ?
Avec Jordan, en mai 2021, on a eu l’idée de mêler nos passions et de produire notre premier film de surf et de skate tourné à Biarritz avec nos copains. Je m’occupais de la partie surf, avec une équipe de caméramans et Jordan voulait réunir une trentaine de copains pour filmer une descente de skate. La suite de l’histoire, on la connait. Plus de 1500 personnes se sont retrouvées en haut de la rue de Madrid pour le BTZ Downhill. On a fait notre première diffusion pendant la Rats Cup, puis au Paris Surf and Skate Festival et au Milan Surf Film Festival.
Peux-tu nous parler plus précisément de tes projets vidéos surf plus récents ?
Ces projets sont nés grâce à mon entourage et à nos échanges d’idées. On parle de ce qu’on aime, de ce qu’on déteste dans le surf et dans les films puis on en tire des conclusions souvent inspirantes. Chaque projet a ses spécificités, Urria par exemple, réalisé avec Kepa Housset, a vu le jour suite au constat que les clips de surf qui étaient le plus mis en avant dans les médias contenaient des barrels parfaits dans de l’eau turquoise. On a donc eu envie de montrer qu’il était possible de faire un bon clip sans aller à l’autre bout du monde pour surfer des vagues parfaites. On est resté à la maison et quand l’édit est sorti et que tous les gros médias l’ont repartagé, on était content d’avoir réussi notre pari. Jusqu’à présent j’ai surtout réalisé des vidéos avec mes amis. C’est facile de bosser avec ses potes et je ne me sentais pas forcément à la hauteur pour travailler avec des inconnus, avec qui j’ai le sentiment que je n’aurais pas le droit à l’erreur.
Où puises-tu ton inspiration, que ce soit dans et hors du surf ?
Dans la vidéo, les professionnels du métier plus âgés que moi m’inspirent beaucoup. J’ai de l’admiration pour les gars qui passent du temps à produire de vrais films et pas juste des réels pour Instagram ou Tik Tok. Hors du surf, je regarde des vidéos de skate et de snowboard pour comparer les styles de montage et les techniques de filming. Je diversifie le plus possible la musique que j’écoute, ce qui m’inspire pour le montage. J’essaye de lire des livres, d’écouter des podcasts sur des sujets différents et d’ouvrir mon esprit à d’autres pratiques.
Depuis tes débuts ton matos a-t-il beaucoup évolué et quelles conséquences cela a pu avoir sur ton travail ?
J’ai changé quatre fois de caméra et deux fois de caisson étanche. Concernant la vidéo, j’ai maintenant une caméra qui me permet de filmer en 4 K à 120 images seconde. Je prends vraiment plaisir à travailler les slow motions, notamment en aqua. J’espère pouvoir continuer à faire évoluer mon set up et travailler un jour avec de vraies caméras de ciné.
Peux-tu nous parler de ton matos et des réglages que tu affectionnes ?
Depuis que j’ai orienté mon travail vers la vidéo j’utilise un Sony A7S III et j’ai plusieurs objectifs, un 14mm, un 50mm, un 85mm et un 200-600. J’ai un caisson de la marque Sea Frog, ce n’est pas le top niveau solidité, mais c’était le meilleur rapport qualité prix. Mes réglages dépendent de ce que je shoote. Si je suis en aqua, je vais avoir tendance à filmer à 120 images seconde pour pouvoir utiliser les clips au ralenti. Si je suis sur la plage, je filme au ralenti seulement si je suis de côté sur des bols à airs, c’est ce qui rend le mieux. Selon moi, filmer de face au ralenti apporte peu d’intérêt, on se rend moins compte de l’explosivité des manœuvres. J’aime travailler avec des focales fixes pour affiner mon œil. Pour moi, zoomer c’est un peu jouer la facilité, même si parfois c’est sympa de pouvoir changer de valeur de plan, notamment depuis un trépied, sans forcément avoir à se déplacer sur la plage.
En aqua, comment gères-tu l’impact et à quel moment décides-tu de plonger ?
C’est une chose sur laquelle je travaille. Je ne suis pas encore bien préparé pour les sessions solides et j’admire beaucoup les gars comme Arthur Picard, Bastien Bonnarme ou João de Sonis, qui s’y collent quand je suis contraint de filmer du bord. C’est cool de se challenger et j’essaye de repousser mes limites, surtout quand les copains sont là pour me motiver. C’est frustrant quand il y a des sessions où je sais pertinemment que les images en aqua rendraient dix fois mieux et que je reste derrière mon trépied. Cette année j’ai pour objectif de progresser à ce niveau-là.
Tu as grandi avec les réseaux sociaux, quel est ton regard sur leur apparition et les changements qu’ils ont entraîné sur la photo et la vidéo ?
C’est bien de pouvoir diffuser son travail au monde entier tout en gardant un œil sur ce qui se fait ailleurs en quelques clics. Mais je déteste le côté influence d’Instagram. Il y a malheureusement trop de personnes qui mentent sur leur vie ou leurs compétences pour les likes et les abonnés. Je suis conscient de la visibilité que les réseaux peuvent apporter et je m’en sers parfois, mais j’ai du mal avec le contenu rapide. Je préfère les édits de dix minutes au réels de douze secondes. Je suis content quand l’un de mes posts marche bien, mais je n’y accorde pas plus d’importance que ça. Il y a beaucoup de gars très créatifs dont je suis le travail sur Instragram mais il y a de plus en plus de personnes qui s’autoproclament photographes ou vidéastes professionnels et qui ne font que suivre la mode. Ils se pompent tous entre eux et réutilisent les mêmes musiques insupportables et les mêmes pré-sets sur leurs images. Je suis contre cette tendance et c’est essentiel pour moi de tenter d’apporter une touche artistique singulière dans chacune de mes séries photo ou chacun de mes édits sans forcément me soucier de ce qui plaît.
Quel regard portes-tu sur la scène photo et vidéo surf française ? Est-ce qu’elle t’inspire ou au contraire, as-tu du mal à t’y identifier ?
Je ne m’y identifie pas trop, je la trouve en grande partie trop lisse et trop corporate. Celle de l’époque de Vincent Kardasik et Nicolas Dazet était bien plus core et plus en accord avec ce que j’aime. Je m’inspire davantage des plus des anciens que des gars de ma génération et je préfère le travail de certains Portugais, Australiens, Hawaiiens et Américains, que j’ai eu la chance de côtoyer pour certains.
Tu fais partie de Keks Machine, d’ALC… Est-ce que cette dimension du collectif nourrit ton travail ?
Les rapports sont différents. ALC, c’est la création de mon grand frère, c’est plus de vingt ans d’amitié et de travail qui ont contribué à faire d’une fête entre potes le pus gros festival surf, skate et musique d’Europe. J’ai passé une partie de mon adolescence avec eux, ce qui a provoqué une étincelle en moi. Leur concept ALC TV des années 2000-2010 qui consistait à faire des vidéos entre potes, en mêlant surf, conneries et musiques underground, en montrant le quotidien sans filtre, m’a beaucoup inspiré pour Keks Machine. J’ai crée Keks Machine pendant un trip en Californie avec mes deux copains, Mathis (Martinelly) et Jordan (Sevellec) et depuis deux ans, d’autres compères se sont ralliés à la cause. Tous ensemble on voyage, on produit des clips, on organise des événements, des soirées projection, on collabore avec des marques et d’autres crew de jeunes branleurs. Tout ça me pousse à être plus créatif derrière ma caméra et chacun a son talent, y met du sien, on se pousse, on s’améliore, en surf, en skate, dans la vidéo, le montage et la kekserie. Je sens que l’on va faire de belles choses, un article à propos de Djoko (Jordan) sera d’ailleurs publié dans le prochain magazine Surf Session. Je passe un muxu à Diego, Thibault, Brat, Teiva, Issam, Polak, Juju et Kepa.
Travailles-tu actuellement sur un projet dont tu pourrais nous parler ?
Dans la continuité de Dirtyndependentity, avec mon crew Keks Machine, on garde tous nos meilleurs clips depuis l’été dernier pour une part qui sortira en juin prochain. En septembre dernier je suis allé à Sumbawa avec Erwin Bliss et Blake Neka pour filmer une part pour Deflow qui sortira bientôt. Je pars bientôt en Côte d’Ivoire avec SkateHer, une association biarrote, pour mon premier projet documentaire sur la jeunesse, le skate et le surf.
Quelques-uns de ses projets vidéos
Pour retrouver l’ensemble des projets vidéo de Théo, rendez-vous sur son site internet et sur sa page Instagram.