Récemment, nous poussions les portes de l’atelier RT Surfboards dans le quartier Blancpignon à Anglet, où sont installés de nombreux shapeurs. La Naissance de Vénus de Botticelli qui nous a fait face en entrant dans la boutique illustre à merveille le goût de son fondateur, Alberto Galletti, pour l’esthétisme et le beau. S’il met un point d’honneur à faire des planches qui fonctionnent au mieux dans l’eau sous les pieds de ceux qui les surfent, la vision qu’il en a laisse à penser que pour lui, elles transcendent leur aspect utile pour s’inscrire dans quelque chose de plus grand encore, ayant à voir avec l’art. Nous avons pris le temps d’échanger avec le shapeur, cérébral, rigoureux, attaché au « bien fait » et soucieux de satisfaire au mieux les attentes et l’imaginaire de ses clients.
Le Pays Basque, comme une évidence
Alberto est originaire d’Italie, où il a passé les vingt premières années de sa vie et où il a commencé le shape lorsqu’il avait quinze ans, dans la première moitié des années 80. Cela fait plusieurs années que le shapeur est installé à Anglet où il a installé son atelier et fondé sa marque, RT Surfboards, après avoir voyagé et vécu quelques années dans le Sud-Est de la France.
S’il shape avec toujours autant de passion, son rôle a évolué du côté de l’innovation et de la transmission auprès de son équipe, fort de ses longues années de pratique. « Au début, pendant 10-15 ans, j’ai plutôt shapé pour moi-même et des copains » raconte le shapeur à propos de ses débuts. Des années au cours desquelles il a beaucoup exploré, fabricant toutes sortes d’engins flottants. C’est à la fin des années 90 que les choses sont devenues plus sérieuses et qu’Alberto a décidé d’en faire son métier. Il a alors jeté son dévolu sur le Sud-Ouest de la France, qu’il pratiquait assidument depuis le milieu des années 80. « J’ai fait ce choix pour être crédible, être exposé aux dernières nouveautés et en compétition avec des marques qui tenaient la route et me feraient comprendre si j’avais mon mot à dire, ma place dans ce secteur » nous confie-t-il.
Avant d’atteindre le niveau d’expertise qu’on lui reconnait aujourd’hui, Alberto est passé par une longue période d’apprentissage. Il s’est forgé en autodidacte, tout en apprenant au contact d’autres shapeurs. « Ce sont des trajectoires qui impliquent presque obligatoirement des années et des années de tests, d’essais, de planches faites pour moi-même. Je me suis d’abord laissé envahir par la beauté du geste et par le métier puis j’ai pioché des idées en parlant avec les uns les autres, que j’ai mélangé aux miennes. » Quand il a commencé, les choses étaient bien différentes. « Pour quelqu’un qui voudrait s’y mettre aujourd’hui, il y a toutes sortes de tutoriels qui peuvent aider les shapeurs débutants, mais malgré tout c’est un métier qui s’apprend sur le tas » conclut Alberto à ce sujet.
Des planches performantes et efficaces
Que ce soit dans sa pratique du surf comme dans son métier, le fondateur de RT Surfboards est lié à la performance, dont il a une vision bien précise : « c’est un terme un peu fourre tout. La performance est effectivement liée à la dimension sportive, compétitive et radicale, mais c’est surtout une question d’efficacité. La fabrication d’une planche est un mélange d’aptitudes, de corps de métier, d’esprits différents et c’est une pièce d’équipement qui doit fonctionner au mieux. » Mais si le shapeur est sensible à la capacité d’une planche à être la plus efficace possible pour celui qui l’a sous les pieds, sa dimension esthétique compte. « Une planche peut aussi être une forme d’art, un genre de sculpture, avec des lignes et des courbes qui peuvent être interprétées de manière presque sensuelle… Chaque surfeur y attache un imaginaire qui lui est propre. »
Si une planche de surf peut être un pur objet d’art où l’efficacité dans l’eau est un détail comme un objet technique dont la dimension esthétique passe au second plan, les planches RT Surfboards sont performantes, mais leur aspect est travaillé. « Mon but est de faire des planches efficaces avec une exigence sans frontière, tout en apportant du soin à leur aspect esthétique » explique-t-il. En partant de cela, la marque s’adresse autant à des surfeurs très pointus, qu’à des personnes dont le niveau n’est pas très élevé, souhaitant une planche fonctionnelle en accord avec leur niveau, leurs attentes et leurs exigences propres. En ce sens, tout le travail du shapeur consiste à adapter son savoir-faire et son expérience au profil de celui ou celle qu’il a en face de lui.
Au fil de notre discussion avec Alberto, nous lui avons demandé sous les pieds de qui ses planches avaient l’habitude d’évoluer. Son team actuel est composé de certains des meilleurs pros français contemporains, Gatien Delahaye et Tessa Thyssen, ainsi que de la surfeuse espagnole Ariane Ochoa ou encore de Romain Laulhé. Pauline Ado a elle aussi surfé ses planches pendant plusieurs années. Mais le spectre des surfeurs auxquels Alberto s’adresse est bien plus large. « Je m’adresse à tous les surfeurs qui ont assez de niveau pour prendre du plaisir sur leur planche et qui commencent à en tirer profit en surfant la vague. Ce qui est loin du surf de compétition ou même du haut niveau. Je souhaite autant satisfaire les besoins, les exigences et l’imaginaire d’un surfeur très pointu appartenant à l’élite que de quelqu’un qui fait ses premiers pas dans le monde du shortboard. De mon point de vue, ils ont tout intérêt à avoir une bonne planche pour progresser rapidement. » Le shapeur et son équipe s’adressent à tous les surfeurs avec la même attitude et travaillent de la même manière, quel que soit son profil. « Tout le monde fait l’objet de la même attention » conclut-il à ce propos.
Un échange perpétuel avec son team
Une grande partie du travail d’Alberto concerne le développement de ses planches et de sa gamme. Celui-ci se nourrit des échanges que le shapeurs a avec les riders de son team et les surfeurs en général qui lui font des retours. « Mon team est composé de surfeurs très exigeants avec lesquels c’est passionnant de travailler. Il y a un véritable suivi, on fait de la recherche, on va chercher des choses très pointues dans l’espoir de leur donner ce petit avantage supplémentaire sur les autres. On avance, on se trompe, on recule… C’est mouvant mais très intéressant ! »
Nous l’avons d’ailleurs questionné sur la pression qu’il pouvait ressentir, liée au fait de réaliser des planches sur-mesure. Autrement dit, cette pression est-elle la même face à tous les surfeurs ? « Il y a de la pression, on n’a pas vraiment le droit à l’erreur, mais c’est un échange permanent. » Qu’il s’agisse d’un pro ou non, tout le monde est logé à la même enseigne. Le shapeur s’explique à ce sujet : « Pour un surfeur de mon team dont je connais bien les goûts, ça m’arrive d’avoir une idée, de lui dire « tiens, tu as cinq planches qui marchent du feu de dieu, je vais t’en faire une sixième pour essayer quelque chose ». Là je n’aurai pas une très grosse pression, parce que je sais que les cinq autres marcheront très bien. Mais quand un client vient me voir, qu’il lâche une certaine somme, c’est important d’arriver à cerner son profil et ses attentes pour lui faire la meilleure planche possible. Je me mets beaucoup de pression pour satisfaire tous mes clients et j’ai un très gros respect pour eux, je ne prends rien à la légère. »
Satisfaire au mieux le surfeur
S’il y a bien une chose dont Alberto ne se lassera jamais, c’est l’élaboration de nouveaux shapes, qui rend son métier inépuisable. La gamme RT comporte actuellement une vingtaine de modèles que le shapeur a développé les uns après les autres et qu’il élabore en permanence. « En plus de cela, je cherche de nouvelles idées, en les confrontant avec d’autres, en prenant en compte les retours… Je ne reste pas derrière mon ordinateur pour que ces idées me viennent. Quand on me sollicite pour résoudre un problème spécifique ou avec l’envie de surfer d’une certaine manière, ça me donne envie de créer et de répondre à cette envie » affirme-t-il. Toutes ces années de pratique lui permettent aujourd’hui de donner des conseils avisés aux surfeurs qui franchissent la porte de son atelier. « Quand un surfeur vient me voir et qu’il m’explique ce qu’il attend de sa future planche, mon atout est d’être capable comprendre ce dont il a besoin. Ce n’est pas chose aisée dans la mesure où des exigences techniques et psychologiques rentrent en jeu. Mon travail est de réussir à satisfaire ses envies, à trouver le meilleur des compromis entre une planche qui lui plait et qui fonctionne bien pour lui. Ce n’est pas toujours évident mais c’est passionnant. »
Ce fut l’occasion pour nous de le questionner sur les demandes qu’on lui adressait. « C’est assez fascinant, parce que la demande dépend vraiment de la psychologie de la personne. Il y a de très bons surfeurs qui ne sont pas très pointus dans leur demande et d’autres dont le niveau est plus faible, mais qui sont passionnés et pointilleux, voulant tout savoir sur leur planche. » Une diversité de profils qui ne fait qu’alimenter l’enthousiasme du shapeur et de son équipe dans leur pratique, tant elle se renouvelle sans cesse. « Si on pouvait classer les surfeurs dans des cases, ça serait ennuyant. Tandis qu’à chaque nouveau client on est face à un interlocuteur différent et une histoire différente. » Si chaque histoire est différente, l’envie d’Alberto elle, reste univoque : faire une planche efficace qui satisfera au mieux le surfeur.
Les évolutions à l’œuvre
De ses débuts jusqu’en 2006, Alberto shapait toutes ses planches entièrement à la main. En 2006, il s’est équipé d’une machine de préshape et depuis, il dessine ses planches à l’ordinateur avant de les façonner. « La stratification de la planche elle, n’a pas changé, tout comme le ponçage. On cherche simplement à agencer différemment l’espace de travail, de manière à ce que le système d’aspiration ou l’éclairage soient le plus efficaces possible, pour que celui qui ponce évolue dans les meilleures conditions possibles » explique le shapeur. Si au fil des années, son niveau d’expertise et son professionnalisme se sont aiguisés, son rôle a lui aussi évolué au sein de l’entreprise. Comme beaucoup de shapeurs de sa génération Alberto a commencé seul et le volume des demandes fut tel qu’il a alors dû s’entourer d’une équipe auprès de laquelle il a désormais un rôle de formateur et à qui il transmet son savoir-faire, ses connaissances. Bien qu’il aime toujours autant travailler la matière, Alberto a dû développer des compétences dans le domaine de la gestion d’entreprise.
Aux premières loges des évolutions en matière de planches dans son propre segment, Alberto dresse le constat d’une diversification ces quinze dernières années : « Si l’on réfléchit à l’offre qu’il pouvait y avoir entre le début des années 90 et le milieu des années 2000, il y avait seulement des shortboards très pointus techniquement et tous ceux qui n’avaient pas le niveau ou la niaque pour les surfer, faisaient du longboard ou du rétro.Aujourd’hui l’offre de planches dites »shortboard » s’est considérablement élargie, allant du twin pour les toutes petites vagues aux big guns, en passant par tout ce qu’il y a entre les deux. » Le shapeur a choisi depuis toujours de se concentrer sur ce créneau du »shortboard élargi », en laissant à d’autres spécialistes le segment du longboard ou des shapes retro.
« Je pense que c’est déjà assez compliqué de maîtriser la glisse, les formes et le pourquoi du comment dans un secteur pour ne pas m’embêter à essayer de tout faire » nous confie-t-il. Sa hantise serait de faire trop de choses moyennement en ne faisant rien de vraiment bien. « Ce n’est pas que je n’aime pas les autres types de planches, mais je n’ai qu’une vie et je pense avoir assez de travail à chercher à maîtriser ce que je fais dans mon domaine » conclut-il.
La place de l’éco-responsabilité
Face à l’urgence environnementale dans laquelle se trouve notre planète, il semble difficile de ne pas aborder la question de l’éco-responsabilité. Nous avons donc demandé au shapeur quelle place elle occupait dans son entreprise. « Une planche est faite de matériaux potentiellement recyclables les uns indépendamment des autres, mais une fois assemblés et stratifiés, il n’existe pas de filière pour les désassembler. Économiquement, ça n’a pas de sens. Alors oui, on peut faire du green washing en disant que la planche est recyclable, mais dans les faits, elle ne l’est pas. Si les matériaux le sont, une fois agrégés, ils ne le sont plus. »
Si pour Alberto, tout progrès dans la bonne direction est bon à prendre, l’aspect économique est aussi une réalité qu’il est difficile de laisser de côté. Le coût de fabrication d’une planche et son coût à l’achat sont des éléments importants à prendre en compte. « Notre pratique est un grain de sable dans la pollution généralisée de l’industrie. La mettre en branle pour faire doubler le prix des planches et lourder les portefeuilles des surfeurs qui ne sont pas à profondeur variable, ça n’a pas de sens. » Si l’avis du shapeur est tranché sur la question, la durabilité est tout de même une question centrale de son travail : faire moins, mais mieux. « Par contre, faire les planches dont les gens ont besoin, les faire le mieux possible pour qu’elles durent le plus longtemps possible, c’est pour moi ce qu’il y a de plus écolo. » Il est indispensable selon lui d’être à l’origine d’une production éclairée donc de planches sur-mesures, découlant d’une attitude respectueuse vis à vis de la ressource. « Quand un surfeur vient, je lui fais une planche et si je réponds comme il faut à sa demande, il l’aimera et la surfera jusqu’à l’os. Je fais du mieux que je peux, à mon échelle, pour que mon impact soit le plus réduit possible. »