« Le surf féminin fait partie de ma vie, pour toujours. »
Lisa Andersen
Nous rencontrons Lisa Andersen à Biarritz, à l’occasion de la Maider Arosteguy dont elle était cette année la marraine. Lisa Andersen, c’est une histoire de vie tournée vers le surf, 4 titres de championne du monde (de 1994 à 1997) et un style féminin et athlétique, explosif et progressif, qui a posé les fondations du surf féminin il y a plusieurs décennies. La Floridienne a été la première femme à faire la couverture de Surfer Magazine en 1995 et a été nommée par nos confrères parmi les « 25 surfeurs les plus influents de tous les temps« . Véritable icône du surf et du surf féminin, elle est ambassadrice ROXY depuis 30 ans et reste une inspiration pour les nouvelles générations qui marchent dans ses pas, ou devrait-on dire qui surfent dans ses lignes. Interview.
En tant que surfeuse et compétitrice, aimes-tu aussi regarder les compétitions ?
J’ai hâte de regarder la Maider Arosteguy. Le talent dans le surf féminin a explosé et je ne suis pas venue ici depuis longtemps donc j’ai hâte de voir ce que la France a à proposer. J’aime rencontrer de nouvelles filles et aussi trouver des talents, des prospects pour la marque. Je garde toujours un œil sur les filles et le surf féminin car ça fait partie de ma vie, pour toujours.
Et je suis bien-sûr beaucoup le Championship Tour. Je suis toujours levée au milieu de la nuit pour regarder les heats. Je regarde les filles, je leur envoies des messages d’encouragement. Lors de l’évènement au Portugal, Courtney Conlogue a porté mon nom sur son lycra dans le cadre du dispositif pour marquer la journée internationale du droit des femmes, donc je lui ai écrit. Elle n’a pas gagné mais c’était super à suivre. Je suis toujours très impliquée.
Quel est ton avis sur ce nouveau Tour, très différent de ce que tu as connu ?
J’ai mis un moment à comprendre comment ça fonctionnait et j’étais un peu perdue. Cette année après seulement 3 évènements ils avaient déjà une idée du classement donc j’ai de l’empathie pour les surfeurs, pour ce que ça doit faire quand tu as commencé l’année il y a quelques mois et que tu t’inquiètes déjà de ne plus être sur le Tour. Je suis toujours du côté de surfeurs donc leur avis est mon avis.
La saison passée, on a observé Steph Gilmore battre le record du monde. Qu’est-ce que cela t’a fait en tant qu’amie, surfeuse et championne ?
J’étais sur place quand c’est arrivé et j’en ai des frissons rien que d’y repenser. Pour ma part, j’aime capter l’énergie des gens et sentir qui va gagner, un peu par intuition. Pour Steph, il y a quelque chose en elle que je perçois et qui me permet de dire “elle est lancée« . Il y avait quelque chose de spécial à propos de cette journée, son équipe voyait des 8, des 88 partout, il y avait de la manifestation dans l’air et la chance était de son côté. Je l’ai réalisé dans son premier heat : il y a eu un dernier échange de vague qui a été en son sens et on a pu voir quelque chose se passer, j’ai vu que quelque chose s’était apaisé en elle. À chaque heat elle avait l’air de plus en plus à l’aise et je me suis dis “elle va être très dure à battre”.
J’ai pensé à Carissa qui devait être en train de regarder ça et j’ai pensé qu’à sa place je ne voudrais pas regarder les heats, je serais à la maison et ne viendrais qu’au moment de mon heat pour ne pas avoir cette pression accumulée. Le fait qu’elle ait suivi les heats a dû faire monter le stress pour elle et j’ai pensé “ce n’est pas bon pour elle car Steph est imbattable aujourd’hui”. Je savais qu’elle gagnerai juste après son premier heat donc c’était super de voir cela se dérouler. C’était une grande journée pour le surf féminin et pour elle, j’étais vraiment contente d’y être (rires).
Comment était l’ambiance sur place ?
C’est assez fou. C’est excitant de voir quelqu’un qui a peu de chance, comme Steph partie 5e, aller gagner ce titre. C’est dur de regarder un surfeur perdre mais ça fait partie du métier, de savoir montrer ce dont on est capable à chaque instant. L’énergie est incroyable parce que le surf est populaire au Etats-Unis, c’est un mode de vie. Voir une finale c’est comme celle-ci c’est le Superbowl, tout le monde veut faire partie de cette journée. C’est bon pour le sport, je ne sais pas si cette stratégie va durer ou ce qu’il va se passer mais ce dont j’ai fais l’expérience était incroyable.
À l’époque, tu nommais des hommes comme Tom Curren et Tom Carroll comme tes héros. Aujourd’hui la championne du monde est capable de te citer comme l’un de ses héros, y a t-il un sentiment d’accomplissement vis-à-vis de ça ?
Le surf féminin en tant que sport est encore très jeune, mais il y a de l’Histoire avant moi. À l’époque je dois admettre que je ne m’étais pas intéressée à l’Histoire, savoir qui était qui n’était pas quelque chose qui m’intéressait car j’étais juste une petite morveuse, une grom qui ne s’intéressait qu’à elle-même. Mais en vieillissant et maturant, je vois comme ça affecte les autres, leurs attitudes et leur personnalité. Je ne voudrais pas que les jeunes d’aujourd’hui ne sachent pas qui étaient ceux de ma génération et ne respectent pas le passé ou les icones du sport, ceux qui ont mené le sport où il est aujourd’hui. En vieillissant on se dit “je veux tout savoir”. Je veux savoir qui est Rell Sunn, je veux savoir qui était la première championne du monde… J’espère que les jeunes d’aujourd’hui pourront plonger là-dedans et d’avoir Steph dire ce genre de choses c’est honorable. Je l’aime, je l’aime comme une sœur. Je pense que c’est un bon exemple en tant que championne du monde, d’être capable de respecter ceux qui sont venus avant et ont créé le sport. J’espère être en mesure de leur apprendre aussi ces choses.
« Le surf féminin en tant que sport est encore très jeune »
Lisa Andersen
« Je me rappelle d’un temps où les gars disaient que les filles ne surferaient jamais aussi bien et maintenant regardez ce qu’elles font, c’est incroyable, hallucinant et je pense que ça ne va aller qu’en s’améliorant. »
Lisa Andersen
Aujourd’hui sur le Tour féminin, on remarque toute une génération de surfeuses d’à peine 20 ans qui affrontent des surfeuses établies sur le Tour depuis des années, comment perçois-tu cela ?
Je pense que c’est un changement à venir. Tous les 10 ans je pense qu’il y a du changement dans nos vies ou dans le Monde.
Ce gap de génération est intéressant. La génération de Carissa vient de cette vague d’inspiration avec le film Blue Crush. On se rappelle à la suite de sa sortie comme les surf camps ont fleuris partout, il y a eu un boom de filles qui voulaient apprendre à surfer, c’est ce qui a créé je pense cette génération. Puis l’économie et l’industrie ont joué un rôle là-dedans et quelque chose n’a pas fonctionné, il y a eu du désintérêt.
Mais c’est un cycle naturel et pour beaucoup des filles qu’on voit aujourd’hui, leurs parents surfent, certains même à haut niveau par le passé. Je pense que Carissa, Coco, Steph, Courtney et toutes les filles de leur âge font un excellent job à inspirer les plus jeunes car leur niveau quand elles se sont lancées était stratosphérique.
Maintenant les édits et les piscines à vagues deviennent aussi des catalystes pour les plus jeunes, pour apprendre et gagner en confiance. On savait que ça arriverait tôt ou tard. Je me rappelle d’un temps où les gars disaient que les filles ne surferaient jamais aussi bien et maintenant regardez ce qu’elles font, c’est incroyable, hallucinant et je pense que ça ne va aller qu’en s’améliorant.
On pense à la maitrise des airs, et à l’avenir du surf féminin, en construction …
Je me suis toujours demandé “quelle est la suite ?” et dans mes rêves les plus fous je n’avais jamais imaginé les filles faire de airs énormes, pourtant elles le font aujourd’hui. Des jeunes de 14, 12, 11 ans et c’est à nouveau à l’aide des nouvelles technologies, des piscines à vagues et du fait d’avoir la possibilité de regarder les gars le faire. Quand on est un jeune surfeur, on est un élève, on étudie tout le monde, quand on est jeune c’est comme ça qu’on devient bon.
Je suis impressionnée par tout ça et j’en suis une grande fan même si ce n’est pas mon approche, je suis “old school” (rires) et limitée sur ce que je peux faire sur une vague physiquement mais c’est super à regarder et inspirant. Je pense aussi que les Jeux Olympiques vont générer un gros afflux de nouveaux talents, de nouvelles filles, et que ça apportera énormément au surf. Il y aura plus de monde à l’eau, le sport grandit énormément.
Justement, quelle est ta vision de l’évolution de la perception du surf féminin ? Penses-tu que cet objectif historique de reconnaissance soit atteint ?
On peut toujours faire mieux les choses mais je pense que ça s’est énormément amélioré. Quand on pense aux filles sur le Tour ou sur les circuits qualificatifs, elles ont tellement de talent et de super personnalités, ont une valeur marketing, sont courageuses, belles et des individues différentes et uniques. Elles ont toutes leurs signes distinctifs et je pense que notamment les réseaux sociaux leur permettent d’être reconnues et de gagner en visibilité dans le sport. Je pense qu’elles le gèrent mieux que les hommes, elles en montrent plus, il y a beaucoup de personnalités et je ne le vois pas tant chez les hommes. Ils veulent poster de l’action, tandis que les filles postent aussi leur vie et je pense que ça jouera dans le fait de prendre de la place et que ça les mènera plus loin encore que les hommes car elles ont autre chose à montrer, au-delà de leur talent.
En parlant des réseaux sociaux dans le surf, comment les perçois-tu ?
C’est une question difficile. En dehors du surf et de façon générale je pense que cela détruit le Monde et nos enfants. Dans le surf, la façon dont on utilise les réseaux aujourd’hui me laisse mitigée. J’aime voir des choses positives, j’aime voir du beau contenu, de la photo. C’est pour cela que nous avons commencé Instagram à l’origine, pour voir les belles images de tout le monde et c’est maintenant devenu une plateforme de publicité. C’est donc dur à dire mais j’ai vu ce que ça faisait à mes enfants et ils ont eux choisi de ne pas l’utiliser à cause de ça, du fait que ça fait se sentir moins que rien.
Dans le surf, les magazines me manquent, je suis toujours abonnée à Surfers Journal et je suis une collectionneuse, j’ai la mauvaise habitude d’entasser les choses (rires). Je ne suis pas sûre de comment aborder ce sujet, ce sont des préférences personnelles. Je préfère les magazines et les livres plutôt que de scroller sur Instagram car ce n’est pas sain, mais je sais aussi que les réseaux sociaux ont fait beaucoup dans la carrière de certains car ça permet d’être vu. Il y a tant à prendre en considération vis-a-vis de ça.
Initialement publié le 25 mai 2023.
« Dans le surf, les magazines me manquent »
Lisa Andersen