Puisqu’il est nécessaire de le définir pour l’introduire on pourrait dire de Greg Rabejac qu’il est l’un des photographes les plus emblématiques de la culture surf française et internationale. Il l’est, cela ne fait aucun doute, mais ce serait une erreur de le désigner uniquement comme cela.
En plus d’avoir été le premier photographe à couvrir le premier surf historique à Belharra en 2002, il a également suivi le Quik Pro pendant des années. En parallèle, il n’a eu de cesse de sillonner les routes du monde à la recherche de vagues nouvelles souvent inconnues pour les immortaliser. Greg aime plus que tout voyager hors de sentiers battus et loins des repères classiques, là où pendant longtemps il a été le seul à aller chercher des vagues.
Depuis une dizaine d’années il focalise son objectif sur les vagues vierges, où le surfeur est absent, et les saisit dans leurs moindres détails. Passionné par les voyages d’aventure et engagé dans la préservation de l’environnement, il participe aux expéditions Odisea avec le surfeur Damien Castera et le snowboardeur Mathieu Crepel. Il immortalise ces voyages de plusieurs semaines au fil de l’eau et au coeur des grands espaces, qui ont pour objectif, entre autres, de sensibiliser le plus grand nombre à la fragilité de nos écosystèmes.
Quand on rencontre Greg, on repart avec l’envie de partir à l’aventure dans la nature sauvage et avec la certitude que l’eau est une source de bonheur, un lieu de sérénité et un bien à préserver absolument.
Souvent exposé à la Maison du Surf de la Côte des Basques à Biarritz, le photographe nous parle de son histoire, de son parcours, de ses combats et de son engagement. Très attaché à l’océan, il peut passer ses jours et parfois ses nuits à en immortaliser les mouvements dans leurs moindres détails.
Entretien.
Surf Session – Peux-tu revenir sur ton parcours professionnel ?
G.B – J’ai fait des études de commerce. Pendant mon premier boulot j’ai vraiment réalisé que j’étais passionné par la photo et le milieu du surf. J’ai eu envie de plonger dans l’eau avec un appareil pour transmettre ce que j’y trouvais de beau. Dans les 90’s, l’industrie du surf était en plein boom dans la région et toutes les sociétés avaient besoin d’images, de visibilité pour les surfeurs de leurs teams. Les magazines aussi avaient besoin de photos. Je me suis fait une place, il y avait une vraie émulation. J’ai commencé comme autodidacte. Les moindres ventes que je faisais je les investissais dans le matériel et les pellicules. C’est vraiment devenu mon métier en 1999. 2002 a été une étape clé de ma carrière, au moment du premier surf historique à Belharra. J’étais présent pour photographier la toute première session. C’est un événement majeur pour le surf européen. Je couvre quasiment toutes les sessions depuis. Pendant des années j’ai exploré l’Europe, surtout des endroits hors circuit. J’ai monté une équipe avec des surfeurs de grosses vagues. On est allés en Irlande, à Madère, au Portugal, en Espagne mais aussi au Maroc et dans le Sahara. J’ai aussi profité des plus grosses tempêtes pour découvrir le potentiel caché de notre Golfe de Gascogne. Dans mon travail il y a toujours eu la dimension des vagues XXL et cette ambiance particulière liée à la pression qu’il peut y avoir dans ces vagues. J’avais peur de passer à côté de choses exceptionnelles. J’ai toujours fait preuve d’un investissement personnel très fort, ce qui pouvait être difficile à gérer avec ma vie familiale. D’une semaine sur l’autre on pouvait ne pas savoir où on serait. Ça m’est arrivé de passer des hivers presque entiers à explorer les routes d’Europe. Mais j’ai eu la chance d’avoir été seul dans des vagues qui sont aujourd’hui connues et reconnues. On a été sur certaines des plus belles vagues du monde pendant plusieurs hivers d’affilée à une époque où il n’y avait encore personne. Le surf s’est tellement développé que ça n’arrivera plus aujourd’hui.
SS – C’était important pour toi de garder ces lieux confidentiels ?
G.B – Oui, je me suis battu pour cela pendant des années. Avec Manu Portet on a exploré des endroits de l’Atlantique où il n’y avait personne. Quand je ramenais des reportages je devais me battre pour garder ces destinations secrètes. Je devinais le danger de révéler des endroits encore préservés. J’avais envie de donner aux gens l’envie d’explorer sans leur mâcher le travail. Aujourd’hui avec Instagram beaucoup de lieux ont perdu de leur âme. Certains locaux m’ont déjà demandé de parler d’endroits pour que le tourisme s’y développe mais je leur ai expliqué les conséquences négatives que cela pourrait avoir. La plupart du temps ils ont compris et avec le recul ils sont même contents. Je me suis aussi battu contre certains guides de surf qui ont révélé l’accès à certaines vagues cachées. C’est encore rare aujourd’hui que je révèle précisément mes destinations. Sauf pour Madère qui est un lieu où n’importe quel surfeur ne peut pas aller, peu d’entre eux ayant l’expérience et l’engagement nécessaires pour y surfer. Les vagues se protègent d’elles-mêmes.
SS – Dans ton travail, dans les sujets que tu traites, on constate une évolution. Peux-tu nous en parler ?
G.B – Il y a plusieurs axes dans mon travail. Il y a celui sur les grosses vagues dans des lieux tels que le Sahara, la Norvège, la Patagonie, l’Alaska… Ce qui m’intéresse c’est de sortir des repères classiques en me rendant dans des endroits perdus où l’on n’aurait pas forcément pensé aller chercher des vagues. Même si j’ai fait le circuit classique Mentawaï/Hawaii/Tahiti je préfère l’aventure et les trip plus roots. J’ai aussi couvert le Quik Pro en tant que photographe aquatique pendant des années. Je suivais toutes les séries de Kelly Slater jusqu’à ce qu’il gagne l’épreuve. Depuis une dizaine d’années j’ai fait le choix de me consacrer à la vague pour la vague, sans le surfeur. Je me focalise sur sa dimension esthétique. Sans le surfeur on perd la notion de taille. Dans mon livre Le dit vagues il y a des vagues qui font 10 centimètres et d’autres qui font 3 mètres. J’ai pris le parti de l’esthétisme, de la lumière, des reflets… Je m’épanouis beaucoup plus avec ce travail en solitaire dans les vagues, j’y trouve une vraie harmonie. Je retrouve le calme et la sérénité que je ressentais lors de mes voyages.Le surf est devenu un tel phénomène de masse que c’est devenu compliqué pour nous les photographes de travailler dans l’eau. Il y a très souvent du monde qui nous gêne ou qui gêne le surfeur avec lequel on travaille. Maintenant je travaille dans le détail avec des objectifs macro. Ça me permet de rentrer dans la matière de la vague, d’en isoler des portions. J’ai l’oeil dans le viseur jusqu’à la dernière seconde. Je me concentre jusqu’au moment où je prends l’impact de la vague sur la tête. Ce qui est une prise de risque.
SS – D’ailleurs, est-ce que ton travail nécessite un entraînement physique particulier ?
G.B – J’ai une vie assez saine. Je suis dans l’eau tous les jours, que ce soit dans l’océan, les lacs ou les rivières. Je n’ai pas vraiment d’entraînement mais un foncier que j’entretiens tous les jours. Je surfe, je fais du body-surf, je marche en montagne. Mais je prends quand même moins de risques qu’avant.Une fois j’ai été seul à l’eau dans un Belharra énorme, en 2008 ou 2009. Il n’y avait ni bateau ni jet-ski. Je ne pense pas que je le referais aujourd’hui, mon engagement est un peu moins intense qu’autrefois. Mais je suis toujours aussi passionné qu’avant et je suis toujours autant fasciné par les vagues vierges.
SS – Est-ce que tu apprends encore des choses en termes de lecture de vague ?
G.B – Bien sûr. Également en termes de possibilité de photos, en ajoutant des lumières, des flashs, en changeant mes objectifs. L’océan et les vagues sont différents chaque jour. Je ressens toujours la même excitation que quand j’avais 12 ans. Quand je vois d’autres photographes comme Sylvain Cazenave, qui sont toujours animés du même feu, je me dis qu’on a la chance d’avoir un métier passionnant et d’évoluer dans un terrain de jeu infini. Ma fille qui a neuf ans commence à être passionnée par l’océan, les vagues et la photo. On partage tout ça ensemble et ce sont des moments extraordinaires. On plonge ensemble, elle a son caisson et elle fait des photos. Je trouve que c’est une passion saine pour un enfant. C’est une bonne manière de s’ouvrir au monde que de découvrir la simplicité et le bonheur d’être sous l’eau. Quand on photographie un poisson avec un objectif macro il ne s’agit pas juste de l’observer, on rentre dans leur regard. L’idée c’est de montrer aux gens que l’on peut regarder autour de nous sans forcément aller au bout du monde. Avec la photo on peut se pencher sur n’importe quel sujet et en apporter sa vision. Les photos sont des témoignages qui peuvent faire changer les choses. Ce qui est aujourd’hui très banalisé avec Instagram où des millions de photos se ressemblent tous les jours. Parmi ça il y a des pépites qui peuvent marquer leur temps et faire voir aux autres la planète différemment.
SS – Tu es un grand voyageur mais tu sembles très attaché au Pays-Basque. Qu’est-ce que ce lieu représente pour toi ?
G.B – Je devais faire trois voyages cette année mais c’est tombé à l’eau. Cette année la notion de voyage est compliquée. Je suis même gêné de parler de voyage quand je vois l’état de notre planète. Même si le Pays Basque est saturé avec le surf et qu’il y a beaucoup trop de monde, j’ai trouvé dans ces vagues vierges une sérénité, un calme et une qualité de travail qui me passionnent. C’est pour ça que j’ai du plaisir à continuer ici. Mais si j’étais resté dans le circuit surf traditionnel je ne dirais pas la même chose. Je veux le dire, il y a beaucoup trop d’écoles de surf et de zones de baignade surveillée. Quand on voit le peu d’espace qu’ont les surfeurs c’est une honte. On est 200 à l’eau sur des spots où l’on devrait être une dizaine.
SS – Peux-tu nous parler de ton engagement pour l’environnement, des expéditions auxquelles tu participes à ce propos ?
G.B – Je travaille avec Mathieu Crepel et Damien Castera. C’est plus qu’un travail, on est passionnés par les mêmes sujets et les mêmes envies de sensibiliser les autres à cela. Tout est parti de mon lien avec la Water Family, anciennement l’association Du Flocon à la Vague. Son objectif est de sensibiliser différents publics au cycle de l’eau en symbolisant la chute du flocon sur la montagne, sa descente dans les rivières avant d’atterrir dans l’océan. On veut montrer qu’il faut prendre soin de notre eau et que ce n’est pas en se plaignant que l’eau soit polluée à la plage que l’on trouvera une solution. Il faut tenter de prendre le problème à la source. Initialement on organisait des événements sportifs avec des athlètes, qui débutaient dans les Pyrénées et se terminaient sur la côte. Puis avec Mathieu et Damien on a créé les aventures Odisea pour montrer aux gens que l’on peut voyager dans des endroits magnifiques tels que l’Alaska, la Patagonie et la Norvège tout en suivant le cycle de l’eau. Il s’agit de vivre une aventure dans un cadre magnifique tout en découvrant notre planète. On s’est rendu compte que même dans des lieux que l’on croyait purs, vierges et préservés il y avait des traces de pollution humaine.
SS – C’est important pour toi cette thématique de l’eau ?
G.B – Beaucoup de problèmes viennent de notre manière de gérer l’eau. C’est une thématique infinie qui n’est pas assez mise en valeur dans les pays qui hébergent d’immenses quantité d’eau. Il devrait y avoir des ministères de l’eau. C’est la base de tout, c’est une chose vitale qui touche à l’environnement, l’écologie, la culture, l’élevage… On a pas assez conscience de son importance. Beaucoup d’enjeux géopolitiques y sont liés, c’est le motif de certaines guerres et cela pourrait empirer avec le réchauffement climatique. On n’aura jamais fini de sensibiliser les gens sur la thématique de l’eau. Avec Damien et Mathieu on veut continuer à vivre ces aventures dans ce but. Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de combats plus importants que celui-là. Cet été certaines plages ont été fermées au Pays Basque à cause de la présence d’une algue toxique. Ça a duré quelques jours, mais peut être qu’un jour l’océan sera fermé, que l’on ne pourra même plus s’y baigner ni surfer. On n’ose même pas imaginer cela. Si ça devient définitif ce serait un cauchemar, mais un jour ça pourrait nous tomber dessus. C’est pour ça qu’il faut se battre. Pour pouvoir continuer à boire l’eau de nos rivières en montagne et se baigner dans l’océan.
SS – Peux-tu nous parler plus en détails des expéditions Odisea ?
G.B – Ces expéditions nous ont montré que ce n’est pas uniquement dans nos pays hyper-industrialisés que la pollution est présente. Elle est partout, même dans les montagnes à plusieurs milliers de mètres d’altitude. Il y a des traces de micro-plastiques, de polluants et de perturbateurs endocriniens même dans les endroits les plus reculés de la planète. Partager ce que l’on ressent à travers ces voyages et ces rencontres est un minimum pour nous. On souhaite que les gens qui ne le sont pas puissent être au courant. Pour qu’eux aussi puissent regarder la nature d’un oeil critique, la nettoyer quand ils le peuvent. Quand je vais en montagne je descends toujours avec des déchets que je ramasse. L’idée c’est ensuite de la partager avec le plus grand nombre, aller dans les écoles par exemple. On veut donner aux gens l’envie de vivre ce genre d’aventures en leur montrant que ce sont des voyages simples et accessibles. Ce sont les voyages les plus simples qui sont souvent les plus forts ! Il ne faut pas non plus faire n’importe quoi, on explique par exemple qu’on a recours à des guides pour la haute montagne. Ces voyages et ces émotions sont accessibles, on veut montrer que cette beauté nous appartient à tous. En France on a souvent l’impression que la nature est un bien que l’on peut acheter. On ne fait pas partie de ces pays, mais en Norvège par exemple, la nature appartient à tout le monde, c’est un droit acquis par tous et partout. Ça responsabilise davantage et ça nous fait prendre conscience que c’est un bien commun dont on doit prendre soin. »