Le 8 septembre 2022, les secondes WSL Finals depuis la création du nouveau format mondial ont eu lieu sur le spot de Trestles en Californie. Sur la ligne de départ, les 5 meilleures surfeuses du monde cette saison : Stephanie Gilmore (5e au classement), Brisa Hennessy (4e), Tatiana Weston-Webb (3e), Johanne Defay (2nde) et Carissa Moore (1ere). Le format voulait une fois encore que la numéro 5 affronte d’abord la numéro 4, que la gagnante de ce duel affronte la numéro 3 et ainsi de suite jusqu’à la grande finale, laquelle s’est jouée en deux heats gagnants. En partant du bas du classement, ce sont donc pas moins de 5 heats gagnants qu’il était demandé à Stephanie Gilmore pour décrocher son 8e titre mondial. Un défi qu’elle a relevé haut la main, créant l’événement ce jour-là en remontant l’échelle jusqu’au sommet. Son exploit a pris une ampleur considérable, car ce 8e titre a également fait de l’Australienne la surfeuse la plus titrée de l’histoire du sport, un titre au-dessus du record précédent qu’elle partageait jusqu’alors avec Layne Beachley. Quelques semaines plus tard (le 20 octobre 2022), la surfeuse Roxy nous accordait un entretien pour revenir sur cette journée, son année et sa vision du sport aujourd’hui.
Surfeuses – D’un point de vue extérieur, il semble qu’une fois que tu as confiance en toi, rien ne peut t’arrêter. Jake Paterson (coach de Steph, ndlr) a également dit auparavant que c’est le tempérament qui fait l’athlète. La confiance en soi est-elle un élément central de ton parcours ?
Stephanie Gilmore -La confiance en soi est l’ingrédient principal du succès, pour sentir vraiment que l’on mérite d’être là, que l’on mérite ce résultat. Mais l’on ne peut se rabattre que sur l’entraînement physique et tout le reste. J’ai vraiment essayé de me convaincre que je pouvais le faire, que si je baissais la tête et travaillais dur et que j’étais vraiment engagée dans le moment, alors je pouvais réaliser mon objectif. Je n’étais pas sûre que c’était possible, de partir de la 5e position et d’arriver jusqu’au bout, mais j’ai juste essayé de me rappeler que tout est possible si l’on y croit vraiment, si l’on a confiance en soi et en travaillant dur en amont, pour que le jour J ce soit juste un processus facile et amusant. En 2022 je n’ai pas obtenu les résultats dont j’avais vraiment besoin et c’est pourquoi je me suis faufilé à la 5e place lors des Finals. Pour gagner le titre, tout s’est finalement joué le jour-J, où j’avais un état d’esprit tellement fort, une telle clarté sur mes intentions, sur ce que je voulais faire et cette confiance en moi. Le fait de ramer et de me dire « je peux le faire », c’était vraiment la clé.
Après plusieurs titres consécutifs, des adversaires comme Carissa Moore et Tyler Wright sont entrées en scène en tant que championnes du monde, rendant plus difficile pour toi de battre ce record du monde. Quel regard portes-tu sur ces dernières années ?
S.G – J’aime vraiment le circuit féminin en ce moment parce que nous avons beaucoup de talents incroyables. Toutes les femmes se respectent les unes les autres et il y a une sorte de sentiment collectif entre nous que nous faisons cela pour quelque chose de plus grand que nos rêves et nos objectifs individuels. Nous savons toutes que nous faisons grandir le surf professionnel féminin ensemble et c’est un sentiment très agréable de se soutenir les unes les autres, même si nous sommes en compétition les unes contre les autres.
J’ai eu beaucoup de succès au début de ma carrière et j’en suis très reconnaissante, mais les plus grands moments auxquels je pense sont ceux où j’ai dû me battre pour gagner un titre contre Carissa, Lakey ou Tyler, et où j’ai dû me montrer à la hauteur. Lorsque l’on est mis au défi et que l’on se demande si c’est possible mais qu’on est ensuite capable de le faire, ce sont les victoires les plus gratifiantes. Pouvoir battre Carissa le jour des Finals… elle est la meilleure surfeuse et elle peut gagner 20 titres de plus si elle le veut, mais le fait de pouvoir la battre sous la pression de ce moment, le jour des finales, a été le point culminant de ma carrière.
Kelly Slater a mentionné comment le fait de les avoir comme « challengers » t’a probablement permis de « creuser plus profondément et de trouver la force intérieure pour aller au-delà » de ton talent naturel : est-ce ton ressenti ?
S.G. – Absolument, et c’est la beauté du sport. En tant qu’athlètes, nous sommes amenés à vivre ces moments où nous sommes mis sous pression. Il y a une très bonne citation de Billie Jean King, la joueuse de tennis, qui dit que « la pression est un privilège » et qu’elle permet vraiment aux êtres humains de réaliser leur potentiel. Le jour des finales, j’ai senti que c’était un grand moment dans ma carrière et que si j’y parvenais, j’en serais très fière et que je saurais que j’ai dû puiser dans une partie de moi-même, une partie de mon talent et une partie de ma force mentale que je ne savais pas exister. C’est ce qui est vraiment spécial dans la compétition et avec ce nouveau format aussi, de savoir que nous sommes le jour des finales, que quelqu’un va gagner le titre mondial ce jour-là, et qu’alors si vous pouvez vous montrer à la hauteur de l’occasion, tant mieux pour vous.
Tu as mentionné être arrivée sur les finales « en voulant prouver que ce système avait tort ». On sait que tu n’es pas une grande fan de ce format. Peux-tu nous expliquer ton point de vue à ce sujet ?
S.G – Jusqu’à présent j’avais gagné des titres mondiaux uniquement lorsque j’avais accumulé des points jusqu’à l’arrivée et que j’avais été capable de gagner dans toutes sortes de conditions. Je me disais que si le titre mondial se résumait à un seul événement, je ne serais pas sûre que ce soit la façon dont un champion du monde devrait être couronné. Mais je comprends maintenant, que d’un point de vue commercial, le surf est l’un des sports les plus difficiles pour retenir un public parce qu’il y a tellement de variables incontrôlées et que c’est très difficile d’aider les gens à rester engagés. Avec ce nouveau format, tout le monde a pu se connecter, les spectateurs savent qu’ils vont voir un champion du monde couronné, ils savent qu’ils vont voir les performances de leur vie se dérouler sous leurs yeux et c’est ça le sport, voir ces moments, être sur la plage et les ressentir.
Évidemment Carissa a eu une année incroyable cette saison mais quand je pense aux plus grandes performances de mes 15-16 ans sur le circuit, celle-ci doit être la meilleure : jamais je n’ai eu à affronter 4 des meilleures surfeuses et à battre la numéro 1 mondiale deux fois en une seule journée. C’est vraiment difficile, il faut réellement être un champion du monde pour faire ça. Donc c’est complexe. Je vois les deux côtés du sujet mais l’une des choses principales c’est que j’ai eu énormément de retours de personnes du monde entier, qui regardent les événements de la WSL ici et là, qui cette fois ont été pleinement investis, à regarder tous les heats et ça m’a permis de réaliser à quel point ce nouveau format est génial parce que tout le monde veut le regarder.
Le calendrier 2023 a été publié et certains surfeurs ont demandé plus de « gauches incisives » alors que des fans déplorent le retour du Ranch, que penses-tu des événements choisis ?
S.G – Bien sûr, nous pourrions toujours avoir plus de gauches sur le circuit. Je pense que la WSL est malmenée parce qu’elle essaie d’éviter certaines vagues ou autre, mais le surf est un sport difficile à mettre en place dans certains endroits. Des événements comme G-Land en Indonésie sont difficiles à organiser. C’est un endroit génial mais pour une raison ou une autre le gouvernement indonésien s’est retiré de l’événement. Certaines choses échappent au contrôle de la WSL et elle aurait probablement aimé garder ces événements. Pour pouvoir se replier rapidement sur un autre événement, qu’elle puisse contrôler et organiser correctement, elle se tourne vers le Ranch, qui est une sorte de filet de sécurité pour elle. Je ne les blâme pas d’y aller : ce n’est pas l’événement le plus excitant, mais en même temps c’est juste un autre événement et si les gens ont l’occasion de voir du surf professionnel, peu importe où il se trouve, je pense que ce n’est pas une mauvaise chose.
Mais oui, nous avons définitivement besoin de plus de vagues et de lieux différents et la bonne chose c’est que la WSL le sait. Elle est prête à communiquer avec les surfeurs. Nous sommes toujours en échange avec eux sur les besoins et tout le reste, nous avons toujours besoin d’avoir ces discussions, c’est un travail en cours.
8 titres mondiaux était ton objectif avant, où mets-tu la barre maintenant ? Veux-tu monter jusqu’à 11 comme Kelly ?
S.G – (rires) Je ne suis pas sûre de l’âge qu’avait Kelly quand il a gagné son 11e titre mondial mais après avoir gagné mon 7e titre mondial, je ne pensais pas possible d’en gagner un 8e. Avec des filles comme Carissa, Tyler et toutes les autres qui s’améliorent, je n’étais pas sûre de pouvoir le faire. Maintenant que j’ai gagné mon 8e titre et en le faisant de cette façon j’ai l’impression d’avoir débloqué plus de potentiel. J’ai l’impression que oui, je peux continuer et je peux en gagner plus, c’est sûr. Si je suis excitée par ce sentiment, mes principaux objectifs sont maintenant de gagner dans les endroits où je n’ai pas été performante, des endroits comme Teahupo’o et Pipeline.
Ton style a souvent été décrit comme « sans effort » et « inné », mais nous savons que ces 8 titres mondiaux ont un prix : peux-tu nous dire quelles sont les choses sur lesquelles tu as le plus travaillé l’année passée ?
S.G – J’ai beaucoup travaillé sur mon backside. En regardant mes faiblesses, ce sont les gauches et les vagues de conséquences qui étaient les endroits où j’avais vraiment besoin de travailler dur. J’ai aussi beaucoup travaillé ma force. Comme Carissa et Johanne, beaucoup de filles sont fortes physiquement et c’est un domaine que je devais améliorer parce que je suis plutôt une surfeuse grande et mince. J’avais donc vraiment besoin de développer plus de muscles et de force. C’est une sensation merveilleuse de savoir que l’on peut être champion du monde et de se dire le lendemain qu’il y a encore beaucoup de choses à améliorer. Oui, j’ai ce trophée qui dit que je suis la meilleure, mais je sais au fond de moi que je ne suis pas la meilleure, j’ai encore beaucoup de travail à faire.
Tu es maintenant plus que jamais une source d’inspiration pour les jeunes générations et les surfeuses, était-ce quelque chose que tu espérais, en dehors de ton amour de la gagne ?
S.G – Oui bien sûr, je pense que gagner des titres mondiaux c’est super mais c’est plutôt ce que tu peux en faire et qui tu peux inspirer avec ces trophées qui compte le plus. Ça a toujours été l’un de mes grands rêves d’atteindre mes objectifs mais aussi d’aider d’autres jeunes filles et jeunes garçons. Quand tu crois vraiment en toi et quand tu es vraiment passionné par quelque chose, il n’y a pas de limite à ce que tu peux accomplir. Il suffit de consacrer sa vie à cette chose et on peut y arriver.
Tu as deux fois plus de titres que l’une de tes héroïnes, Lisa Andersen. Cela signifie-t-il que tu peux te citer comme ta propre héroïne à présent ?
S.G – (rires) Je suis toujours en admiration devant les femmes qui ont ouvert la voie pour moi et les femmes qui sont sur le Tour en ce moment. Je pense à Phyllis O’Donnell qui a gagné le premier titre mondial de surf en 1964, ou à Layne Beachley qui a gagné 7 titres mondiaux et Lisa qui est aussi l’une de mes héroïnes. Il y a tellement d’athlètes incroyables qui nous ont montré la voie. C’est aussi quelque chose que je veux faire parce que je sais qu’à l’avenir il y aura une jeune fille qui m’aura vu gagner 8 fois et qui pensera « je pourrais en gagner 10 ». Pour moi c’est génial. C’est une progression naturelle et aider à faire progresser le sport c’est aussi mon travail.
Quels sont tes projets pour l’intersaison ? Beaucoup de célébrations ou un retour direct à l’entraînement ?
S.G – (rires) Il y a eu beaucoup de célébrations jusqu’à présent, beaucoup de travail aussi mais beaucoup de célébrations. C’est bien de revenir en Australie et de voir ma famille et mes amis. Beaucoup de champagne bien sûr, mais l’on ne peut pas trop lâcher les gaz parce que je veux continuer, en faire plus et rester au top de mon corps, de ma santé et de ma forme physique. L’aventure continue !
La saison 2023 du CT reprendra à compter du 29 janvier sur le spot de Pipeline (en l’absence de Johanne Defay blessée). Une étape que Steph avait ratée l’an dernier et qu’elle abordera cette année avec le maillot jaune sur le dos.