Interview : de la cuisine au surf, Juan Arbelaez et sa passion de l’océan

Malgré un emploi du temps chargé, le chef cuisinier n'est jamais très loin des vagues.

14/03/2024 par Maia Galot

Juan aux Sables d’Or, Anglet © Rémi Blanc
Juan Arbelaez surf
Anglet © Rémi Blanc

« Le surf a ce pouvoir, comme la cuisine, ça met tout le monde d’accord »

Juan Arbelaez

Juan Arbelaez est né à Bogota en Colombie, mais rêve de Paris depuis tout petit, par passion pour la cuisine et par admiration de la cuisine française. Aujourd’hui chef et entrepreneur, il compte à son actif une panoplie de restaurants (plus de 10 entre Paris, Lille et Tignes), trois livres de cuisine et nombre d’apparitions médiatiques notamment dans les programmes télévisés Top Chef et Quotidien. Pour décompresser de l’emploi du temps chargé que requiert ce mode de vie entrepreneurial, Juan prend régulièrement la direction de l’océan. Le chef surfe depuis plusieurs années et a noué des liens avec le milieu au fil des rencontres. L’occasion pour nous d’aborder en interview une autre de ses passions.

Raconte-nous Juan ! Quand et comment as-tu découvert le surf ?

Je devais avoir 16 ou 17 ans, on a fait un voyage avec des copains à Bahia Solano sur la côte Pacifique en Colombie. On avait choppé un bateau de pêcheurs et on a été faire de l’apnée. On est arrivé sur un spot avec un restaurant qui faisait des poissons au barbecue sur la plage et il y avait des gamins avec des espèces de board toutes cassées qui surfaient. Mes premiers souvenirs de surf ont été là-dessus, dans les mousses. En Colombie on a les Caraïbes où ça ne surfe pas beaucoup mais sur toute la côte Pacifique il y a des spots avec de belles vagues !

Avant cette expérience-là, quel était ton lien avec l’océan ?

J’ai toujours adoré la mer, j’ai toujours eu un lien avec l’océan. J’éprouve un immense respect et une énorme admiration pour ce milieu car c’est tellement vaste, tellement puissant, tellement riche. J’adorais la cuisine et j’ai toujours adoré tout ce qui vient de la mer, pour moi c’est fascinant.

À Bahia Solano et sur la côte Pacifique en plus les paysages sont absolument époustouflants. Il y a la mer qui est très puissante, très foncée. C’est un océan qui est très sombre, avec des plages noires volcaniques et les baleines qui migrent de juin à septembre. J’ai des souvenirs de voir les jets et les sauts des baleines à 100 mètres de moi en surfant, c’est assez spectaculaire. Il y a ce côté très brutal de l’océan avec une jungle qui est hyper dense. Les paysages sont hyper puissants. Je pense que c’est l’un des endroits au monde où je me suis senti le plus déconnecté. Ce n’est que de la nature, et c’est très difficile d’accès donc il n’y a pas beaucoup d’industrialisation ou même de personnes.

Dans ma famille également, nos vacances étaient souvent liées à la mer ou à l’océan. Il y a un endroit où on allait souvent qui s’appelle Santa Cruz del Islote. C’est l’un des endroits sur terre où il y a le plus d’habitants au mètre carré car c’est une île construite par l’humain, assez dingue, du côté des Caraïbes. On a toujours eu un lien à la mer très important. Pour nous l’océan c’était les vacances, c’était la joie, le moment familial, la détente, ça a toujours été synonyme de bonheur.

En grandissant et avec le lancement de ta carrière de chef, comment cela a t-il évolué ?

C’est marrant mais ce lien océan-bonheur a perduré. J’y vais quand j’ai des week-ends, j’y vais quand j’ai des vacances… J’ai acheté un van et je suis en itinérant tout le temps. Les étés, je prends le van et je me balade un peu partout, que ce soit en France, en Espagne, au Portugal… Je n’ai pas besoin d’hôtel, ma maison c’est la plage, le parking face au spot. Je suis aussi tombé fou amoureux du kite-surf. J’aime tous les types de sports de glisse, que ce soit par le vent ou par les vagues. Je me suis mis au wingfoil il y a un an, je ne suis pas encore très bon, je galère (rires). Pour moi l’océan a toujours été très lié aux vacances, au repos, aux moments de bonheur et de joie. Ce sont mes parenthèses dans l’année, j’essaie toujours de me diriger vers ça.

Cela a aussi donné vie à des amitiés et des relations professionnelles dans le milieu du surf, comment sont-elles nées ?

Tu commences à surfer et puis tu croises des personnes avec qui tu t’entends bien. C’est marrant mais il s’avère qu’on partage tous cette passion pour la bouffe et le fait de bien manger. On a tous besoin de manger donc même si pour les surfeurs parfois ce n’est pas la priorité, une fois que tu leur fais gouter une bonne bouffe, un bon barbecue, un bon asado, ils sont un peu accros. J’ai eu la chance de croiser Pauline Ado qui est la première surfeuse professionnelle que j’ai rencontrée. Je suis très pote avec son mari, Rémi Blanc, et souvent je me cale à Anglet chez eux, c’est un peu mon point d’arrêt où je fais mes « ravitos« , on s’est souvent calé des sessions ensemble. Il y a aussi Léa Lemare, avec qui je suis associée aujourd’hui à Poza (Biarritz), qui est une surfeuse assez aguerrie. Elle faisait du saut à ski et a participé aux Jeux Olympiques de Sotchi (2014) et Pyeongchang (2018). C’est une grosse cinglée et les plus grosses sessions que j’ai faites c’était avec elle qui n’a peur de rien, moi je me fais ramasser et elle, elle s’éclate.

Avec le temps des liens se créent. On est ambassadeurs Breitling avec Jeremy Flores, on partage la passion de l’océan et de la bonne bouffe. Avec Eric Ospital on a aussi fait quelques repas pour Mathieu Lefin et toutes les équipes de Rip Curl avec qui on s’entend très bien, toute la team est dingue. C’est un univers dans lequel j’adore évoluer. J’ai aussi rencontré Miky Picon sur le Quiksilver Festival qui est très cool et pareil, passionné de bouffe. Il a envie de développer ce côté « bien manger » quand on est surfeur, même si ce n’est pas la première image qui vient.

J’ai rencontré Justin Becret et Teva Bouchga qui sont très cools et des amoureux de la vie et de la bonne bouffe, on partage ces passions-là. Justine Dupont est aussi quelqu’un d’incroyable. C’est l’une des premières rencontres que j’ai faites et c’est une femme d’une gentillesse folle, tout comme son compagnon Fred David. Quand tu vois les steaks qu’ils mangent et leur boulot, tu te demandes comment tu peux être un tel nounours et affronter des monstres pareil ! Pour moi ce sont des gladiateurs. On s’imagine que c’est des terreurs pour affronter des vagues de plus de 15m et en fait non, ce sont de grands amours. Ils sont adorables.

As-tu gardé des conseils intéressants issus de ces rencontres ?

Bien sûr, chaque session avec eux c’est la chance d’avoir accès à des conseils qui sont énormes, qui viennent de la part de gens qui vivent de ça. Que ce soit de la part de Rémi sur la position de la rame, sur le fait de se redresser, avec Pauline sur le placement au pic… J’ai fait avec Clément Roseyro mes premiers pas en foil, tracté dans l’Adour, c’était une expérience de dingue.

« On ne peut pas faire la cuisine sans ce rapport à la nature et on ne peut pas surfer sans ce rapport à la nature »

Juan Arbelaez
Juan sur le spot de Marinella à Anglet © Rémi Blanc
Juan Arbelaez surf
La « Dream Team » de Juan à Anglet. Avec Pauline Ado © Rémi Blanc
Juan à Anglet © Rémi Blanc

« Il y a dans les deux cas une palette de techniques qui nous permet d’explorer pleins de choses »

Juan Arbelaez

Quelles similarités vois-tu entre l’univers du surf et celui de la cuisine ?

Il y a toujours ce rapport à la nature. Aujourd’hui on cuisine avec ce que la terre nous offre, ce que l’océan nous donne. Il y a ce respect envers la nature qui est très attaché et qui est un lien direct. Aujourd’hui, on ne peut pas faire la cuisine sans ce rapport à la nature et on ne peut pas surfer sans ce rapport à la nature. Certes, on commence à construire des vagues artificielles mais rien n’est comparable au rapport à l’océan quand tu dois passer une barre et mériter tes 3, 5, 10 ou 15 secondes de rides. Ce rapport-là est très important et similaire.

Il y a aussi la notion de passion. Ce sont dans les deux cas des métiers où pour devenir bons il faut donner beaucoup de temps, être vraiment passionné, s’acharner, passer par des moments difficiles. Ce côté « tête dure » : il faut tomber, il faut passer du temps sous l’eau, il faut avoir peur, il faut pleurer et il faut persévérer. Je pense que la notion de persévérance dans les deux métiers et très importante.

Je ne cite pas forcément la notion de partage car il peut y avoir dans le surf, comme il y a dans certains restaurants, quelque chose d’un peu hautain et prétentieux, qui est compliqué et difficile à vivre. J’ai lu une phrase récemment qui disait : « le surf est cool mais les surfeurs ne sont pas cools« . Je trouve ça dommage. Parce que l’océan n’appartient à personne. Je peux comprendre que quand tu habites à 200m de la plage ce soit un peu chez toi, mais il n’y a rien de plus beau que d’ouvrir les portes de chez soi. C’est un geste d’une générosité et d’une humanité qui est grand. Souvent dans le surf on trouve un peu l’inverse et c’est assez triste. Ce n’est pas le cas partout heureusement mais je trouve ça dommage car on devrait être content que les gens viennent chez nous. Qu’ils viennent boire des bières, qu’ils louent des planches… c’est aussi grâce au tourisme que beaucoup de régions peuvent vivre et se développer.

En tant que restaurateur je pense qu’il faut garder cette idée de l’accueil et de la bienveillance offerts à n’importe quelle personne qui arrive chez nous. Quand quelqu’un passe dans la rue et me demande l’accès aux toilettes ou un verre d’eau, même s’il n’a pas mangé chez moi je ne vais jamais dire non, parce qu’on fait un métier de service, on est dans l’accueil et je pense que pareillement dans le surf, l’océan ne nous appartient pas et celui qui entre à l’eau on devrait être là pour le soutenir et non pas pour le descendre.

La notion d’expression de soi entre t-elle aussi en jeu ?

Oui bien sûr, il y a des signatures, qui viennent de nos racines ou des gens avec qui on a surfé, avec qui on a appris. Il y a des techniques différentes, il y a le longboard, le shortboard, le bodyboard… C’est plein de styles différents et en cuisine c’est pareil. Il y a des cuisines de cultures différentes, de cuissons différentes, que ce soit la flamme au gaz, à l’électrique ou à l’induction. Il y a dans les deux cas une palette de techniques qui nous permet d’explorer pleins de choses. Dans le surf on peut inclure le kite, le wing, le foil, le surf tracté. Une fois que tu as ta patte et ta signature tu commences à la pousser.

Il y a des gars qui se spécialisent dans une seule cuisine et d’autres dans plusieurs. J’ai des restaurants méditerranéens, des restaurants colombiens et d’Amérique latine, des bars à tapas basques & caves à vin… J’ai donc plusieurs styles et dans le surf un gars comme Clément Roseyro va avoir cette approche variée également. Il est capable de faire du très gros, du plus petit, du long, du foil, du wing, du kite… J’aime bien cette notion d’être un peu touche-à-tout.

Et à l’inverse, le surf a t-il déjà inspiré un projet en cuisine ?

C’est marrant, avec Jeremy on a rigolé du fait qu’il ait une figure appelé le « club sandwich » donc on a parlé d’en faire un à l’eau et un sur la plage. C’est un projet qui devrait voir le jour bientôt (rires).

Aujourd’hui on a aussi nos planches de charcuteries et les assiettes dans lesquelles on dresse qui sont très inspirées de la mer, de l’océan. On a creusé là-dessus. On dresse nos assiettes sur des petites boards en bois créées par un pote en Bretagne qui s’appelle Tristan Leveau, d’Epoxsea. Il a créé un série de planches en bois, planches à découper, planches de charcuterie avec au centre de l’epoxy. C’est tout l’univers du surf et en cuisine ça se nettoie hyper bien donc c’est un projet que j’adore et qui me tient à coeur.

Et à l’eau, quelles planches surfes-tu aujourd’hui ?

J’ai un 9 pieds fait par BLŌHO Surfboards à Anglet, très cool et hyper facile. Je pars sur tout, c’est magnifique. Et plus récemment en cadeau d’anniversaire j’ai commandé une 7 pieds chez Panther Surfboards, qui vient juste de sortir de l’atelier. J’ai beaucoup surfé sur du long et c’est génial mais en fait une fois que tu maitrises, tu restes un peu dans ta zone de confort. Je voulais surfer plus court donc j’ai fait des essais sur des planches entre 6′ et 7′. Je galérais car j’étais un peu lourd et que je n’avais pas le niveau. Puis j’ai été conseillé par Rémi et d’autres potes pour me diriger vers cette 7′, qui est un bon compromis. C’est un mid-length, pour avoir assez d’agressivité et de réactivité tout en gardant du volume pour partir plus facilement.

Peux-tu nous raconter une session qui t’a particulièrement marquée ?

Un moment fort qui me vient, ce n’était pas la session de surf la plus propre. C’était même un peu bordélique. On avait été avec un partenaire dans le Pays basque et il y avait tous les ambassadeurs invités. Une grosse clique, des gens du monde entier étaient là. Le plus puissant ça n’a même pas forcément été le fait de prendre des vagues. C’est que je me suis rendu compte qu’il y avait des gens d’univers différents, venus de partout avec des âges différents, des métiers différents, des envies différentes, des goûts différents… En levant la tête j’ai constaté que tout le monde avait le sourire. Réussite ou pas, tout le monde s’encourageait, il y avait une ambiance absolument magnifique. Je me suis dis que le surf avait ce pouvoir, comme la cuisine, comme quand on est à table : ça met tout le monde d’accord et ça rend tout le monde heureux.

Il y a une espèce de connexion, je ne sais pas si c’est un mélange d’adrénaline et de la pression qui retombe quand tu réussis. Il y a un bien-être général qui se forme en toi. J’ai ce souvenir de me dire : « c’est énorme, le surf met tout le monde d’accord, peu importe d’où tu viens, ta nationalité, tes moyens, ton ethnie ou même ton niveau. Ça met tout le monde d’accord et ça rend les gens heureux« . On a vécu un moment hors du temps.

« Je pense que la notion de persévérance dans les deux métiers et très importante. »

Juan Arbelaez
La 7′ de Juan shapée par Panther Surfboards.
La 7′ de Juan shapée par Panther Surfboards.
Feeling post-session. © Rémi Blanc

Tags: