Il y a quelques jours Britt Merrick était de passage au Pays basque et nous avons sauté sur l’occasion pour le rencontrer. C’est à Zarautz dans l’atelier Pukas que nous avons échangé avec le shapeur californien sur sa vision du shape haute-performance, son souci du détail et les précieuses relations qu’il entretient avec ses team riders. Créé en 1969 par Al et Terry Merrick, Channel Islands Surfboards est redevenue une entreprise familiale en 2020, dirigée par Britt lui-même, après avoir été la propriété de Burton pendant 14 ans.
Après des milliers d’heures passées à la porte des salles de shape de l’atelier familial, à observer la gestuelle nécessaire à la fabrication des planches, c’est tout naturellement que Britt commence le shape, aux côtés de son père Al en 1990. Poursuivant aujourd’hui la tradition de CI Surfboards, Britt shape des planches haute-performance pour son team composé de certains des meilleurs surfeurs et surfeuses du monde, compétiteurs et free surfeurs confondus.
Surf Session – Salut Britt ! Peux-tu nous donner les raisons de ta présence en France ?
Britt Merrick – J’étais au Portugal sur l’étape du Championship Tour, pour supporter mon team et m’assurer que toutes les planches fonctionnaient bien. Puis je suis venu ici à Zarautz chez Pukas, nos partenaires depuis de nombreuses années. Ils sont excellents dans ce qu’ils font, j’ai eu envie de leur rendre visite et de voir leur nouvel atelier, qui est absolument incroyable. Je pense que c’est la plus belle usine de planches que j’ai jamais vue, elle est très propre, très efficace et surtout très bien organisée. J’en profite pour travailler avec eux, que ce soit les shapeurs, les glasseurs et pour m’assurer que la qualité des planches est la meilleure possible.
Peux-tu nous parler du fonctionnement actuel de Channel Islands ?
Notre siège social est à Carpinteria en Californie, entre Santa Barbara et Ventura. Notre usine se trouve juste à côté de Rincon, donc c’est rapide d’aller y surfer. Mais c’est surtout la ville où j’ai grandi et où mes parents ont lancé l’entreprise en 1969. J’en suis aujourd’hui le propriétaire avec certains de mes amis, des employés et certains de nos team riders. Il s’agit du siège global mais nous possédons également des licences partout dans le monde, en Europe, en Australie, à Bali, au Costa Rica, au Venezuela, au Pérou, en Afrique du Sud, à Tahiti… Ce qui nous permet de fabriquer des planches partout dans le monde avec nos partenaires.
Quelles sont les planches que tu prends le plus de plaisir à fabriquer ?
Les planches haute-performance, sans aucune hésitation ! Ce sont les plus difficiles à concevoir et à fabriquer parce que tout doit être le plus exact possible. Sur ces planches les détails les plus minuscules peuvent faire de très grosses différences, j’adore le challenge qu’elles représentent. Quand je me réveille au beau milieu de la nuit je pense aux rockers, aux rails, aux tails… Je suis obsédé par les planches haute-performance, c’est ce que j’aime faire par-dessus tout.
Nous aimerions concentrer notre échange sur les meilleurs surfeurs de ton team, ceux qui évoluent au plus haut niveau. Dans un premier temps, peux-tu nous donner ta propre définition des planches haute-performance ?
Quand je pense aux planches haute-performance, je pense à des planches destinées aux meilleurs surfeurs du monde pour les meilleures vagues, celles qui sont faites pour évoluer dans les conditions les plus extrêmes et les plus challengeantes.
As-tu identifié des tendances à l’œuvre, en matière de planches haute-performance, ces dernières années ?
C’est une bonne question… Il semblerait bien que depuis deux ans les planches aient des courbes plus prononcées qu’il y a quelques années, que ce soit au niveau du rocker mais aussi de l’outline. Mais les planches dépendent beaucoup de la qualité des vagues. Sur le World Tour, il est censé y avoir de bonnes vagues, même si ce n’est pas toujours le cas (rires). Quand on fait des planches pour les bonnes vagues, où l’on ne cherche pas à générer de la vitesse mais où la vague elle-même génère la vitesse, les enjeux résident dans le contrôle et la vitesse des manœuvres. C’est pour cette raison, je pense, que l’on cherche à faire des planches avec des courbes plus prononcées.
Selon toi, quels sont les besoins actuels de tes meilleurs team riders et comment t’y prends-tu pour y répondre ?
Ils ont besoin de planches qui ne les limitent pas. Le fait est que le surfeur ou la surfeuse est toujours en avance sur le shape, parce qu’il ou elle peut regarder une vague et imaginer dans son esprit les turns et les lignes qu’il ou elle pourrait y réaliser et ne pas arriver à le faire avec une planche. Donc ce que j’essaie de faire c’est de leur permettre de performer de la façon dont il ou elle l’imagine dans son esprit. Ceci passe par le fait de savoir écouter un surfeur, ce qu’il ressent, ce qui lui manque, ce qu’il veut ressentir… Mon boulot à moi est d’interpréter tout ça et de faire quelques ajustements, quelques changements sur leur planche, en fonction de ce qu’ils veulent. Et pour moi, les meilleures planches sont celles auxquelles les surfeurs n’ont pas à penser, qui sont comme une extension de leur propre corps. S’ils n’ont pas à penser à leur planche et qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils ont envie de faire avec, c’est une bonne planche. C’est toujours vers ça que j’essaie de tendre.
Dirais-tu qu’il y a une uniformisation ou au contraire, une diversification des planches au plus haut niveau ?
Les planches que je fais pour mes top surfeurs sont très diverses parce qu’ils sont eux-mêmes tous très différents. Barron Mamiya pourrait aimer telle planche tandis qu’Imaikalani DeVault ne l’aimerait pas du tout. Joao Chianca en aimera des différentes, tout comme Lakey Peterson en aimera d’autres… Il y a bien sûr des fondamentaux, des principes de base, que j’ajuste sans cesse en fonction de chacun et de chacune. C’est ça qui est génial dans les planches de surf, c’est le fait de les personnaliser.
As-tu constaté une évolution dans les rapports que les surfeurs entretiennent avec leurs planches, maintenant que les quivers de beaucoup se sont largement agrandis ?
Les meilleurs surfeurs sont comme nous, ils possèdent tous une planche qui leur permet de faire ce qu’ils veulent, qui leur procure de bonnes sensations et à laquelle ils sont très attachés. Vous savez ce que c’est d’avoir une planche préférée, c’est précieux, on aime tous ce sentiment, on veut se coucher avec la planche et dormir avec. Ils ont beau se faire shaper une soixantaine de planches par an, parfois plus, à chaque fois que je fais des planches pour mes surfeurs et qu’ils viennent les chercher, c’est comme si c’était Noël, ils sont autant excités que quand ils étaient enfants. Je pense que les planches de surf possèdent vraiment quelque chose de spécial.
Dans sa pratique, le surf devient de plus en plus technique, quel rôle penses-tu que le shape joue là-dedans ?
Une chose est sûre, il n’y a pas de surf sans planche (rires). Pour ce qui est du surf technique et de la manière dont les choses évoluent, ce sont les détails qui comptent le plus. Je passe un temps fou sur les plus petits détails et le challenge pour nous c’est qu’on les fait à la main, donc la planche passe entre les mains de huit personnes différentes, celle qui s’occupe du pain, de la découpe, du shape, de la stratification, des dérives, du hot coat, du ponçage, du glass… Tout le monde doit travailler main dans la main pour arriver au résultat souhaité. Plus le surf est technique, plus les détails comptent.
Le shape à la main est fondamental pour toi, peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Shaper une planche à la main est la chose la plus amusante, la plus challengeante et la plus créative de mon métier et j’aime être créatif, travailler de mes mains. C’est dans les planches faites à la main que j’engage le plus mon esprit, mon cœur et mon être tout entier. Donc dès que j’en ai l’occasion, je le fais.
Parlons maintenant plus précisément de tes team riders. La relation que tu noues avec eux semble bien particulière, peux-tu nous en parler ?
J’essaie vraiment de passer le plus de temps possible avec mes team riders pour construire une bonne relation avec eux. Premièrement, si je ressens une très bonne connection émotionnelle avec l’un de mes riders, je ferai du meilleur boulot. Plus je tiens à eux, plus je mettrai du cœur dans les planches que je leur fais, donc c’est très important pour moi de nouer une belle relation avec eux, une amitié, un amour et un respect mutuels. Deuxièmement, cela permet une meilleure communication. Et la communication est la clé. Mes team riders doivent être capables de me dire « je n’aime pas ça, j’aime bien ça, je trouve ça bizarre… » S’ils ont peur de me dire ce genre de choses parce que notre relation n’est pas assez bonne, ça ne les aide pas. Ils doivent se sentir assez en confiance pour se dire qu’ils peuvent venir me voir pour me dire que telle chose ne marche pas tout en sachant que cela ne change absolument rien. La communication, la connection émotionnelle et l’attachement que je peux avoir pour un surfeur ou une surfeuse me feront faire du bien meilleur travail. En fin de compte mon objectif est de les aider à réaliser leurs rêves. Ce qui compte ce n’est pas le shapeur, c’est le surfeur, ce qui compte ce n’est pas ce que je fais mais c’est ce qu’il ou elle fait. J’ai tout simplement envie de les voir réussir.
Avec quel rider aimes-tu particulièrement travailler ?
Ces dernières années, je dirais Joao Chianca. Il m’inspire beaucoup, son surf est incroyable mais il a aussi un très grand cœur, c’est une très belle personne. Il est très porté sur l’amitié, la famille, les connections avec les autres… Juste après avoir intégré mon team, il est venu chez moi en Californie et il est resté plusieurs jours avec ma famille. Il est venu pour passer du temps avec moi et développer notre relation. Aujourd’hui, c’est comme un fils pour moi, on a développé un lien solide. En plus de ça, il est très intelligent en matière de planches. Beaucoup de surfeurs n’y comprennent pas grand chose, mais lui c’est tout le contraire et de façon très intuitive. Il me dit souvent « Je pense que tu devrais ajuster ça, ajouter un peu de courbe ici ou réduire un peu ici » et il a toujours raison ! C’est d’autant plus impressionnant pour quelqu’un d’aussi jeune. Il a vraiment une compréhension incroyable des planches, ce qui m’inspire énormément.
Et un free surfeur avec qui tu ressens la même chose ?
Parker Coffin est lui aussi très intelligent en matière de planches. Il agit comme un étudiant. Quand je lui fais un nouveau quiver et qu’il part en surf trip, il filme toutes ses sessions et prend des notes sur absolument toutes ses planches, fait des petits dessins en y ajoutant des annotations. Une fois rentré de son trip il vient me voir à l’atelier avec toutes ses planches, ses notes, ses dessins, tout son contenu vidéo. On revient ensemble sur ses planches il me dit « tu vois sur celle-ci ça accroche trop, tu devrais changer ça… » Il y a très peu de gens dans le monde qui comme lui, ont cette capacité d’analyse. C’est un free surfeur incroyable.
Comment t’y prends-tu pour faire briller encore un peu plus des surfeurs et des surfeuses déjà brillants ?
C’est une bonne question… Ils doivent eux-mêmes se dépasser et je dois les suivre là-dedans. Il faut qu’ils aient envie d’être encore meilleurs, de surfer encore plus fort, de charger, de performer… Si j’ai en face de moi quelqu’un de très motivé je me dis « Oh mon dieu, il faut que je suive« . Je suis toujours en train de peaufiner leurs planches, d’essayer d’y ajouter des petites choses qui pourraient les surprendre et leur donneront ce petit plus qui fera la différence. C’est un peu comme si je les « poursuivais » en permanence et ils en veulent toujours plus, aller plus vite, faire des turns plus serrés. C’est cool parce qu’ils ne sont jamais satisfaits et moi non plus.
C’est une véritable quête !
Oui exactement, nous nous poussons l’un et l’autre en permanence.
Tu encourages vivement tes team riders à nourrir un intérêt pour le shape, qu’est-ce que cela apporte à votre relation ?
Je dirais qu’il y a deux raisons à cela. La première est que plus je leur apprendrai de choses sur les planches et le shape, plus notre communication sera bonne. Donc je leur apprends en permanence, je leur montre tout le temps des choses à propos des planches, je les éduque sur les courbes, comment tout fonctionne dans son ensemble, ce que ce concave permet, ce que cette chose précise entraîne… Plus on aura un vocabulaire commun et plus on sera en mesure de se comprendre. Ils ne pourront plus me dire « je ne sais pas pourquoi mais c’est trop lent« , ils me diront plutôt « ici il y a besoin de plus de concave, une ligne plus droite là… » Tout cela permet d’améliorer leur compréhension et notre communication. La seconde est que plus ils auront de connaissances en matière de planches, plus ils les apprécieront. Certains surfeurs pros ont grandi en recevant des tonnes de planches, sans jamais comprendre le processus de fabrication. Je veux qu’ils le comprennent, qu’ils voient tout le travail, l’amour et l’engagement qu’il y a derrière. Ils accorderont donc davantage d’importance à leur planche et exprimeront davantage leur gratitude. J’apprécie beaucoup quand mes team riders sont reconnaissants, comme Barron Mamiya par exemple. À chaque fois que je lui fais une planche, il me remercie avec la même intensité et je suis très sensible à ça.
En parlant de Barron Mamiya, il a dit à propos de l’une de tes planches, qu’il n’avait jamais eu de planche aussi parfaite pour Pipe. Saurais-tu expliquer à quoi c’est dû ?
Il y a vraiment quelque chose de spécial entre Barron et moi. Mes planches ne marchent pas pour tout le monde, il n’y a qu’à regarder le dernier Stab in the dark où Kolohe Andino dit de ma planche que c’est la pire qu’il n’ait jamais surfée (rires). C’est donc évident, qu’elles ne sont pas faites pour tout le monde. J’ai fait mes toutes premières planches pour Barron juste après les finales WSL en septembre. Il en a testé quelques-unes et il a halluciné, il a tout de suite mieux surfé. Ma façon de shaper a connecté avec sa manière de surfer et quand une telle connection s’opère ça m’inspire énormément et ça me donne envie de travailler encore plus intensément. Au début de la saison, je me suis rendu à Hawaii pour plusieurs semaines et j’ai passé beaucoup de temps avec Barron, à parler de ses planches, à le regarder surfer, à passer du temps sur la plage à Pipeline où il testait les planches. Puis juste avant la compétition à Pipe, on travaillait toujours sur les planches et Parker Coffin était là. Il les a testées et a eu une idée : changer le concave entre les dérives. Je me suis dit que c’était une excellent idée donc je l’ai testée sur une planche, qui est devenue la fameuse planche dont Barron parle, parfaite pour Pipeline. C’est donc le fruit d’une connection, d’un travail acharné couplé aux idées d’autres personnes.
Selon toi, le futur des planches haute-performance réside-t-il dans les matériaux utilisés ?
J’aimerais dire que le futur des planches haute-performance sera lié aux matériaux utilisés pour leur fabrication, mais je ne le pense pas. Les pains à côté desquels on est actuellement assis sont exactement les mêmes que ceux que l’on utilisait pour faire des planches en 1955. On a essayé d’autres choses bien sûr, mais on revient toujours aux mêmes matériaux. Les pains de mousse polyuréthane, les stingers en bois et la résine polyester ont quelque chose de spécial, ils sont l’ADN même du surf. Pour nous c’est l’essence même du surf et ils sont utilisés par les meilleurs surfeurs du monde, point final. Ce qui n’est pas le cas des autres matériaux, même si c’est toujours intéressant de tester de nouvelles choses. Et le truc avec les planches de surf, c’est que nous ne disposons pas d’assez d’argent dans ce milieu pour inventer d’autres moyens de faire des planches. Ce n’est pas comme l’industrie automobile ou l’aviation, personne ne devient assez riche pour investir 1 million de dollars pour développer la prochaine nouvelle technologie. Pour le meilleur ou pour le pire, je ne pense pas que l’avenir du shape haute performance réside dans les matériaux. On me posait déjà cette question dans les années 90 et rien n’a changé depuis.
As-tu donc une idée de la façon dont les planches haute-performance vont évoluer ?
Je n’en ai aucune idée, mais je sais que les surfeurs en auront. Dans le processus de fabrication, ce n’est pas moi qui arrive et qui propose un certain design aux surfeurs en leur disant « tiens, j’ai eu cette idée, surfe cette planche« . Ce sont les surfeurs qui viennent me voir en me disant qu’ils veulent faire telle ou telle chose puis on réfléchit ensemble à la façon de le rendre possible. Je ne sais pas ce que sera le futur des planches haute-performance, mais il suffit de regarder les meilleurs surfeurs du monde, repousser sans cesse les limites de la discipline et la réponse viendra d’eux.