Surfeur, ancien compétiteur sur le World Tour, écrivain, journaliste, photographe à ses heures, Jamie est assurément un personnage aux multiples talents. Il n’a d’ailleurs jamais attendu que l’on décide pour lui du sens de ses choix, de la direction qu’il désirait donner à son existence.
Rencontre à Los Angeles
Jamie a ainsi tracé sa voie, son parcours singulier, faisant de lui un surfeur et un contemporain totalement hors du commun. Il a su équilibrer son corps et son esprit, le surf ne représentant qu’une des nombreuses facettes qui composent son existence et qui se nourrissent les unes des autres dans un rapport à la fois complexe et évident. Brisick vit aujourd’hui à Malibu. Il est revenu sur les côtes qui l’ont vu grandir. À 56 ans, il fait partie de cette génération plus ancienne de pratiquants, qui peut témoigner d’une époque où le surf était plus libre et probablement plus loufoque. Ce regard différent, où la nostalgie n’a pas droit de cité, l’engage à se lier aux acteurs plus ou moins contemporains qu’il reçoit dans le podcast qu’il anime pour Surfer’s Journal. Stephanie Gilmore, Kelly Slater, Tom Curren, Mason et Coco Ho… Ils font presque tous la queue pour défiler devant son micro et ainsi amener leurs réflexions, apporter des éléments de réponses aux questions de Jamie.
C’est à quelques miles de chez lui, à Los Angeles, que notre personnage nous fixe un rendez-vous. Attentif, à l’écoute, aussi intéressé que rempli de passion, il n’a pas fallu longtemps pour que la rencontre supposée formelle ne se transforme en une discussion fascinante et endiablée sur des sujets en rapport avec l’océan, l’écriture, la compétition, la littérature. L’échange a débuté autour d’un excellent plat mexicain comme on en trouve beaucoup dans cette ville tentaculaire du sud de la Californie. Il s’est poursuivi par une digestion sur les chemins d’un Griffith Park désert, en une chaude après-midi d’été qui se prêtait fort bien à sortir des sentiers battus du discours surf traditionnel et pour causer du sens de la vie.
Amour du surf et compétition
Le surfeur a grandi à Los Angeles. Il avait pris ses premières vagues sur la plage d’état de Santa Monica. C’est à l’occasion d’un voyage familial à Hawaii, en 1978, qu’il a saisi que le surf occuperait une place centrale dans son existence : « Je l’ai eu dans la peau, il coulait dans mes veines. J’ai eu des flashbacks la nuit, ondulant sur une vague bleue« , déclare notre homme de façon poétique. Après avoir passé des années à barouder à la découverte des plus fameux – et moins connus aussi – spots de la planète, c’est aujourd’hui à Malibu que Jamie prend le plus de plaisir à surfer : « J’aime les personnages qui constituent cette scène tellement spécifique, il y a une telle diversité, que ce soit au line-up ou sur le parking. On y retrouve beaucoup de monde, cela peut être frustrant, mais je suis épaulé par mes compagnons… secondé par les animaux sauvages qui constituent le surf. On se nourrit les uns des autres. «
Tantôt sur son mid-length Channel Islands ou alors sur son twin pin, Jamie surfe tout en plaisir et en décontraction, dans un style qu’il qualifie lui-même d’un peu paresseux : « J’essaie de toucher la vague là où elle souhaite l’être, c’est le mot danse qui me vient en tête lorsque je pense à ce que j’espère faire sur une épaule. Je surfe sans but précis, je laisse les choses jaillir de moi comme elles viennent. » Quand nous lui demandons de nous donner sa propre définition de la pratique, il nous répond par une succession de mots-clés qui jaillissent de son esprit et résonnent en nous avec plus ou moins de force : « danse, joie, liberté d’expression, évasion, salut. » Il faut admettre qu’avant d’avoir pu donner autant de liberté à son surf, Jamie l’avait pratiqué en compétition et par conséquent dans un esprit beaucoup plus cadré, durant plusieurs années. La libération est salvatrice et elle l’a ouvert à une autre réalité.
Promptement repéré par Quiksilver, le jeune Jamie a révélé son talent en compétition et a intégré le Tour en 1986. Il évoluera pendant cinq ans, aux côtés de Tom Curren, Barton Lynch, Damien Hardman, Gary Elkerton, Tom Carroll, Mark Occhilupo et toutes les autres légendes du surf qui accompagnaient le plus souvent la caravane : « J’ai fait plusieurs troisièmes places, au Brésil et en Afrique du Sud. Ce furent des temps forts, assurément de grands moments qui resteront gravés dans ma mémoire. Ce que j’aimais avant tout dans la compétition, c’est cette faculté qu’elle a eue d’éveiller le Superman qui était en moi, celui qui existe à l’intérieur de nous tous mais qui n’apparait que peu souvent. On s’amusait beaucoup mais on prenait aussi cela très au sérieux. Nous étions à la croisée de deux époques, le surf n’étant pas encore devenu le business qu’il est aujourd’hui. Nous étions simplement ravis de surfer sur les meilleurs spots du monde. » C’est avec beaucoup de chaleur que le surfeur évoque ses séjours en France à l’occasion des étapes basques et landaises : « Je suis venu en France pour la première fois en 1987, à ce moment-là, Pierre Agnès était à la tête du team Quiksilver. Il venait nous chercher pour nous conduire dans nos logements. Quiksilver Europe était une grande famille, il y avait des dîners tous les soirs. Il nous est arrivé de manger de la paëlla dans la grande ferme de Maritxu Darrigrand, près de Bidart. C’était très enrichissant d’un point de vue culturel, j’apprenais, mon monde s’élargissait. »
Cependant si la compétition a beaucoup apporté au jeune homme, son esprit curieux se heurtait à un cadre qui devenait un peu oppressant. En 1991, il a décidé de quitter le Tour : « Quiksilver m’a laissé partir pour de bonnes raisons, je tournais autour de la quatrième place au classement et je ne m’améliorais pas. À l’époque je vivais à Sydney et il y avait de superbes vagues partout. Je n’ai jamais aussi bien surfé que durant l’année qui a suivi mon départ. Après avoir travaillé si dur, je pouvais enfin lâcher prise sans avoir à me conformer aux juges et à la compétition. Le surf est redevenu libre, comme je le pratiquais lorsque j’ai commencé. » En un sens, la boucle était bouclée. Au-delà de son surf, ces années ont permis à Jamie de prendre conscience de certaines choses : « Le surf professionnel m’a appris la discipline, il a transformé un jeu en une carrière, un gagne-pain. J’ai puisé au plus profond de moi pour en faire ressortir les meilleures performances. Par dessus-tout, il m’a fait découvrir le monde et réaliser que j’étais un voyageur, que j’aimais être à l’étranger. »
De la compétition à l’écriture
Jamie n’a pas attendu d’arrêter la compétition pour écrire, mais sa rupture avec le système a amorcé un nouveau chapitre de son existence. L’écriture allait y devenir un élément central. Sur le Tour, il consacrait déjà les moments où il ne surfait pas à lire ou à rédiger : « J’ai toujours tenu des journaux, aimé gribouiller dans des cahiers. Être surfeur pro signifiait passer beaucoup de temps dans l’avion et les déplacements. Les longs vols étaient pour moi l’occasion de lire et d’écrire. Quand j’étais à l’étranger je restais seul, parfois des journées entières au cours desquelles une vie intérieure s’était développée en moi. » Très vite Jamie a trouvé un emploi de rédacteur pour Waves Magazine puis Tracks Magazine et, du jour au lendemain, on n’attendait plus de lui qu’il donne le meilleur sur sa planche mais qu’il rédige, lise et se cultive : « La curiosité intellectuelle que je réprimais au profit de la vie d’athlète professionnel a progressivement émergée. C’était comme si soudain, j’étais libéré d’un séjour en prison. J’ai vu le monde dans toute sa splendeur et je l’ai aimé. »
En 1992, Jamie retrouverait sa Californie natale, déterminé à gagner sa vie en tant qu’écrivain. Si le surf reste, encore aujourd’hui, un sujet essentiel de ses écrits, le journaliste travaille pour de nombreux médias et il aime poser son regard sur des sujets très diversifiés. Il a ainsi écrit sur la Cannabis Cup à Amsterdam pour Bikini, s’est intéressé à la scène SM – Sado Masochiste – de Los Angeles pour Platinum et il a commencé à travailler pour Surfer’s Journal : « Les magazines de surf ont joué un rôle majeur pour moi. À travers ce microcosme qu’est le surf, je comprenais mieux le monde en général. C’était très excitant d’être de ce côté-là de la fabrication. J’écris sur beaucoup de sujets pour The New Yorker, The Wall Street Journal, mais le surf n’est jamais loin. » Si Jamie s’est déjà essayé à d’autres pratiques telles que la photographie, il n’a pas tardé à réaliser qu’il voulait mettre toute son énergie créative au service de son écriture : « Les autres formes d’art nourrissent mes écrits. Même si je ne joue pas de musique ou que je ne créé pas d’art visuel, je m’y intéresse. J’essaie de faire de chaque moment de ma journée un art, même une chose aussi banale que de beurrer mes toasts. Il n’y a rien de plus fort que l’art pour inspirer l’écriture.«
Lorsque nous demandons à Jamie si c’est important pour lui de documenter la scène surf actuelle, il nous répond qu’au-delà de l’importance ou de la nécessité, c’est une chose qui l’intéresse profondément : « En un sens, je suis égoïste. J’écris sur les choses qui m’intéressent, sur lesquelles j’ai besoin d’en savoir plus. » Naturellement, il rédige pour être lu, mais Jamie rédige aussi pour lui, pour comprendre comment vivre lorsque l’on est surfeur et que l’on a dépassé la quarantaine depuis quelque temps. Les réflexions que l’écriture engage lui permettent, comme le surf, de rester vivant, énergique, léger, en paix avec le monde : « La grâce, j’essaie d’apprendre la grâce« , confie-t-il. Évoluant avec son temps, Jamie est conscient des limites des nouveaux modes de communication et d’information : « Il n’y a pas assez de reportages longs et approfondis, internet et les smartphones ont réduit notre capacité d’attention. Nous recherchons la rapidité et voulons les choses maintenant, tout de suite. » L’esprit contre-culturel du surf lui manque : « Quand j’ai découvert le surf, il s’inscrivait dans un mode de vie alternatif, loin du courant dominant. Le sport avait ses propres règles, ses lois et ses valeurs. J’aimais le fait qu’il accueille les marginaux. Ce n’est pas grave, les choses se passent ainsi, le surf est un organisme à part entière qui évolue sans cesse. Je tente de trouver ma paix intérieure en le laissant devenir ce qu’il doit être.«
Les vagues nourrissent une écriture, tout comme ses écrits lui ouvrent l’esprit, lui qui a d’abord découvert le monde à travers le surf, un prisme unique que Jamie a toujours trouvé un peu trop étroit : « Les deux vont bien ensemble, le surf est idéal pour réfléchir, trouver du sens. L’acte de surfer est très proche de ma pratique de l’écriture. La mentalité du surf en général s’oppose parfois à l’écriture ou, du moins, n’est pas totalement alignée avec elle. Il existe des surfeurs de toutes sortes, mais celui que l’on voit le plus souvent est dans la haute performance, très athlétique et porté sur la victoire. Dans la première moitié de ma vingtaine, c’était mon cas. Mais lorsque je me suis mis sérieusement à écrire, que je me suis fait des amis écrivains, j’ai réalisé à quel point cet état d’esprit était étriqué et macho. »
Depuis sa chaise, derrière le clavier ou un stylo à la main, tenant son rôle d’écrivain, Jamie observe et tente de donner du sens à sa vie et à celle des autres, de comprendre comment l’humain fonctionne avec le moins de jugement possible : « Il s’agit pour moi de saisir et de comprendre ce que certains appelleraient de la bizarrerie. Je pense que les artistes acceptent cette bizarrerie ou cette étrangeté beaucoup plus facilement que le surfeur moyen. » C’est dans cet état d’esprit qu’en 2001, juste après les attentats du 11 septembre que Jamie a quitté les plages californiennes pour rejoindre New York. Il s’est installé sur la côte Est, où il est resté dix ans, avec le besoin de se prouver qu’il pouvait mener une existence loin des vagues, qu’il n’était pas prisonnier du surf, bien qu’il y ait de quoi faire dans l’état de New York. « J’ai écrit et lu des milliers de choses, je me suis fait des amis géniaux. New York m’a ouvert, m’a donné confiance, c’était une éducation nécessaire pour moi. Je suis revenu à Los Angeles en 2012, quand ma femme est décédée subitement. J’avais besoin d’être proche de ma famille, de retrouver le surf et de guérir. Ma relation avec le surf s’est beaucoup renforcée pendant cette période. » La vie n’a pas toujours été tendre avec Jamie et le surf reste bien l’élément salvateur de l’existence d’un écrivain des vagues qui souhaite parfois oublier le bruit du déferlement.