Il faut s’extraire de Manhattan et franchir l’East River pour rejoindre les entrepôts de Bushwisk où Aaron et Drew Austin ont installé un atelier de shape et de glaçage un peu particulier. Situé dans un ancien bâtiment industriel, cet espace est entouré de dizaines d’ateliers d’artistes, de plus en plus nombreux dans ce quartier Nord de Brooklyn où la créativité est plus au rendez-vous que les points breaks worldclass. Les poussières fines et autres résidus chimiques se noient dans les émanations industrielles environnantes et c’est dans cette atmosphère que besognent les fondateurs de King’s Glassing.
La Côte Ouest et Hawaii concentrent l’essentiel de la fabrication des planches et de la culture surf mais New York possède aussi sa communauté de surfeurs et de passionnés. Le shapeur et le glaceur, fondateurs de leur propre label, sont assez proches de Chris Gentile, l’initiateur de Pilgrim Surf + Supply. Ce dernier surf shop 100% five borough rassemble une importante part de la communauté surf du coin et d’ailleurs. Chris souhaite y faire venir de grands shapeurs internationaux, en privilégiant des planches d’une très grande qualité et King’s Glassing, bien qu’encore jeune, a pour objectif d’élever l’exigence de ses planches à ce même niveau : « On a déjà quelques produits en vente chez Pilgrim. Le fait d’exposer auprès de tels shapeurs nous pousse à atteindre un niveau supérieur« , expliquent Aaron et Drew. Tristan Mausse (Fantastic Acid), Anderson, Beau Foster, Ellis Ericson, Christian Beamish figurent dans la liste des artisans présents dans le shop.
Si certains doutent encore de la légitimité de la communauté surf de New York, de ses spots et de ses shapeurs, les jeunes de King’s Glassing sont bien placés pour savoir que la côte Est abrite des passionnés : « Ici à New York, ils a des gens dingues de shape et on peut totalement placer cette passion au même plan que celle que l’on retrouve à Hawaii, en Californie ou en Australie. Simplement, peu de gens savent que l’on shape aussi sur la côte Est. Ce qui est intéressant ici c’est que l’on évolue aux côté de nombreux artistes dont certains expriment leur créativité sur des planches qui sont empreintes d’une forte dimension esthétique. Ce n’est pas le plus important, mais c’est un des aspects cool que l’on possède ici. Quand tu surfes à Rockaway, tu es entouré d’artistes, ce sont des gens qui apprécient notre travail et qui sont sensibles à la fabrication des planches« , détaille Aaron.
À New York, le surf et son artisanat se mêlent ainsi à d’autres formes artistiques avec lesquelles des échanges s’opèrent : « Quand tu vas à un événement surf ici, tu ne parles pas forcément de surf, mais d’art, de cinéma… C’est différent de ce que l’on a connu avant, à Hawaii« , analysent les garçons. S’ils vivent aujourd’hui à Bushwick, où ils ont fondé leur structure en octobre 2021, Aaron et Drew ont grandi entre Maui et Oahu. Cela fait dix ans qu’Aaron est installé sur la côte Est, après avoir quitté Hawaii pour étudier la photographie à Paris. Drew a rejoint son frère à New York après la pandémie, il taille les planches qu’Aaron recouvre de résine. Auparavant le shapeur avait participé à de nombreuses compétitions : « J’ai grandi à dix minutes à pied d’Honolua Bay, en surfant aux côtés des meilleurs surfeurs locaux dont certains sont sur le Tour aujourd’hui« , confie-t-il.
L’artisan en herbe a réalisé que le surf performance n’était pas sa vocation; il s’était installé en Californie pour ses études où il a côtoyé Ryan Lovelace et Trevor Gordon qui l’ont initié au shape à saveur alternative : « J’ai commencé à délaisser mes shortboards pour des eggs et des longboards, ils m’ont ouvert l’esprit et ont changé la vision que j’avais du surf« , poursuit Drew. Depuis qu’Aaron vit à New York, il surfe moins qu’avant ce qui lui accorde le temps de peaufiner ses projets : « J’ai vécu à Waikiki pendant deux ans où je surfais plusieurs fois par jour. Je savais que les sessions allaient être bonnes. Ici les vagues sont différentes, les houles disparaissent aussi vite qu’elle arrivent« , affirme-t-il. Au moment où il est arrivé à New York, le surf venait d’y prendre un peu plus d’ampleur : « La scène surf de New York a gagné en exposition. Il y a même eu des événements d’envergure« , reprend-il.
En posant ses rabots à New York, Aaron a pris conscience de son potentiel, tout comme son jeune frère qui a également fait le choix d’y vivre et d’y travailler. La scène shape y est ancienne mais peu connue : « Il n’y a pas trop de shapeurs à New York et pour la plupart ce n’est pas leur activité principale, mais je pense que cela va se développer dans la mesure où il y a de plus en plus de pratiquants. Il y a des types qui façonnent des planches à Rhode Island, dans le New Jersey. Il n’y a pas de raisons pour que nous ne soyons pas pris au sérieux, même si cela ne sera jamais comparable à Hawaii ou à la Californie« , décrit l’aîné des deux frères.
Avant de créer King’s Glassing et de fonder son atelier à Brooklyn, Aaron s’est nourri du travail d’autres artisans : « J’ai commencé à glacer des planches avant la pandémie, avec mon ami John O’Reilly dans le Connecticut. J’ai élaboré mes boards en me basant sur certaines de ses idées. J’ai ensuite commencé à chercher un lieu où je pourrais travailler« , dit-il. Avant de faire de l’art sur des planches, Aaron s’exprimait sur des toiles. Certaines sont d’ailleurs accrochées dans leur atelier de Bushwick. Passionné de graphisme, de formes et du travail de la résine, il expérimente régulièrement l’utilisation de cette dernière mélangée aux pigments et autres techniques.
De son enfance à Maui, Drew avait été marqué pendant plusieurs années par le shortboard. Si depuis, son approche du surf est différente et qu’il s’est ouvert à d’autres types de planches, il n’a pas totalement délaissé la performance : « Grandir à Maui fait de toi un shortboardeur, mais à Santa Barbara, j’ai pris conscience des différents styles et des formes différentes que le surf pouvait prendre et j’ai pris une voie alternative dans ma fabrication des planches« , confie Drew. Quand il a mis les pieds à New York, il a réalisé qu’il ne pouvait plus surfer ses planches californiennes au rocker très plat : « J’ai adapté le nose des planches que je fabrique aux drops abrupts de la côte Est et je dirais que les high pro twin fins sont les planches les plus adaptées pour ici où les vagues sont rapides et puissantes. La chose la plus importante est de se placer sur l’épaule et une fois que tu te retrouves dans le barrel, tu fais confiance à ta board« .
À l’eau, les choses aussi sont différentes de ce que les frères ont pu expérimenter : « À Hawaii, on se retrouvait souvent à surfer à côté de Dusty Payne, Clay Marzo ou Carissa Moore. Ce sont des surfeurs qui font carrière et qui veulent choper le plus de vagues possibles. Ici il n’y a pas de pros au line up, il y a bien Balaram Stack mais on ne le voit pas souvent et il est très cool à l’eau« , affirme Aaron. Situé dans l’une des plus grosses villes du monde, le line up de Rockaway possède la particularité d’abriter peu de locaux : « Il y a des gens qui partent et d’autres qui arrivent sans cesse, on voit toujours de nouvelles têtes, même si certains sont là depuis dix ou vingt ans » conclut le glaceur. Une chose est sûre, le travail de Drew et Aaron est apprécié et soutenu par la communauté surf de New York et d’ailleurs. Les deux frères s’entichent à promouvoir le surf sur la côte Est des US et voyagent pas mal pour rejoindre les line ups chauds d’Amérique du Sud ou de l’archipel hawaiien pour y dévoiler leurs réalisations.
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