Une plongée dans l’univers du photographe français Hugo Bigonet

Il immortalise la façon qu'ont ses sujets de s'approprier une technique, en laissant libre cours à leur propre expression corporelle sur une planche.

17/11/2024 par Ondine Wislez Pons

© Hugo Bigonet

Hugo Bigonet est un jeune photographe établi au Pays basque. Du haut de ses 25 ans, il possède un vrai sens de l’esthétisme et du style ainsi qu’un ADN bien à lui. S’il n’a pas toujours grandi près de l’océan, il a tout fait pour y revenir dès que possible, avec une idée en tête, faire de la photo aquatique. Et il s’est donné les moyens de ses ambitions. Installé au Pays basque, il se met régulièrement à l’eau pour shooter.

Il suffit de poser le regard sur ses clichés pour comprendre qu’Hugo immortalise le style, avec tout autant de style. Une notion qui mérite d’ailleurs une plus grande attention. Une simple recherche nous conduit à cette définition : « Le style est une part de l’expression qui est laissée à la liberté de chacun, n’est pas directement imposée par les normes, les règles de l’usage, de la langue. » Autrement dit, le style est la part de chaque individu qui échappe au contrôle, à la contrainte, qui ne peut pas être contrariée ou masquée. Une sorte de prolongement de soi que le surf, entre autres choses, permet de faire jaillir et qu’Hugo aime photographier. Il cherche à immortaliser la beauté qui nait de ce style, la beauté d’un geste, d’un mouvement, d’une cheville ou d’une cambrure, la pureté d’un shape, l’élégance et la délicatesse d’un longboard ou de celui qui danse dessus. Une délicatesse qui laisse aussi place à la puissance de l’élément océanique, le jeune photographe se mettant parfois à l’eau lorsque les conditions sont solides. Rapporté au sport, le style se définit également comme « la manière personnelle qu’un sportif a de pratiquer un sport. » Et si pour Hugo le surf est bien plus qu’un sport, il parvient à immortaliser la façon qu’ont ses sujets de s’approprier une technique, en laissant libre cours à leur propre expression corporelle sur une planche.

Aujourd’hui Hugo travaille avec quelques marques mais il n’en vit pas encore. S’il aimerait multiplier les projets et les collaborations, il tient absolument à protéger sa passion pour la photographie. « Je n’ai pas envie de me dégoûter en courant après l’argent, comme certains de mes potes surfeurs qui sont devenus profs et dont la passion est un peu moins forte » confie le photographe qui n’aimerait pas que sa vision artistique soit altérée par le désir de quelqu’un d’autre. « Je n’aimerais pas devoir faire des choses qui sont loin de moi.« 

© Hugo Bigonet

Surf Session – Salut Hugo, peux-tu te présenter ?

Hugo Bigonet – Je m’appelle Hugo, j’ai 25 ans et je suis né à Amiens, bien loin de l’océan. Mes parents ont déménagé en Martinique quand j’étais petit, donc je n’ai pas vraiment connu la métropole dans mon enfance. Pendant les cinq ans que j’ai passés en outre-mer, j’étais déjà très attiré par les vagues. On s’est ensuite installé à la Réunion, avant la crise requin. J’ai voulu faire un sport et mon père m’a inscrit dans une école de surf, je n’avais jamais touché une planche de ma vie et depuis ce jour-là, je n’ai jamais arrêté. Quand la crise requin est arrivée, les écoles de surf ont fermé et mon moniteur est venu s’installer dans les Landes. On est allé vivre en Suisse loin de l’océan, ce que je n’ai pas très bien vécu. Chaque année on venait dans les Landes pour les vacances et je surfais. J’ai toujours eu envie de revenir sur la côte, de retrouver un rythme de vie lié à l’océan et je n’ai jamais lâché ce rêve. J’ai passé mon bac en Suisse, mon BNSSA BPJEPS natation, j’ai travaillé pour mettre de l’argent de côté pour m’acheter un van. Je suis arrivé dans les Landes, à Seignosse, où j’ai passé 6 mois. Mais j’ai flashé sur le Pays basque, j’y ai retrouvé quelque chose de la Réunion, cette proximité entre les montagnes et l’océan. J’ai donc décidé de m’y installer.

À quand remonte ton premier souvenir lié au surf ?

J’était tout petit, chez le coiffeur. Il y avait un poster de surf sur le mur. À cette époque, j’avais encore ma tétine. Je voulais absolument le poster et le coiffeur m’a dit ‘on fait un deal, si tu enlèves ta tétine, je te donne le poster‘. Ça m’a marqué !

Comment es-tu venu à la photo de surf ?

J’avais une dizaine d’années quand j’ai commencé à m’intéresser à la photo. J’utilisais le petit Canon de mes parents pour prendre les vagues et les surfeurs en photo depuis la plage. On avait même créé une page Facebook avec ma sœur, où on publiait nos photos, mais je n’y connaissais encore rien. Les photos que je voyais dans les magazines m’ont donné envie d’avoir un caisson pour aller à l’eau et comprendre comme ça fonctionnait. C’est aussi grâce à mon grand-père, Joël Godin, que je fais de la photo. Il m’a d’ailleurs offert son appareil cette année, il date un peu, c’est un Canon G7. J’ai fait des photos de surf avec, comme quoi, on peut faire de la photo de surf sans forcément avoir le matériel dernier cri (voir les photos en fin d’article). Mais je n’ai pas tout suite fait de l’aqua, au début j’avais un téléobjectif. Je pense que l’une des raisons qui m’ont poussé à faire de l’aqua, assez inconsciemment, c’est que j’ai longtemps eu le regret de n’avoir que très peu de photos de surf de moi. Le peu de fois où j’en ai eu j’étais tellement heureux que j’ai eu envie de prendre les autres en photo pour qu’ils ressentent la même chose. Dès que je me suis installé dans le Sud Ouest j’ai décidé de me lancer et j’ai acheté un caisson.

© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet

Peux-tu nous parler de tes débuts avec le caisson, ça n’a pas dû être évident tout de suite ?

J’ai commencé avec un petit caisson et au début je shootais à l’argentique, avec un nikonos. Je me mettais à l’eau et je tentais des trucs, mais je ne montrais rien à personne, c’était vraiment très lié au plaisir personnel que je prenais à shooter dans l’eau. J’allais dans les Landes et j’ai commencé par prendre des vagues vierges avant de prendre des surfeurs et petit à petit, les gens ont commencé à me demander s’ils pouvaient voir les photos. Je commençais à être limité par l’argentique, le fait que ce soit de la pellicule et que je ratais pas mal de photos. J’avais le fantasme de faire des photos comme celles que je voyais dans les magazines. Passer tout ce temps dans l’eau m’a permis de comprendre que j’étais beaucoup plus sensible à la délicatesse du longboard, du single, qu’au shortboard.

Comment définirais-tu ton ADN, en tant que photographe ?

Je dirais que je suis loin de la photographie sportive et de la dimension radicale que le surf peut prendre. Je suis inspiré par les décennies 70 et 80, les grandes planches qui étaient surfées sans leash. Au-delà de la photo, je préfère l’ambiance des spots plutôt fréquentés par les longboardeurs. Je suis moins sensible au shortboard, à son caractère souvent agressif et performant. Puis esthétiquement, je trouve ça moins intéressant, le rendu en photo n’est pas celui que je veux montrer.

Y a-t-il des spots ou des personnes qui ont influencé ton travail ?

Quand je suis arrivé au Pays basque, je ne connaissais pas grand monde. J’avais quelques amis, mais je n’étais pas du tout connecté au milieu du surf. Un jour je suis allé shooter à Lafitenia et j’y ai rencontré Ambre Victoire. Je pense que c’est là que tout a commencé. Je l’ai shootée, c’est la première fois que je faisais des photos de longboard, puis je lui ai envoyé les shots. Ça lui a plu et on a continué à shooter ensemble, c’est elle qui m’a poussé à continuer et qui m’a un peu fait connaître dans le milieu. J’aime beaucoup aller à Lafitenia, je pense que c’est là que je gère le mieux mes photos. Le spot n’est pas facile, parce que tu dois pas mal bouger, il y a plusieurs sections, donc il faut faire attention tout en arrivant à capter les mouvements des surfeurs.

Est-ce que tu t’entraînes pour être à l’aise en aqua ?

J’ai toujours fait beaucoup de surf et de natation, j’ai donc rapidement su où il fallait que je me place, même dans les Landes, quand c’est un peu gros. Les différentes formations que j’ai faites m’ont donné une bonne condition physique et je trouve ça assez évident de me balader dans l’eau avec des palmes.

Comment est-ce que tu gères la taille ou l’impact ?

Avec des palmes et sans une planche à gérer, je trouve que ça change tout, tu peux facilement plonger au fond. Ça m’est déjà arrivé de rester au fond, mais je ne shoote pas non plus dans des conditions extrêmes. La première fois où je suis allé dans des vagues vraiment creuses c’était à la Gravière, j’ai shooté Vincent de Surfing Estate, mais je me suis rendu compte qu’une fois à l’eau l’appréhension que je pouvais ressentir sur la plage disparaissait et que je déconnectais de cette peur quand je commençais à prendre des photos.

Quand tu es à l’eau, qu’est-ce qui attire ton regard ? Qu’as-tu envie d’immortaliser ?

Quand je fais des photos, j’ai une idée précise en tête de la manière dont je veux photographier mon sujet. Je sais quel mouvement je veux capturer, en fonction des vagues. Entre deux séries, j’aime prendre le paysage, je trouve ça intéressant de recueillir quelque chose de complet, de capturer l’ambiance de la journée, l’atmosphère du spot, la planche, ses détails… Je m’intéresse beaucoup au shape artisanal, particulièrement aux longboards, je suis très inspiré par des shapeurs comme Naje, Gato Heroi qui font de très belles planches, très esthétiques, proches de l’art.

Y a-t-il des surfeurs qui t’inspirent plus que d’autres ?

Je dirais toutes celles et ceux qui font du longboard classic, je suis sensible à la façon qu’ils ont d’évoluer sur la planche, de se balader, c’est proche de la danse, je trouve ça très esthétique. Je pense à Joel Tudor, en France il y a Robin Falxa ou Paco Elissade que je shoote souvent. Il y a des surfeurs avec qui c’est très simple d’avoir de belles photos.

As-tu déjà voyagé pour la photo ?

Non pas encore, mais certains pays m’attirent plus que d’autres, comme le Japon. Je trouve que l’on ne parle pas assez de ce pays et de sa culture surf. Ils sont très forts en shape, il y mettent beaucoup de soin, comme c’est le cas de la photographie de surf.

© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet

Peux-tu nous parler du matos photo que tu utilises ?

Je pense que le matériel ne fait pas la photo. Au début en aqua je shootais à l’argentique avec mon Nikonos et j’arrivais à faire de belles photos, du moins à mes yeux. Puis j’ai changé pour le numérique, pour que ce soit plus simple. J’ai commencé avec un petit boîtier, un Sony A6300 et un petit caisson que j’avais acheté d’occasion. Puis quand les choses sont devenues un peu plus sérieuses, j’ai changé pour un Sony A73 . Il est un peu vieux mais je suis persuadé que l’on peut faire de belles choses sans avoir du matos dernier cri. J’ai un caisson australien de la marque Salty Surf Housing. L’évolution de mon matériel m’a permis d’obtenir un résultat plus précis, plus délicat, avec plus de piqué et de détails. On sent qu’il y a plus de profondeur dans les photos.

Y a-t-il des réglages que tu affectionnes particulièrement ?

Je n’ai pas de réglages précis en tête, ça dépend de ce que je veux faire, mais j’aime bien les choses abstraites. Si je veux faire une photo avec du mouvement, donner un aspect filaire je serai en pause longue. J’aime beaucoup les photos qui rendent compte du mouvement. J’aime aussi faire de la photo de surf qui, au premier regard, ne fasse justement pas photo de surf, sur laquelle on doit revenir… ou bien des photos qui font penser à une peinture. Je n’ai pas de réglages type, je fais selon la météo, les vagues, la lumière, mes envies… J’aime bien laisser de la place au spontané, sans chercher à avoir le contrôle sur les éléments. Je fais bien sûr les réglages de base qui font que la bonne sera bonne, mais je ne me concentre pas sur ça réellement, c’est assez instinctif.

Tu fais partie de la génération qui a assisté à l’explosion des réseaux sociaux. Quel est ton regard sur l’impact qu’ils ont pu avoir sur la photographie ?

Aujourd’hui, les réseaux sociaux nous permettent de montrer notre travail, de dévoiler nos passions, notre art ou notre vie, tout simplement. La photographie sans les réseaux sociaux était certainement différente, c’est sûr, mais ils ont permis à certains de se découvrir une passion pour l’image, de puiser de l’inspiration, d’échanger avec d’autres et de dévoiler leurs réalisations. A priori, je dirais qu’ils ont plutôt entraîné la photographie dans la bonne direction. Je sais qu’Instagram a permis à beaucoup d’artistes de se faire connaître et peut-être que sans eux, certains photographes n’auraient pas eu autant de succès et d’influence. Grâce aux réseaux, tout est devenu plus rapide, plus facile.

Quels sont tes projets pour la suite ?

Je veux voyager tout en continuant à créer des images, découvrir d’autres vagues et d’autres surfeurs à travers le monde. J’estime que j’ai déjà de la chance d’avoir pu rencontrer de bonnes personnes, qui ont confiance en moi et en mes réalisations aujourd’hui. Et un jour, pourquoi pas, j’aimerais pouvoir vivre pleinement de la photo, mais je veux que ça reste une passion. Pour l’instant, tout ça ne fait que commencer.

© Hugo Bigonet
© Hugo Bigonet
Mathieu Marechal et la Villa Belza © Hugo Bigonet

Peux-tu choisir une photo de ton portfolio que tu affectionnes particulièrement et la décrypter ?

Il s’agit d’un cliché de Mathieu Marechal qui réalise un hang ten, devant la Villa Belza, à Biarritz. J’avais cette photo depuis longtemps et un jour, sans avoir vraiment regardé les conditions, Mathieu m’a envoyé un message pour me dire qu’il allait à la Côte des Basques et je l’ai retrouvé à l’eau. Les vagues étaient compliquées, petites, ventées et il y avait du monde. Mon idée était de faire une image de Mathieu sur le nose, à un endroit bien précis. J’ai réalisé une première image qui me semblait parfaite, exactement comme je l’imaginais, mais en regardant dans le viseur, je me suis rendu compte qu’une goutte d’eau sur le caisson cachait son visage. Je voulais refaire la photo, mais je n’avais plus de place sur ma carte SD. J’ai donc dû formater dans l’eau, depuis le caisson, ce qui n’est pas le plus agréable, en sachant que j’avais d’autres photos dedans… Mais je sentais que je devais rester à l’eau et refaire cette image. La carte mémoire était enfin vide. Mathieu est parti sur une vague, qui a donné cette photo. Un conseil, n’abandonnez jamais une idée ou une intuition, parce que vous ne savez jamais ce que la marée vous réservera le lendemain.

Les photos prises par Hugo avec le Canon G7 de son grand-père

© Hugo Bigonet
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