Fin octobre, alors que les Championnats de France de surf se déroulaient à Biarritz, des planches de Justin Becretcustomisées par l’artiste Laurent Inne étaient exposées dans la grande salle du Casino de la ville, face à la Grande Plage, épicentre de l’événement. Les deux hommes se sont rencontrés au Sri Lanka il y a quelques années, où Laurent avait fait son tout premier dessin sur l’une des planches du surfeur. Par la suite, l’artiste lui avait proposé de décorer l’une de ses nouvelles boards DHD fraîchement shapée, la « planche dragon », désormais accrochée au mur chez Justin. Cette année la tendance s’est inversée et le surfeur a demandé à Laurent de décorer certaines de ses nouvelles planches. Muni de ses poscas et fort de ses longues années de pratique, Laurent s’est exécuté avec beaucoup de plaisir, fier de sublimer le travail déjà remarquable d’un shapeur tel que DHD, sur une planche qui évoluera ensuite sous les pieds d’un surfeur de la trempe du Landais.
Très connecté à la scène surf biarrote et internationale, grâce à ses nombreux voyages, Laurent vit au Pays Basque. Il a commencé le surf au Maroc où il vivait quand il était enfant et où sa passion pour l’océan est née, une passion qui n’aura de cesse d’orienter sa vie et son art jusqu’à aujourd’hui. Surfboard designer depuis une quarantaine d’années maintenant, il a travaillé pendant longtemps dans l’atelier du shapeur JP Stark aux côtés d’Éric Rougé. Aujourd’hui, il fait partie du team Posca, ce qui lui permet d’avoir le bon matériel pour s’exprimer sur des événements et sur les planches de nombreux riders.
De belles planches pour l’hiver
La saison des Challenger Series et des QS est terminée pour cette année et Justin a récemment reçu quelques nouvelles planches pour la off season. Il les a confiées à Laurent en lui laissant carte blanche et en faisant confiance à son talent. « J’avais des nouvelles planches DHD et j’ai demandé à Laurent s’il pouvait dessiner dessus. Pour les thèmes, je lui ai fait entièrement confiance » nous apprend le surfeur. Ce sur quoi l’artiste rebondit : « Je suis revenu dans le tatouage à fond et je lui ai proposé de faire du Old School traditionnel, qui date des années 40-50, un peu japonisant, tout en le mettant au goût du jour et Justin était partant. Je sais qu’il aime bien les dragons donc je suis parti là-dessus. » Nous avons profité de la présence de l’artiste pour lui demander de nous dresser un petit historique sur le posca, un objet dont l’histoire est liée au planches de surf depuis de nombreuses années, révolutionnant même à certains moments leur apparence. « On utilise le posca depuis très longtemps mais à un moment donné, il était prohibé chez les shapeurs. Au début on s’en servait pour les pin lines, c’était plus rapide qu’avec l’aérographe. Puis un artiste est arrivé sur le marché des planches, Drew Brophy, qui a fait connaître la marque Lost et qui a popularisé les décos au posca. Dessiner au posca demande beaucoup de travail et d’expérience, que ce soit au niveau des couleurs, des dégradés… J’ai mis quelques années avant d’arriver à des choses plus abouties. Aujourd’hui je travaille plus facilement et je découvre de plus en plus de possibilités dans le dessin. »
Justin aurait bien aimé que les planches qu’il a surfées pour la dernière étape des Challenger Series de la saison soient décorées par l’artiste, mais il avait malheureusement dû s’envoler pour le Brésil avant que cela n’ait pu se faire. Cette fois, l’artiste a disposé du temps nécessaire pour décorer des planches que Justin s’apprête à surfer dans des vagues plus grosses et des tubes, idéales pour l’hiver qui arrive. « Ce sont des DHD, il y a des Sweet Spot et des DNA. Il y a une 6’1, une 6’3, une 6’0 et une 6’2, ce sont des planches un peu plus solides et plus grosses, que je vais surfer dans des tubes et sur des vagues avec des longs murs » explique Justin à propos de ses nouvelles planches auxquelles il ne lui reste plus qu’à coller pad et stickers avant d’être waxées. Si le surfeur à l’habitude de passer une partie de son hiver à Hawaii, il a décidé de rester dans le coin cette année. « Ça fait longtemps que je n’ai pas passé un peu de temps en France, je suis content d’être là et j’adore l’hiver ici. Je vais bouger s’il y a des swells au Maroc, peut-être en Irlande et en Espagne. Comme l’année dernière, je prévois d’aller passer tout le mois de janvier en Australie m’entraîner dans les petites vagues et me préparer pour les QS ».
« Depuis quelques années je suis revenu à fond dans les boards, je bosse avec Waimea Surf Shop, je fais des séries limitées pour les shops et les shapeurs… » nous raconte Laurent avant d’évoquer son lien avec le surfeur français. « J’ai rencontré Justin quand il était vraiment jeune, on a sympathisé parce qu’on avait pas mal de points communs. Son père lui faisait souvent des décorations sur ses planches mais depuis que je lui ai proposé, la toute première fois, c’est devenu une petite tradition entre nous. » Cette fois, l’artiste s’est inspiré du tatouage old school traditionnel américain, de ses couleurs très vives et de ses cernages épais mais il a aussi puisé son inspiration chez Justin lui-même, son goût pour les dragons, le rhum « et son côté félin ».
L’artiste et sa vision
Pour Laurent, une planche de surf est un support fabuleux, qui possède tout de même quelques contraintes : « Il faut respecter l’outline, les sponsors, l’endroit où le surfeur va mettre ses stickers. Le plus dur, c’est de dessiner quelque chose qui soit cohérent avec la forme de la planche, mais c’est quelque chose que tu apprends au fur et à mesure » nous dit l’artiste.
Curieux de son processus créatif, nous avons demandé à Laurent où il puisait sa créativité. Il nous a répondu ceci : « Je suis une éponge, je m’imprègne de tout ce qui m’entoure, les gens, la musique, la BD, le cinéma. Tout m’inspire ! J’ai aussi beaucoup travaillé pour en arriver là. »
L’artiste en a profité pour nous faire part de sa vision : « En ce moment il y a un truc un peu particulier, une espèce d’amalgame de tous les shapeurs, alors qu’il y a de vrais artisans qui, pour moi, sont un peu comme des forgerons qui fabriquent des sabres. Ils shapent des planches pour des samouraïs comme Justin. Aujourd’hui on a tendance à mal différencier ces marques-là des autres, qui sont bonnes elles aussi, mais bien différentes des grands artisans shapeurs comme Axel Lorentz ou les mecs de chez DHD. » Des planches d’une grande qualité auxquelles Laurent aime s’associer par l’intermédiaire de ses poscas et sur lesquelles il aime beaucoup travailler. « C’est très important pour moi de reconnaitre les belles planches. J’aime participer au fait de valoriser le travail de ces artisans qui aujourd’hui a tendance à se fondre dans une masse faite de nombreux shapeurs dont les planches ne marchent pas forcément » nous a-t-il confié.
L’artiste a l’habitude de s’exprimer sur les planches des pros, chez lui au Pays Basque mais également lors de ses voyages au cours desquels il multiplie les rencontres, dont certaines auront une grande influence sur lui, à l’image de celle avec Rory Russell au Maroc. Il a dessiné, entre autres, sur les planches de Philippe Malvaux, Didier Piter, Eric Rebière, Rob Machado ou encore Sunny Garcia mais il n’hésite pas non plus à customiser les boards des enfants et des locaux lorsqu’il est à l’étranger. « Partout où je vais, mes dessins me permettent de créer du lien avec les locaux, d’intégrer leur univers. Tout ça m’inspire beaucoup, les voyages, les gens, je suis très fier que l’on se balade dans le monde entier avec mes planches. C’est marrant quand des gens se croisent à l’autre bout du monde et qu’ils en viennent à faire connaissance parce qu’ils ont chacun un dessin de moi sur leur planche. »
Le travail de Laurent vient magnifier celui du shapeur pour élever les planches à un niveau esthétique encore plus fort, avant que celles-ci ne soient mises en action par le talent du surfeur. On assiste donc ici à la conjugaison de plusieurs talents… Alors que notre interview touchait à sa fin, un petit groupe, de surfeurs antillais, présent sur les championnats de France s’est rapproché de l’artiste, désireux de voir leurs planches customisées. Des boards qui se retrouveront ensuite sur des spots lointains et feront voyager avec elles les dessins de l’artiste français.