» Je prends en photo l’océan et les sujets qui s’y trouvent au moment où j’arrive. Si des surfeurs sont présents, je les prends en photo, si ils sont absents ça ne me pose pas de problème. J’aime les silhouettes, que l’on ne reconnaisse pas les personnes sur mes photos. Ces silhouettes renforcent l’état méditatif dans lequel on peut être quand on surfe. «
Camille Frayse
Camille a 25 ans. Originaire de Lyon, elle s’est installée au Pays Basque et depuis sa vie est intimement liée à l’océan. En charge de la gestion des « Initiatives océanes » chez Surfrider Foundation, elle le défend et le protège quotidiennement contre la pollution plastique. Il est aussi devenu son terrain de jeu et le sujet principal de ses photos au travers desquelles elle le sublime. Elle immortalise l’océan tel qu’il est quand elle le retrouve, lorsque le soleil se lève à peine ou quand il s’apprête à disparaitre derrière la ligne de l’horizon, et ne se lasse jamais des couleurs et des formes qu’il prend.
Peux-tu nous raconter tes débuts dans la photo, quand et comment as-tu été attirée par la photographie ?
« J’ai commencé à faire de la photo il y a une dizaine d’années. Mon père est photographe professionnel, il m’a transmis sa passion. Il m’a toujours parlé des réglages techniques auxquels je ne comprenais pas grand chose au début (rires) et on passait des journées entières à regarder ses pellicules. J’ai toujours pris des situations et des actions dans leur état actuel, sans mise en scène. C’est aussi par le voyage que je suis venue à la photo et c’est aujourd’hui mon amour pour l’océan qui entretient cette passion. J’ai toujours mon appareil à la main, comme une extension de moi-même. L’océan me procure un sentiment d’infini et d’apaisement et combiné à la photo il me permet d’entrer dans cet état de méditation active que l’on retrouve dans le surf. J’essaye de rentrer dans la peau du surfeur qui attend, entre excitation et apaisement. Mon but est de faire ressentir aux autres ce qu’il s’est passé à un moment précis. Quand je photographie une tempête, je veux faire ressentir la puissance de l’océan à ceux qui n’étaient pas présents ce jour-là.
À quoi ressemble ton matos ?
Comme premier appareil j’ai eu un Olympus EM10 Mark 2. J’avais deux objectifs : un 14-42 mm avec une ouverture 3-5 et un objectif macro 30 mm avec une ouverture 3-5. Maintenant j’utilise un Canon 7D Mark 2 avec lequel je fais toutes mes photos. J’ai trois objectifs : une locale fixe 49 mm, un 18-35 ouverture 2-8 et celui que j’utilise le plus, un objectif télescopique 70-200 mm avec une ouverture de 8. C’est celui qui me permet d’être au plus près des surfeurs, de rentrer dans leur état. Quand je suis à la Côte des Basques, je me mets au plus proche de la surface de l’eau pour que l’on se rende compte de la taille réelle de la vague et de son mouvement.
Sur quels genres de détails et de couleurs est-ce que tu t’arrêtes ?
Je shoote surtout au lever et au coucher du soleil. J’aime leurs couleurs énergiques, dynamiques et punchy. Il y a forcément beaucoup de bleu dans mes photos, mais aussi du rose, du orange et de l’or. Il y a aussi du violet. C’est une couleur que je vois beaucoup lorsque le soleil se couche mais que certains ne voient pas. J’ai parfois l’impression d’être la seule à la voir. C’est souvent le rose du ciel qui se mêle au bleu de l’océan.
Pour les détails, je ne m’arrête pas dessus. Je prends en photo l’océan et les sujets qui s’y trouvent au moment où j’arrive. Si des surfeurs sont présents, je les prends en photo, si ils sont absents ça ne me pose pas de problème. J’aime les silhouettes, que l’on ne reconnaisse pas les personnes sur mes photos. Ces silhouettes renforcent l’état méditatif dans lequel on peut être quand on surfe.
Quelle est ta conception de la photo de surf parfaite ?
Même si j’aime prendre les choses dans leur état actuel, j’ai quand même en tête une photo, surtout depuis que j’ai vu une de mes amies surfer. Elle serait prise en aqua. J’ai d’ailleurs le projet d’acheter un caisson étanche cette année. J’ai très envie d’aller à l’eau avec mon appareil parce que je pense que les sensations doivent être démultipliées. Cela me permettrait de me rapprocher davantage des surfeurs et de l’adrénaline pure que je recherche.
J’imagine une longboardeuse sur une planche blanche. La photo serait plongée dans la lumière rose orangée d’un coucher de soleil. La vague ferait 1m, 1m50 et la surfeuse serait assise sur sa planche. La vague arriverait, elle commencerait à s’engager dessus et se rendrait compte qu’elle la rate. Elle tiendrait alors sa board entre ses mains et se retournerait pour regarder l’horizon. Et idéalement j’aimerais saisir cette écume de début de vague qui laisse un filet sur le dessus.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
J’aime beaucoup le travail de certains photographes, mais je ne m’en inspire pas directement. Je regarde et j’apprécie simplement. J’aurais peur de vouloir reproduire ce qui me plait dans leurs photos. Et puis même si je le voulais, je ne pense pas y parvenir. Je rentre tellement dans ma bulle quand je photographie que mes propres idées naissent et prennent le dessus. Je suis davantage inspirée par des sentiments, l’amour que je ressens pour certaines personne ou pour l’océan lui-même.
Quelle est la meilleure session que tu aies vécu derrière l’objectif ?
C’est une session au cours de laquelle j’ai vécu un fort sentiment d’adrénaline. J’y ai d’ailleurs laissé mon tout premier appareil photo. L’an dernier quand je suis arrivée au Pays basque on m’avait dit qu’il allait y avoir des tempêtes et j’avais très envie de documenter ces épisodes. Sept mètres de houle étaient annoncés. C’était la tempête et j’ai très vite été trempée. Il y avait de l’écume partout et je marchais dedans sur la Grande plage de Biarritz. La police m’a demandé de partir en raison de la marée montante mais je voulais absolument prendre l’océan dans cet état. Je suis allée au Port des pêcheurs d’où se dégageait une odeur particulière que j’associe désormais à ce lieu et à ce moment.
J’ai mis plusieurs heures avant de prendre ma photo. On m’avait mise en garde sur le fait que ça pouvait être dangereux. Le lendemain ils avaient d’ailleurs enlevé tous les bateaux. L’océan était d’une intensité folle et j’avais envie de la retranscrire aux personnes qui suivent mon travail. J’adore les jours de tempête au Pays basque, je sais que je vais être trempée et que ça peut être dangereux pour mon matériel, mais j’aime ces instants où la nature s’exprime aussi violemment.
Si tu devais choisir un spot au Pays basque à shooter, lequel serait-il ?
À choisir je dirais la Côte des Basques. Mais ça fait quelques semaines que j’ai très envie d’aller dans les Landes à Santocha. J’ai découvert le spot il y a quelques mois et j’aimerais aller au bout de la digue et être au plus près des surfeurs. J’attends que les conditions soient réunies pour y aller.
Y a-t-il des spots que tu t’interdis de shooter, par peur de révéler des indications géographiques ?
Pour l’instant ce n’est pas une chose à laquelle je pense. Les spots que je photographie aujourd’hui sont très connus et accessibles à tous. Quand je me déplacerai plus loin géographiquement, cet aspect viendra sûrement.
Comment fais-tu pour innover dans tes prises de vue ?
Plus je passe du temps derrière mon objectif et plus j’innove. Cela m’arrive parfois de faire des photos très rapidement parce que je sais exactement ce que je veux. Je recherche une dimension picturale dans mes photos, que je retrouve sur certaines. J’aime leur dimension impressionniste. Et puis le fait que mon travail soit exposé et reconnu (Bayonne, Biarritz et bientôt chez Boardriders à Saint Jean de Luz) est une vraie innovation pour moi !
As-tu déjà voyagé pour la photo ?*
Non, pas encore. Mais j’ai plusieurs projets en tête qui m’emmèneraient à voyager. J’aimerais mettre davantage les femmes au coeur de mes photos, parce que les photos de surf représentent surtout des hommes. Mon but serait de représenter l’accès que les femmes ont au surf à travers le monde, qui parfois peut être compliqué. J’aimerais aussi révéler le surf dans certains pays qui abritent des spots peu connus. Il y a deux ans j’étais aux îles Marquises, sur un spot de locaux. Ça m’a semblé fou qu’il n’existe quasiment aucune photo de ce lieu. Mais je ne révèlerai pas leurs endroits exacts.
Y a-t-il des destinations qui te font rêver pour shooter ?
Le Costa Rica ! La nature est omniprésente là-bas. Puis j’aimerais représenter autre chose que des occidentaux à l’eau, que l’on voit quasiment tout le temps. J’aimerais introduire plus de diversité dans les photos de surf.
Y a-t-il des surfeurs professionnels que tu rêverais de shooter ?
J’avais mon appareil lorsque je suis allée au Quik Pro à Hossegor en octobre. Ce n’était pas forcément dans mes plans de photographier des surfeurs pro. J’ai croisé Kauli Vaast et je l’ai pris en photo, ce qui a un peu changé mes plans. Quand je me suis rendue en Polynésie, j’ai été à Teahupo’o et j’ai rencontré Tim Mckenna. Il fait des photos de surfeurs, mais aussi de vagues. Pour l’instant je n’ai pas prévu de photographier des surfeurs pro, mais sur l’instant je prendrai beaucoup de plaisir à le faire. J’aimerais photographier des grosses vagues comme Belharra. C’est un rêve pour moi. Je voudrais aussi voir une houle à Nazaré et la capturer.
Est-ce que tu as un intérêt pour la vidéo ?
Pas du tout ! Me lancer dans la vidéo voudrait dire passer du temps sur une chose totalement différente de ce que je fais actuellement. Je ne connais pas assez la vidéo pour en parler mais je n’associe pas vraiment les deux. C’est un milieu qui est très technique. J’ai déjà assez de travail avec mes photos !
Et voici deux photos de son portfolio décryptées techniquement !
Hossegor, le 2 octobre 2021
Canon 7D Mark II – 70.200m – 1/250 – f.8
Ce n’était pas prévu. Après avoir regardé les conditions, j’ai décidé d’aller prendre des photos à la Gravière. Pour ne pas louper les premières couleurs matinales je me suis levée à cinq heures. Je suis partie seule dans le noir matinal. J’étais surexcitée à l’idée de ne pas savoir ce qui m’attendais. J’ai attendu un moment que le jour se lève sur le parking. J’ai préparé mon boitier et les objectifs. J’ai calé le 70-200mm et j’ai mis le 18-35mm dans ma poche. Je me suis avancée sur la plage et j’ai ressenti beaucoup de bonheur et d’excitation. Il n’y avait absolument personne, juste le calme de la nature et le bruit sourd du beach break. Ce matin-là figure parmi les plus beaux et les plus intenses de ma vie. Les couleurs étaient incroyables. Je suis restée trois heures, j’étais gelée mais j’essayais de comprendre et de retranscrire ce que me disait l’océan à ce moment précis.
Côte des Basques, Biarritz, le 14 octobre 2021
Canon 7D Mark II – 70.200 – 1/80 – f5.6
J’ai fini ma journée de travail à 18h. Cela faisait plusieurs jours que les couchers de soleil étaient magnifiques. Je me suis retrouvée face à des couleurs auxquelles je ne m’attendais pas et l’océan était d’un calme plat. Au nord de la plage, deux surfeurs donnaient l’impression d’attendre une série, bien que les vagues étaient rares et vraiment petites. J’ai décidé de rester en haut de la plage pour les photographier. Ils avaient l’air plongés dans un état méditatif que je n’ai pas tardé à partager avec eux. L’absence de vague à l’horizon m’a donné envie d’immortaliser ce moment de sérénité, ce lien qui unit les surfeurs à l’océan, l’amour qu’ils ressentent pour lui. En les prenant en photo je me lie à eux, ainsi qu’à l’attente dans laquelle ils sont plongés les yeux fixés sur l’horizon. Je suis moi-même dans l’attente de mon propre déclenchement. Je vis le moment présent avec eux, mais d’un point de vue différent.