À 27 ans, celui que beaucoup de médias internationaux présentent comme étant un parfait inconnu ayant débarqué de nul part pour voler la victoire au double champion du monde John John Florence, s’avère être plus célèbre qu’il n’y parait dans la région.
Un surfeur de haut niveau
Les locaux décrivent Luke Shepardson comme discret et d’une humilité sincère, alors même qu’il aurait de quoi se vanter. Le natif d’Haleiwa est un habitué des spots d’Hawaï. Même s’il n’a pas pu faire carrière dans le surf professionnel comme il l’imaginait plus jeune, il n’en reste pas moins un surfeur d’exception. Excellent tube rider, il est aussi capable de découper les vagues de l’ile avec des turns radicaux. Il a participé à plusieurs reprises à des compétitions internationales des Qualifying Series sur l’île comme le Volcom Pipe Pro, le Sunset Open, la Vans World Cup, le HIC Pro (auquel il finira 7e) et à Tahiti. Il a scoré la note parfaite à la maison lors des Pipe Invitationals en 2015. Il est soutenu par Super Brand Surfboards depuis plusieurs années. Autrement dit Luke Shepardson a largement un niveau QS, mais sur l’île le niveau est si élevé que son nom reste dans l’ombre de ses copains d’enfance qui ne sont autre que les frères Florence, et tous les autres qui monopolisent l’attention. Il n’a pas été invité pour rien à l’Eddie Aikau, même si cela restait un rêve d’enfance pour Luke. Casual Luke comme il s’est appelé sur Instagram est connu pour charger des monstres depuis plusieurs années comme en témoigne cette photo Instagram qui n’a rien de casual.
Mis à part le surf
Luke est un pur produit de l’île, il aime l’océan sous toutes ses dimensions. Il le dit lui-même « rider des grosses vagues, être dans l’eau, être un waterman, c’est ce pour quoi je vis ». Il aime beaucoup pêcher, passer du temps à la plage avec ses amis et sa famille même lorsqu’il n’y a pas de vague. Il embrasse à sa manière la culture locale dont il est pleinement imprégné. Cela passe aussi par le respect des anciens et des traditions dont Luke fait preuve. Cet amour du surf et de l’océan lui vient sûrement de son papa, Mark Shepardson. Ce dernier est lui-même surfeur, bodysurfeur et passionné par le grand bleu. Le père de Luke a mit son fils depuis son plus jeune âge sur une planche dans l’eau chaude du Pacifique. Mark fabrique lui-même ses handboards, en bois, ou en PU straté comme une planche de surf. Il a même donné un nom à cette petite production artisanale; « No Ka O’i Kickboards ». Père de trois enfants, le frère et la sœur de Luke vivent aussi très proche de l’eau, à leur manière, loin des caméras.
Deux ans plus tôt il confiait à nos confères hawaïens de Free Surf Magazine que s’il ne pouvait pas vivre de sa passion il deviendrait sauveteur sur le North Shore où se trouve parmi les plus célèbres et plus dangereuses vagues du monde comme Pipeline, Waimea Bay, Off the Wall, Sunset Point etc. Chose dite chose faites, le voilà lifeguard. En tant que sauveteur il reste au plus proche de l’élément qu’il affectionne tant. Luke continue de surfer pour le plaisir et de charger les grosses vagues de l’île quand l’occasion se présente. Très présent pour la communauté surf, qu’il protège maintenant des risques de l’océan, elle lui rend la pareille en l’invitant à la plus prestigieuse compétition de gros l’Eddie Aikau en l’honneur du premier sauveteur de l’île dont elle porte le nom. Si la compétition qui rassemble les meilleurs chargeurs du monde a été nommé ainsi c’est parce qu’Eddie Aikau est une légende de Waimea. Ce qui rends cet évènement si spécial c’est le fait qu’elle n’ai pas lieu tout les ans, à la même date. Elle ne dépend que du bon vouloir de l’océan.
Le jour où tout a changé
Alors qu’il est en service le jour J, Luke Shepardson surfe ses séries pendant son temps de pause. Derrière les énormes mousses, la plage aperçoit une tâche s’élancer au fond, c’est lui. Devant 60 000 personnes, il s’élance sur la deuxième vague du set, bien plus grosse que la précédente. Luke est bien à l’intérieur, il drop alors que la vague jette dans son dos, il la dévale jusqu’en bas, pendant que le monstre souffle derrière lui, il revient en milieu de vague, continue de la surfer, avant de sortir face à l’énorme mousse devant lui. Après ça, le sauveteur prend une deuxième vague, celle qui a soulevé le plus la foule. Le set est encore plus gros, plusieurs vagues passent et Luke décide de partir. La vague va fermer à coup sur mais tout le monde sur la plage se mit à crier. Luke descend tout en bas de vague, continue de la surfer, la mousse s’écrase dans son dos telle une avalanche et fini par le rattraper. On ne le voit plus sur les caméras pendant de longues secondes avant de le voir finalement resurgir hors de l’eau grâce au gilet de flottaison. La foule est en liesse et même lui doit l’entendre de là où il est. Après avoir surfé il est retourné en haut de la tour, pour enfiler son uniforme et pour reprendre son travail comme si de rien n’était. Parce que oui, par dessus tout Luke est passionné et pleinement dévoué à sa profession. Un investissement qu’il pousse jusqu’au bout puisque dès le lendemain de sa victoire lors de l’Eddie (comme l’appellent communément les locaux), il était vêtu de son short rouge et son maillot jaune en poste prêt à venir en aide aux personnes en danger sur la côte. Il a répondu d’ailleurs avec humour lors d’une interview pour la chaîne de télévision locale « je n’ai plus de jours de congé à prendre de toute façon (rires) », encore un belle preuve d’humilité de sa part.
Uniforme qu’il a d’ailleurs fièrement porté lors de la remise des prix, devant des centaines de personnes, dont les acclamations étaient si bruyantes que le caméraman de KHON2 News, bousculé par la foule a dû demander aux spectateurs de garder leur calme pour ne pas gêner la retransmission en direct. Celui qui fut le speaker de la compétition et qui annonça les gagnants n’est autre que le frère du célèbre Eddie dont la compétition porte le nom. Dans l’interview mentionnée plus haut, Luke répond qu’il rêve de gagner l’une des compétitions qui se tiennent sur Hawaï. Chose dite chose faite, le voilà couronné (de fleurs) vainqueur de la plus prestigieuse compétition de grosses vagues, l’Eddie Aikau. Clyde Aikau ainsi que les juges, estiment que Luke a été celui qui représentait le mieux cet engagement dont faisait preuve le défunt et qui se matérialise par « Eddie would go », ou en français « Eddie irait ». Père de famille dévoué, ce n’est pas un grand habitué des caméras et de l’attention médiatique en générale. Luke est maintenant sujet à beaucoup plus d’attention qu’il n’en a eu jusqu’à maintenant après cette victoire. Être projeté comme ça sur le devant de la scène, ça peut être troublant, mais il gère plutôt bien. Même si on ressent tout de suite qu’il est plus à l’aise sur une vague large comme le tunnel sous la manche, que face aux objectifs des journalistes. Mais finalement cela donne des réponses sincères et sans arrières pensées. On ne peut que se réjouir que Luke reçoive plus d’attention et puisse jouir des avantages qu’engendre une nouvelle notoriété. Voilà ce que Luke a ajouté à la télévision locale à tête reposée le lendemain : « c’est un honneur pour moi et j’essayais d’être à la hauteur de l’héritage de tous ces gars avant moi (les surfeurs de gros) et de perpétuer l’héritage d’Eddie comme sauveteur ». Une phrase prononcée par Luke Shepardson juste après la remise des prix reflète parfaitement son état d’esprit: « Je dois retourner à la tour (des sauveteurs) pour m’assurer que tout le monde soit en sécurité jusqu’à la fin de la journée ». Eddie Aikau, qui continue de veiller sur le North Shore de là où il est, est très certainement fier de voir que l’île a trouvé un nouveau héro.