Montauk se situe dans l’état de New York, à l’extrémité orientale de la rive sud de l’île de Long Island. Il s’agit d’un territoire rattaché à la ville d’East Hampton. Souvent frappé par de grosses houles automnales et hivernales, ce lieu de surf un peu confidentiel abrite certaines des vagues les plus consistantes de la côte Est américaine. Moins réputés que les littoraux californiens, ces rivages du comté de Suffolk prennent des allures de bout du monde, en prise directe avec les vagues puissantes et souvent glaciales de l’Atlantique. Au niveau de ces latitudes, fouler la neige avant de se jeter à l’eau n’est pas chose rare en hiver. Les étés sont cependant plus chauds mais ils ne profitent que de très peu de swell.
Pour découvrir Montauk, il faut d’abord quitter New York, sa population cosmopolite et son urbanisme vertical, pour prendre le train à Penn Station, au cœur de Manhattan puis parcourir 190 kilomètres le long des rails qui sillonnent Long Island. La ville se dessine au bout du chemin et c’est la dernière étape du voyage avant l’immensité de l’Atlantique. Le lieu vibre, dans son ambiance désuète. Toute en longueur, cette ville calquée sur la côte océanique est entourée de six parcs d’état. En dehors de sa rue principale, de ses quelques surf shops, cafés, boutiques et restaurants, la nature prend le dessus et l’horizon s’étend, jusqu’aux côtes de l’Europe.
La majeure partie de l’année, le calme et la solitude représentent une part criante de l’existence de ses quelques 4000 habitants, mais l’été c’est une toute autre histoire. Les routes et les wagons de la Long Island Railroad se peuplent des riches habitants de l’État de New York et d’ailleurs, aux alentours ou plus loin. Ces derniers ont pris l’habitude d’établir leurs quartiers d’été dans les environs. Il s’agit d’une destination huppée, mais ça n’a pas toujours été le cas. Il y a plusieurs dizaines d’années, la ville était un lieu de villégiature pour les familles issues de la classe ouvrière. Elles ont aujourd’hui totalement disparu du paysage.
Ce changement d’ambiance saisonnier et radical n’est pas sans déplaire à tout le monde. Balaram Stack, surfeur pro originaire de l’état de New York, a grandi en surfant les vagues du coin. À onze ans, il participait déjà aux compétitions locales organisées à Ditch Plains, mais ce sont les beach breaks que le local préfère. Malgré ses nombreux voyages, il reste très attaché aux spots qui l’ont vu évoluer. « Il y a une bonne équipe de jeunes dans le coin, je suis proche d’eux. Ils tiennent le coup face à la foule estivale. Il y a beaucoup de monde en cette période chaude, mais ça reste une bonne saison. La ville en elle-même est géniale. Elle est pleine d’énergie. Il me semble que le niveau en surf est monté en puissance dans l’état de New York. Cependant, la plupart des gens qui ne connaissent rien aux vagues ne savent pas à quel point c’est bon ici », confie-t-il.
Rencontre avec Dalton Portella
Même en hors saison, le camping reste l’option la plus abordable. Ce week-end de Pâques, nombreuses sont les familles venues y poser leur van aménagé pour profiter des congés. Un vent puissant souffle sur les spots du coin. Avant d’être un lieu de plaisir pour la bourgeoisie new-yorkaise, Montauk est un territoire où le surf est solidement ancré. Il possède son lot de pros riders, d’artistes et de pêcheurs amoureux des vagues, de shapeurs et autres surfeurs écrivains. La communauté y est authentique et singulière.
Elle n’est pas facile à identifier et la rencontre avec Dalton Portella donne beaucoup de sens, de substance, pour définir ces instigateurs des lieux. Vêtu de noir, chapeau à larges bords vissé sur la tête, Vans à carreaux aux pieds, l’esprit plein d’anecdotes et le disque dur rempli de photos, Dalton est le guide idéal pour partir à la découverte des environs. Notre hôte vit et surfe à Montauk depuis de nombreuses années. Il est artiste peintre, photographe et musicien. Le local capture régulièrement les houles qui surgissent du large et déchaînent les spots, mais quand les conditions sont belles, il gagne le line-up.
Au volant de sa Toyota Séquoia noire, adaptée aux routes irrégulières et caillouteuses menant à la plupart des spots, nous entamons une lente remontée vers le Nord. Beach breaks, reef breaks et point breaks jalonnent la côte. Premier stop à Old Montauk Highway, au nord de Hither Hills Park, qui ne fonctionne que lorsque c’est gros. Le second, Ditch Plains est le plus connu de tous. Il fonctionne avec n’importe quelle houle. Puis Radars et enfin le très local Turtle Cove, situé sous l’imposant phare de Montauk – le plus vieux de l’état de New York – qui abrite les plus longues vagues du coin. Notre périple s’achève à North Bar. Il est susceptible d’offrir des vagues, même lorsque les autres spots sont hachés par le vent et sa mauvaise orientation.
Parmi le flot d’histoires que Dalton apporte, il affirme qu’il n’est pas rare de croiser un lion de mer. Il faut également faire attention aux requins. Il existe un lien étroit entre Jaws, le roman qui a inspiré le célèbre film éponyme à Steven Spielberg et les côtes du coin. Frank Mundus, célèbre pêcheur de Montauk aujourd’hui disparu, aurait façonné le personnage du livre connu sous le nom de Quint. Son auteur Peter Benchley, nourrissait une fascination pour les squales, véritables inspirateurs de sa littérature. Cette fascination fut exacerbée par la capture que Frank aurait faite d’un grand requin blanc, estimé à 4500 livres, un véritable record. Dalton évoque cette histoire, tout en insistant bien sur le fait qu’il n’a jamais entendu une seule histoire d’attaques depuis qu’il surfe ici.
À mesure que nous amorçons notre retour, le soleil décline, ainsi la lumière et le jaune orangé des chemins de terre semblent plus contrastés et profonds. Nous voilà au sein du studio de Dalton, mitoyen de sa maison, là où son art prend vie : sa peinture, sa musique, ses photographies. Les vagues restent toujours proches. L’ordinateur de Dalton contient des milliers de clichés d’océan, qu’il a pris dans tous ses états et sous toutes ses formes. Il a également immortalisé des scènes de plage, donnant un aperçu de l’ambiance estivale.
Dalton est un maillon de la communauté surf locale dont il est à l’image : authentique, éclectique, plein de ressources et passionné. Ici, l’art et le surf cohabitent. Au début des années 1970 Andy Warhol et Paul Morrissey associés, ont acquis une maison dans les Hamptons, devenue par la suite une sorte d’extension estivale de leur Factory, où se sont côtoyés de nombreuses personnalités de la scène artistique new-yorkaise des seventies tel que Mick et Bianca Jagger, pour ne citer qu’eux. Si cette époque est aujourd’hui révolue, la présence de Julian Schnabel, le célèbre peintre et réalisateur américain, est toujours étroitement lié à Montauk. Il y possède une résidence ainsi qu’un atelier et à l’habitude d’y surfer, une pratique qu’il met d’ailleurs au même niveau que sa peinture.
Des figures locales et authentiques
Tony Caramanico est une autre figure de Montauk. Il surfe ici depuis 1965 et c’est lui qui a ouvert l’un des tous premiers surf shops du coin. « Je suis dans le surf business et le mode de vie associé au surf depuis le début des années 1960 », déclare Tony. Intronisé au East Coast Surfing Hall of Fame en 2020 dans la catégorie légende, cet américain possède son propre modèle de planches. Professionnel dans les années 1990, il représentait les planches shapées sous le label de Greg Noll. On peut donc facilement imaginer qu’il était aux premières loges des évolutions qui se sont opérées dans la communauté locale, implantée depuis les années 1960.
« Montauk abrite certaines des meilleures vagues de la côte Est et des surfeurs du monde entier viennent ici. Aujourd’hui la communauté surf est plus forte que jamais et la scène est bien différente de celle que l’on trouve au sein des grandes agglomérations », analyse le surfeur. Depuis plus de trente ans, Tony partage une profonde amitié avec Joel Tudor, qu’il a d’ailleurs introduit à Montauk au milieu des années 1990. Joel est souvent revenu par la suite. Tony se confie sur cette amitié : « Je crois qu’il avait quinze ans quand il est venu dans le coin pour la première fois. C’était le meilleur longboardeur du monde à cette époque. Il est toujours au top aujourd’hui et c’est une véritable icône de notre sport ». Le style du natif de San Diego a marqué le longboard contemporain et a eu son influence sur la culture surf locale et sa communauté : de nombreux passionnés ont adopté un style classique.
Notre chemin a ensuite croisé celui de Chris Gentile, un personnage profondément connecté à la ville et à sa communauté. Surfeur, menuisier et photographe, il possède Pilgrim Surf + Supply depuis 2012, un surf shop situé en plein cœur de Brooklyn. Chris aime Montauk pour sa beauté et ses ressources naturelles. « J’éprouve un profond respect pour les habitants des lieux, mes amis qui y ont grandi et particulièrement pour les ouvriers et les pêcheurs qui en ont fait un endroit si particulier », explique-t-il. Ce dernier possède un sens profond du partage et de la communauté. « Je ne parlerai pas de mes spots préférés par respect pour mes amis locaux, mais l’épicentre de la scène surf locale est Ditch Plains. C’est une vague très douce qui déferle sur un récif de galets, tout le monde peut la surfer. Elle n’est cependant pas facile d’accès, à moins de posséder un permis de stationnement de la ville », poursuit Chris avant de préciser que ce sont les deux semaines du milieu du mois de septembre qui garantissent les plus belles sessions, avec l’arrivée des longues houles d’ouragan. Chris a grandi entre Rhode Island et Block Island mais il a attendu d’habiter New York pour surfer à Montauk pour la toute première fois : « Ce qui est marrant, c’est que je regardais Montauk depuis les spots de Block Island quand j’étais enfant mais je n’y avais jamais surfé avant mes 30 ans. La communauté surf locale a beaucoup changé depuis 20 ans que je la connais, les locaux et les personnes pour qui j’éprouve un profond respect sont plutôt invisibles. Je veux dire par là qu’il n’attirent pas l’attention sur eux. Ils surfent à très haut niveau et sortent les jours où tout le monde reste sur la plage à regarder. Il y a des gens fantastiques ici, ils sont discrets, subtils et remplis d’une belle énergie. Si vous êtes éveillés et respectueux, vous aurez peut-être la chance de les rencontrer. »Ces paroles sur lesquelles s’achève notre échange nous permettent de saisir l’essence de la communauté surf locale, engagée et passionnée.
Nick Joeckel est, lui aussi, un personnage incontournable. Chez Nick, le surf et la pêche sont des traditions transmises par les liens familiaux. « Le père et les oncles de ma femme surfent ici depuis la fin des années 1960 », confie-t-il. Comme son père avant lui, Nick est pêcheur professionnel. Comme ceux qui y vivent toute l’année, notre homme est aux premières loges du contraste saisissant qui oppose l’hiver à l’été sur la pointe de la péninsule. « En été, les vagues sont petites, les plages, les restaurants et les routes sont bondés, mais une fois que la foule est repartie vers l’ouest, à New York et au-delà et que l’air fraichit, la saison des ouragans commence à se faire sentir. L’eau est encore chaud, la foule a diminué et tous les gars sont encore en ville », poursuit-il. « En janvier, Montauk est une ville fantôme, glaciale, ennuyeuse, très calme, et ce jusqu’à la fin du mois de mars. C’est en fait ma période préférée. Les houles d’est commencent à se former de façon régulière et les reef breaks offrent un surf puissant qui peut avoisiner les deux mètres, avec seulement une poignée de surfeurs au line-up. »
Dans ce Nord de nulle part plus qu’ailleurs, le surf est authentique et engagé. Il se mêle à une histoire riche faite de traditions, d’art et d’artisanat et se compose de parcours individuels et singuliers, à l’image de Dalton, de Tony et des autres, qui en font toute la discrète richesse, dans des conditions souvent rudes et sauvages.