Portrait : Sacha Fellous, un big wave rider 100% basque très prometteur

Rencontre avec ce waterman à la volonté bien accrochée et au mental solide.

16/05/2024 par Ondine Wislez Pons

© Eric Zudaire

Véritable gamin du Pays basque, Sacha Fellous, 18 ans, vit à Bidart depuis son plus jeune âge. C’est naturellement qu’il a commencé le surf enfant, à la Côte des basques à Biarritz, sur les traces de son père. Grandir du côté de Guéthary aura fait naître en lui le désir de s’attaquer à des vagues plus conséquentes, le village basque abritant des spots qui prennent bien la houle. Il fait désormais partie de ceux que l’on retrouve à la rame au line up de Parlementia ou d’Avalanche les plus gros jours. Mais s’il est un membre actif de la communauté surf de gros du Pays basque, on ne saurait le « réduire » à cela, son approche de l’océan étant multiple et complète. Curieux de son parcours encore discret mais prometteur, nous avons souhaité le rencontrer pour en savoir davantage. C’est un jeune homme calme, posé et déterminé, fort d’une maturité étonnante qui s’est présenté à nous.

Le jeune basque a commencé le sauvetage côtier à 6 ans, au Biarritz Sauvetage Côtier et il se rappelle de ses débuts, le sourire aux lèvres : « Le jour des tests d’entrée au club, je ne savais pas encore nager. Je flottais mais je n’avais pas la technique du crawl. Une fois arrivé à la bouée, j’ai bu la tasse et j’ai commencé à me noyer, ils m’ont sorti de l’eau. Mais à cette époque, il y avait tellement peu d’inscrits dans le club qu’ils m’ont pris. Je n’ai jamais lâché et j’en fait encore aujourd’hui« . Une pratique qui lui a permis de développer une aisance dans l’eau, enrichie par sa passion pour la chasse sous-marine, qui a cultivé en lui une conscience encore plus aiguisée du milieu océanique. Le surfeur fait également du bodysurf, une pratique qui, année après année, n’a cessé d’affuter sa réactivité et son sens du placement. Nourri par l’esprit du surf comme du sauvetage côtier, deux disciplines complémentaires dans leurs valeurs comme dans leur pratique, ce jeune homme à la volonté bien accrochée semble affublé d’un mental solide. Il ne nous aura pas fallu longtemps pour nous en rendre compte…

Son enfance passée au Pays basque, entre Bidart, le surf club de Guéthary et le club de sauvetage côtier de Biarritz l’a rendu puissant, capable d’encaisser et de supporter la force océanique des spots du coin, tout en faisant naitre en lui un amour profond de l’océan qui l’attire sans cesse, quel que soit son état, pour surfer, ramer, chasser ou nager. Des moments passés à l’eau qui le poussent à l’introspection et lui permettent de vivre ces moments solitaires qu’il aime tant. Si on ne sait pas encore jusqu’où il ira, une chose est sûre Sacha sait ce qu’il veut et il veut aller loin en s’attaquant à la rame à des vagues toujours plus grosses en France ou ailleurs, en déployant ses capacités physiques et mentales du mieux qu’il peut. Il fait partie de ces enfants solides élevés entre le grand air et la puissance de l’océan, dont le respect pour les plus anciens et les spots qui l’ont vu grandir est immense, conscient de ce qu’il leur doit.

Nous l’avons questionné sur sa vision du surf, sa pratique de l’océan et ce qu’il met en œuvre pour progresser.

Surf Session – Salut Sacha ! Comment décrirais-tu ton rapport au surf ?

Sacha Fellous – Je ne pourrais pas vraiment dire pourquoi, mais je ne peux pas m’en passer. Quand je suis confronté à cet élément naturel qu’est l’océan, face auquel je ne suis maître de rien, je suis dans une attente perpétuelle et parfois, quand les choses ne viennent pas comme je le veux, ça crée des frustrations en moi. Si le surf est pour moi une source de plaisir, je pense que c’est avant tout un sport de frustrés. Il n’y aurait pas autant de plaisir sans cette frustration et l’envie perpétuelle de faire mieux.

Comment en es-tu venu à t’attaquer aux grosses vagues ?

J’ai grandi à Guéthary, face à la vague de Parlementia. Depuis petit je suis à l’Urkirola, le club de surf de Guéthary, entouré de tous les anciens dont les grandes planches et les guns sont entreposés partout dans le local. J’ai grandi en entendant leurs histoires, ce qui force au respect. Parlementia est un spot qui prend beaucoup la houle, quand il y a 2 mètres annoncés, bien orientés, on peut facilement avoir 3 mètres au pic. Le fait que cette vague soit en face de la maison et ma pratique du sauvetage côtier m’ont poussé à vouloir y aller.

Que dirais-tu que la pratique du sauvetage côtier apporte à ta pratique du surf de grosses vagues ?

Je dirais l’aquacité, l’aisance dans l’eau et le fait de ne pas avoir peur. Quand on est petit et que l’on est dans un club de sauvetage côtier, on se surpasse parce qu’on est encadré par un coach, entouré des copains. On oublie le danger potentiel pour être dans l’amusement et le plaisir. Le sauvetage nous a appris qu’on pouvait aller dans toutes les conditions, même au cœur de l’hiver, quand c’est pourri et que certains pourraient se demander pourquoi on va à l’eau. Mais c’est un entraînement comme un autre et on sait pourquoi on y va. Pour être bon il faut pratiquer et il n’y a pas mieux que d’aller à l’eau pour pratiquer. Certains surfeurs ont peur quand ils ne voient plus le fond. Ça m’arrive rarement de me retrouver seul au spot, mais je sais qu’en cas de problème, je pourrais plus facilement me sortir d’une mauvaise situation. Le sauvetage nous apprend à être indépendant à l’eau, avec toutes les rames que l’on fait au large. Il a fait naitre en moi une exigence qui me permet d’être plus performant dans le surf de grosses vagues.

© Marco Nuñes
© Tristan Keroullé

Qu’est-ce que tu aimes dans le surf de grosses vagues ?

C’est une discipline totalement différente du surf et ce n’est surtout pas la même mentalité. Dans les grosses vagues, les conditions difficiles, il y a beaucoup de rame, beaucoup d’heures passées à l’eau, du danger… Un respect naturel s’instaure entre nous. Sur les grosses sessions, on est content d’être plusieurs au pic, on se respecte, il y a une entraide et on sait que si on a un problème, on peut compter les uns sur les autres. Et même si c’est un milieu qui draine de la compétition et que chacun veut sa vague, on est solidaire. Il ne faut pas oublier qu’une mauvaise chute peut coûter cher.

Peux-tu nous parler de la scène surf de gros basque, qui semble plutôt discrète ?

En ayant grandi à Guéthary, je me considère comme un local de Parlementia. Je respecte les autres et ils me respectent. On est une trentaine à côtoyer ce spot régulièrement, même si on ne se retrouve jamais tous à l’eau en même temps. Il y peu de jeunes à Guéthary. On évoque beaucoup plus certains lieux, comme les spots de gros hawaiiens, parce que les surfeurs de ces spots-là en parlent, partagent du contenu sur leurs réseaux sociaux… Ici on est pas du genre à parler des vagues, on les adore et le respect que l’on a pour elles fait qu’on a tendance à vouloir les protéger. Ce n’est pas dans nos habitudes de se mettre en avant, ce n’est pas dans notre culture. En France, ce n’est pas bien vu de se vanter, d’étaler ce que l’on fait, on fait les choses avant tout pour soi. C’est important que tout ça reste intimiste. C’est une pratique qui nécessite d’être très exigeant, avec soi-même et avec les autres… Il ne faudrait pas que ça devienne touristique ou commercial. Et si on assiste à un certain engouement pour la pratique, c’est important qu’elle reste éthique, que les valeurs soient fixes. Il ne faut pas oublier qu’il y a des plus anciens à l’eau et du danger. Il faut savoir rester à sa place.

Comment te prépares-tu physiquement avant et pendant la saison d’hiver (et des grosses vagues) ?

J’adapte mon entraînement en fonction de ce que je demande à mon corps. L’été je fais beaucoup de sauvetage côtier, il faut que je sois endurant, je cours, je nage, je fais des rames longues. L’hiver je fais de la préparation physique pure pour être solide sous l’eau, capable d’encaisser. Chacun possède son type de prépa, je sens que celle que j’ai adoptée m’est très bénéfique. Cet hiver, j’ai constaté que toutes les fois où je me suis fait taper dessus par une vague, ça se passait très bien. J’ai commencé la prépa physique par nécessité et c’est par plaisir que je continue.

Je m’entraîne 4 à 5 fois par semaine et mon programme est fait de plusieurs cycles. Au début de l’hiver je cherche à construire du muscle pour gagner en force. Quand l’océan te tombe dessus, il faut être très fort pour résister aux masses d’eau qui s’abattent sur toi. Sous l’eau, on ne se rend pas compte à quel point on se fait brasser. Par exemple, si on a pas immédiatement la main sur le gilet gonflable, on peut ne pas réussir à la ramener pour le déclencher. Je travaille donc sur des mouvements de force, des répétitions courtes en soulevant le plus lourd possible. Le cardio est aussi très important. Avec l’été qui arrive, je suis revenu à des circuits cross fit et cardio, pour redynamiser mon corps, retrouver mon aisance et mon endurance.

L’apnée occupe-t-elle une place importante dans ta préparation physique ?

J’ai fait quelques entraînements avec le Biarritz Chasse Océan, mais ça reste de l’apnée basse. Elle est forte en intensité mais le cardio reste bas, parce que quand on chasse, le but est de rester tranquille. Ce qui n’est pas le plus adapté pour le surf de gros. Ça ne sert pas à grand chose d’être capable de tenir quatre minutes en apnée en restant statique, parce que tu ne resteras jamais quatre minutes sous l’eau. Dans les grosses vagues il faut être capable de rester sous l’eau dans le dur, donc je pense que le meilleur des entraînements est de faire monter le cardio en faisant 30 secondes de course à pied, 30 secondes de statique poumons vides, 10 burpees, 30 secondes de statique poumons vides, le tout en étant capable de penser à autre chose. Mais on a beau s’entraîner en apnée, le mieux reste l’expérience : bouffer encore et encore. Chaque hiver je débloque des paliers et j’avance, je me rends compte que je suis à l’aise dans des conditions où je ne l’étais pas l’année d’avant.

Est-ce que tu apprends à tomber ?

Non, pas vraiment, mais c’est important de tomber et de ne pas seulement apprendre des erreurs des autres. À la fin de l’hiver dernier, je m’étais dit que je n’avais pas fait assez de chutes, que je n’avais pas assez bouffé mais cette année, j’ai eu ma dose (rires). C’est en tombant que l’on prend conscience de nos limites, de jusqu’où l’on peut repousser le curseur. Quand on est debout sur une vague et que l’on n’a pas connu la chute, on ne sait pas jusqu’où on peut aller. C’est quand on tombe que l’on se rend compte de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. La chute m’a permis d’apporter des réponses à des interrogations qui jusque là n’en avaient pas. Maintenant, je sais comment ça se passe en cas de chute, quand je me fais exploser.

© Marc-Antoine Protiere

À quel point l’entraînement physique est-il important pour toi ?

Si tu ne fais pas du mal à ton corps à 200% à chaque séance, il n’aura aucun besoin de s’adapter à une situation difficile qui pourrait arriver à l’eau. Si ton corps n’est pas sous contrainte, il ne se déploiera pas pour trouver de nouvelles ressources. L’entraînement est important mais je pense que la rigueur, la volonté de vouloir absolument tout maîtriser peuvent parfois aussi être des freins. C’est un milieu où il faut savoir lâcher prise, surtout quand on est sous l’eau, où il faut arriver à lâcher du lest et se détendre. Je pense que ça vient avec l’expérience et j’y travaille beaucoup.

Penses-tu que cette capacité à se détendre est innée chez certains et à travailler pour d’autres ?

Quand je parle avec des gars comme Matt (Etxebarne) ou Pilou (Ducalme), je pense que ça peut être inné. Tous les deux adorent bouffer. Je peux le comprendre, j’adore aussi bouffer dans 3 mètres en bodysurf, mais quand je me fais attraper par une vague et que je ne m’y attendais pas, ça me fait tout drôle… J’aime de plus en plus bouffer mais passer une certaine taille, il y a des vagues que je n’ai pas envie de me prendre sur la tête. C’est important de penser comme eux, c’est comme ça qu’on avance, mais on ne doit pas non plus basculer dans l’inconscience.

Où se situe le plaisir dans tout ça ?

Sur certaines très grosses sessions, on me demande souvent si je prends du plaisir et la réponse est « non ». Quand on descend de la voiture, les pieds nus dans les graviers gelés, qu’on enfile une combi froide, qu’on arrive au pic et que les conditions sont très grosses, on se dit qu’on se met dans une situation dénuée de toute logique où l’homme n’a rien à y faire. Je vis ces très grosses sessions comme des moments suspendus, les ambiances sont particulières, un peu mystiques… Quand la session commence et que je prends ma première vague, le stress disparait mais le plaisir n’arrive pas encore. Je ressens une adrénaline pure, liée à l’action et je ne pense plus à rien. C’est tellement intense que parfois, quand je prends une vague, je ne m’en rappelle même plus quelques secondes plus tard. Le plaisir arrive une fois que je suis rentré au bord, que j’ai enlevé le leash et la combi. Ce que je viens de dire est valable pour les très grosses conditions. Pour le reste, je trouve mon plaisir en permanence dans l’océan, quelle que soit la pratique.

Deux récits, et pas des moindres, seront à suivre… La première fois de Sacha à Nazaré et son gros flip à Parlementia sont à retrouver bientôt sur surfsession.com

© Marc-Antoine Protiere


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