Récit : le chargeur basque Sacha Fellous s’attaque pour la première fois à Nazaré

"On voulait choisir une semaine calme pour y aller, mais on est tombé sur la semaine la plus rock'n'roll de l'hiver. "

04/07/2024 par Ondine Wislez Pons

© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière

Récemment, nous avions publié un portrait de Sacha Fellous, ce jeune surfeur de gros très prometteur du Pays basque. Depuis plusieurs années maintenant il s’attaque à Parlementia, Avalanche et autres spots de gros de la Côte basque, lorsque ces derniers sont touchés par les grosses houles d’hiver. Mais son approche de l’océan ne se limite pas au surf. Que ce soit en body surf, à travers les disciplines du sauvetage côtier ou muni d’un harpon, le jeune homme de 18 ans connaît l’océan sous toutes ses formes et par toutes les conditions, des plus flat aux plus velues. Cet hiver, Sacha s’est rendu pour la toute première fois à Nazaré et cet article en est le récit.

« On voulait choisir une semaine calme pour y aller, mais on est tombé sur la semaine la plus rock’n’roll de tout l’hiver  » nous a-t-il confié, les yeux pétillants, un rien hallucinés, ne réalisant peut être pas encore tout à fait la folle expérience qu’il a vécue sur le spot de gros portugais. Parti en compagnie du vidéaste Marc-Antoine Protière, Sacha est revenu du Portugal avec beaucoup d’images, qui ont donné lieu à un film dont l’avant-première se tiendra à Biarritz le 31 juillet prochain. Attiré par l’univers et le parcours du rider, Marc-Antoine souhaitait documenter ce voyage dans sa globalité et notamment les coulisses d’une telle expérience. « J’ai voulu montrer les backstages et documenter les sessions de Sacha, tout ce qu’il y a avant et après » nous a-t-il confié.

Nous avons retrouvé Sacha dans un café biarrot où il nous a raconté sa folle expérience portugaise de cet hiver, ouvrant un nouveau chapitre et écrivant encore un peu plus son histoire dans les grosses vagues.

Surf Session – Ton voyage a Nazaré est lié à un projet vidéo. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Sacha Fellous – J’ai rencontré Marco, qui est vidéaste et il était intéressé par mon côté waterman. Il m’a proposé de faire un documentaire d’une dizaine de minutes sur mon parcours. On a beaucoup filmé au Pays basque avant de partir à Nazaré, où j’avais envie d’aller depuis un moment et cet hiver, les choses se sont accélérées. Pendant notre séjour là-bas, Marco a tout filmé, avant, pendant et après les sessions, le stress, la peur, l’organisation parfois compliquée d’une première fois là-bas… En vidéo, on a tendance à voir la finalité des choses, le surfeur debout sur sa vague, mais on voulait montrer l’envers du décor. Après Nazaré, le projet de quelques minutes de Marco est devenu beaucoup plus dense.

Quand et comment avez-vous décidé de partir ?

J’avais tout le matos et physiquement, j’étais prêt. Une houle était annoncée et dans ma tête, Nazaré est devenu envisageable. On a regardé les prévisions le jeudi et le dimanche on y était. On a mis tout le matos dans le camion et on a pris la route.

Comment ça se passe quand on débarque à Nazaré, sans connaître personne ou presque ?

À Nazaré, tu ne peux pas te pointer à l’eau sans équipage. Si il t’arrive quelque chose et qu’un équipage local doit t’aider, ça met les autres en danger et pour moi, c’était exclu. Soit tu arrives avec ton équipage et son jet ski, ce qui n’était pas notre cas, soit tu en loues un sur place, mais ça coûte extrêmement cher. Ce sont des budgets abordables pour des investisseurs ou des sponsors mais pas pour des individuels. Il a donc fallu que l’on s’organise sur place.

Vous avez eu une bonne étoile ?

La veille de notre départ, on a rencontré Raphaël Carassic qui a, entre autres, produit le film Biarritz Surf Gang. Il a été séduit par notre projet et a décidé de nous aider. Raphaël nous a mis en contact avec Vincent Kardasik, qui était sur place et qui nous a trouvé un pilote. Ça devait être Tony Laureano, mais il s’est blessé le jour de la compétition qui a eu lieu pendant qu’on était à Nazaré. C’est son père, Ramon, le boss de la sécu sur place, qui nous a donné de son temps. Pour ma première session tow-in on a eu deux jet skis et un spotteur et le lendemain, un jet ski pour ma session à la rame. Sans eux, rien n’aurait été possible. À Nazaré, la qualité du matos est incroyable, tout est confortable, pratique et bien pensé.

© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière

Quelles étaient les conditions cette semaine-là ?

En début de semaine, à notre arrivée, c’était dantesque. À tel point qu’ils ont lancé le Nazaré Challenge le lundi. Les hôtels et les Airbnb étaient tous complets, mais on a trouvé de quoi dormir dans le sous-sol d’un magasin de literie. J’ai attendu que les conditions soient plus petites pour me mettre à l’eau.

Peux-tu nous remettre dans le contexte de ta première session ?

La nuit précédente, je n’ai pas fermé l’œil. Le matin, quand on est arrivé sur le port, le jour se levait à peine et je ressentais beaucoup de stress. Mon projet initial était d’y aller à la rame, mais j’ai commencé par deux sessions en tow-in. C’est ce que l’on m’a conseillé pour comprendre la topographie du spot. Pour ma première session, il y avait environ 10 mètres. Une fois au large, c’était assez fou de voir le spot en vrai, après toutes les vidéos que j’avais regardées. J’ai pris conscience de la taille, du bruit et il y avait cette brume, qui donne ce caractère si mystérieux au spot.

C’était la toute première fois de ta vie que tu faisais du tow-in ?

Oui. Pour commencer, Ramon a voulu que je me lève sur du plat. Les deux premières tentatives furent un échec et je me suis dit que ça allait être compliqué. Mais au bout de la troisième, j’ai réussi. Ramon a commencé à prendre de la vitesse et il a crié, comme convenu, pour que je lâche la corde. J’ai commencé à sentir que je descendais quelque chose et j’ai réalisé qu’il m’avait lâché sur une vague, sans me prévenir. Elle n’était pas très grosse et j’ai visé la trajectoire la plus courte. J’avais pris ma première vague à Nazaré.

Quel fut le bilan de cette première session ?

On est resté 3h30 à l’eau et ça s’est bien passé. J’avais des cloques sur les mains à force de serrer la corde. Je m’y accrochais comme à ma propre vie (rires) et j’avais des bleus sur les pieds parce que je n’avais pas de chaussons. Ce matin-là, j’ai pris mes marques et l’après-midi, je savais ce qu’il fallait que je change, ce sur quoi je devais travailler. Ramon a une lecture de vagues parfaite, ce qui m’a beaucoup aidé. Je me suis rendu compte de l’importance d’avoir un bon pilote. En sortant de l’eau après la session du matin, il m’a donné un gâteau, a fait le plein d’essence et on est reparti à l’eau.

Comment s’est passée cette seconde session ?

Les conditions étaient plus belles et il y avait moins d’équipages à l’eau. On était sur le second pic, celui du milieu. Le soleil passait à travers les vagues, c’était magnifique. J’avais l’impression d’être face à d’immenses murs verts à crête dorée. Ramon m’a balancé sur des monstres que je n’aurais même pas envisagées le matin même. J’ai pris des dérouillées immenses mais par chance ce fut moins violent que ce que j’avais imaginé. J’ai également pris les plus belles vagues de ma vie. Ramon a vu une série arriver et on a pu choisir la meilleure vague. Il m’a lancé sur un colosse parfait dont la face n’avait pas été abîmée par le passage des jet skis. J’ai pris le temps d’aller chercher loin à l’intérieur, de faire un long bottom turn dans cette lumière verte, avec la vue sur le phare. J’ai surfé la vague jusqu’au bord en mettant quelques cut backs et j’ai pris conscience que le tow-in, ça pouvait ressembler à ça, que ça n’était pas juste des travers sur des mammouths.

© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière
© Marc-Antoine Protière

Le lendemain, tu as enchaîné avec une session à la rame. Dans quel état d’esprit étais-tu ?

Ramon m’a donné rendez-vous à 7h sur le port. Quand je lui ai dit que cette fois, je voulais ramer, il m’a demandé si j’étais sûr de moi, ce qui a rajouté à mon appréhension. Le soir je m’attendais à mieux dormir, après les deux sessions de tow-in dans les jambes, mais ma peur grandissait au fur et à mesure jusqu’au petit matin. Quand je suis arrivé sur le port, j’étais terrorisé. C’était censé être plus petit que la veille, mais c’était encore plus gros. Quand on est arrivé au large, il y avait une vingtaine d’équipages.

Est-ce que les directives de ton pilote ont été différentes de la veille ?

Quand je lui ai dit que je voulais y aller à la rame, Ramon m’a dit que j’étais responsable de moi-même. Il était évidemment là pour venir me chercher si la série décalait ou pour me refaire passer la barre depuis le bord une fois que j’aurais pris une vague. Il était aussi là pour venir me chercher si les choses tournaient mal et me retrouvais trop proche de la falaise. Mais il m’a bien dit que ce n’était pas du step off et qu’il n’allait pas me placer pour que je prenne la meilleure vague possible. Pour ça il fallait que je m’arrange avec moi-même. J’étais d’accord avec ça.

Est-ce qu’il y avait d’autres surfeurs à la rame ?

J’ai passé 4h30 en autonomie et Ramon m’aidait pour franchir la barre, qui est infranchissable à la rame. Pendant 2h j’étais le seul surfeur à la rame, entouré par une vingtaine d’équipages de tow-in. Je pensais que la présence de tous ces jet skis allait être pénible, mais j’étais bien content qu’ils soient là. Quand une série arrive, ils la voient arriver de beaucoup plus loin et quand tu entends les moteurs accélérer tu comprends qu’il faut se mettre à ramer. Si tu commences à ramer seulement quand tu vois la série arriver, c’est déjà trop tard. À un moment, j’ai vu débarquer Gorka Rougé à la rame. Il a mis moins d’une heure à passer la barre en passant par le nord de la plage, il était très déterminé, très engagé.

Pourquoi est-ce aussi dur de s’attaquer à Nazaré à la rame ?

C’est une vague qui est très aléatoire et le line up est très mal défini. Elle n’arrive pas vraiment du fond, de l’horizon, mais des profondeurs. La difficulté c’est que la vague lève d’un coup et qu’elle peut te tomber dessus. L’endroit où il faut se lever est très précis, ça peut se jouer à 2 mètres près et le timing doit être parfait, tu n’as pas vraiment le droit à l’erreur.

Et comment les choses se passent avec les surfeurs en tow-in ?

Il y a un très grand respect envers les gars qui rament, ce qui est vraiment agréable. Quand tu es à la rame, tu as la priorité. Ce jour-là Nic Von Rupp et Lucas Chumbo étaient à l’eau. Quand j’ai commencé à ramer sur une vague sur laquelle Lucas Chumbo était depuis une centaine de mètres, il m’a crié « go go go » en sortant de la vague. Et quand un gars comme Lucas te crie d’y aller, tu y vas, t’as pas le choix ! (rires)

Tu as donc réussi à prendre des vagues ?

J’ai eu trois vagues à la rame et je suis tombé au take off sur deux vagues. Ce n’était pas les plus belles, mais je ne les devais qu’à moi-même. Pour moi, c’est la récompense ultime que de prendre une vague seul à la rame à Nazaré.

Sacha à la rame, lors d’une session de gros à Parlementia, au Pays basque.

Quelques infos sur la projection du film

Cette première expérience à Nazaré à bel et bien donné lieu à un film documentaire, Perspectives, réalisé par Marc-Antoine Protière. Il sera projeté en avant-première au cinéma le Royal à Biarritz le mercredi 31 juillet 2024 en présence de Sacha et de Marco.

« Marc Antoine s’est embarqué à mes côtés pour livrer une immersion sincère et vraie. Il s’intéresse à mes passions, mes pratiques, aux coulisses de mes quêtes océanes variées et à mon challenge d’aller surfer Nazaré à la rame. C’est la découverte du spot de Nazaré dans mes yeux, quand j’ai débarqué là-bas cet hiver pour la première fois comme novice la semaine du Nazaré Tudor Challenge. J’ouvre mon intimité lors de cette semaine. Un documentaire qui lève le voile sur l’envers du décor à Nazaré, quand on arrive là-bas sans moyen mais avec la ferme intention de se mettre à l’eau et de surfer ces grosses vagues » – Sacha Fellous.


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