Après les derniers récits de « sessions engagées » de Matt Etxebarne, Antonin de Soultrait, Kepa Acero ou encore Maud Le Car, c’est au tour de Joan Duru de nous raconter un moment de surf marquant. Le capitaine de l’équipe de France olympique a choisi de nous raconter sa vague lors du Quemao Class, le 10 points qui lui a offert l’une des plus belles visions sur cette compétition prestigieuse (qu’il a remportée pour sa 8e édition).
Salut Joan ! Quelle « session engagée » as-tu choisi de nous raconter aujourd’hui ?
La dernière bonne vague qui me vient en tête c’est au Quemao Class pendant la compétition (cette interview a été réalisée avant les Jeux Olympiques Paris 2024, ndlr) , je n’ai pas choisi Hossegor même si j’en ai quelques-unes d’ici, parce que j’attends encore ma meilleure vague à Hossegor donc ce sera pour plus tard (rires).
Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette journée ?
C’était donc sur la compétition du Quemao Class fin 2023, au 2e tour. Le premier jour j’avais déjà eu une bonne vague qui aurait pu être celle que je raconte aujourd’hui mais le 2e jour était plus gros. J’ai eu une série avec William Alitotti et Gearoid McDaid, ils ont pris des vagues et j’attendais la mienne. Je n’avais pas réellement la série en tête, je voulais vraiment prendre la meilleure vague de ma vie, je ne voulais pas penser à faire 2 vagues moyennes, je voulais juste prendre la bombe en fait (rires).
Parle-nous de cette vague !
J’ai attendu longtemps, une grosse vague est arrivée. C’était gros, il devait y avoir 3-4 mètres et il y avait pas mal de vent offshore. J’étais en 6’6, en grande planche. La vague est arrivée assez grosse, de loin, j’étais bien contre-pic et assez deep. J’ai ramé à fond, je ne voyais rien de toute façon, jusqu’à me lever.
Quand je me suis levé en fait la vague ne tubait pas bien, c’était bizarre car normalement elle jette énorme et celle-ci n’a pas trop jeté. Du coup je suis rentré sous un rideau dans un mini tube comparé à la taille de la vague mais j’ai réussi à me glisser sous quelque chose en me disant que c’était ça ou rien. Il y avait de la mousse, je n’y voyais rien, il n’y avait pas d’espace. J’ai gardé ma ligne et d’un coup j’ai vu : il y avait un énorme rond, le tube était tout rond et j’étais encore assez deep.
Je me disais « wow énorme » mais il y avait quand même le foamball donc j’ai un peu bougé. Ça a continué à s’ouvrir et je suis sorti, parfait. C’était intense parce qu’être deep, partir dans un mini tube pour finir comme ça dans le foamball et sur la vague ouverte parfaitement… En plus j’ai eu 10 donc sur un souvenir de tube à la rame, c’est cette vague qui me vient.
Quel émotion prime à ce moment-là ?
C’était beaucoup d’adrénaline de partir sur du gros, assez deep, et de passer de ce mini tube à un énorme rond tout vert, une vision magnifique. Je me suis dit que j’allais passer, puis je me suis fait choper par le foamball et finalement j’ai pu sortir (rires).
Comment as-tu adapté ton attitude sur le moment ?
En grande planche, j’ai surtout gardé ma ligne. « Descends pas, montes pas, bouges pas » (rires). De toute façon je ne voyais rien, je ne sais même pas si j’avais les yeux ouverts au début tellement il y avait de mousse partout. J’ai gardé ma ligne et espéré que ça allait s’ouvrir à un moment, ce qui est arrivé.
Quelle était ton expérience de la vague de Quemao avant ça ?
J’étais allé 2 fois sur ce spot en compétition avant donc j’avais surfé quelques séries. J’avais eu de bonnes et moins bonnes vagues. Cette année c’était vraiment parfait, juste take off-tube, ce qu’on aime et en plus une gauche.
C’est une vague technique, il y a deux vagues : une vague à marée haute qui peut être plus longue et une à marée basse avec un bowl. Tu peux vite te retrouver devant le tube car elle est assez parfaite, c’est un vrai bowl donc si tu ne pars pas bien à contre-pic, tu n’es pas dedans, tu as la sensation mais sans y être.
Peux-tu nous parler de tes options côté matos et sur la série ?
On surfe de plus petites planches ici donc on se dit « il faut partir en-dessous pour bien tuber et être deep » mais finalement on a beaucoup parlé de ça avec Marc Lacomare, de prendre plus long et partir derrière pour arriver à contre-bowl. C’est plus dur car tu pars d’un endroit plus petit donc il faut vraiment ramer fort. C’est ce qu’on a essayé de faire et c’est passé. Marc c’est passé une fois mais celle d’après il a pris le lip sur la tête et s’est bléssé à la cheville. Ça montre à quel point la vague est difficile.
C’est un take-off hyper engagé sur les grosses et il y a beaucoup de vent offshore donc il faut ramer fort, sachant que la vague peut-être très creuse. La mienne ne l’était pas énormément mais celle d’avant oui. C’est donc un take-off quasi en l’air et il faut ensuite essayer d’accrocher pour passer en dessous. Donc si tu veux la prendre deep elle est très dure clairement : il faut ramer très fort, partir de loin, avec une grande planche ou pas, ça dépend d’où tu veux te placer. On a choisi la technique de se mettre plus loin avec une plus grande board, j’ai donc fait des séries assis plus loin que les autres. C’est une technique qui a payé sur les bonnes mais tu peux louper plein de petites vagues qui sont creuses aussi.
Tu parles de Marc Lacomare qui s’est blessé là-bas, le facteur risque sur ce type de vague, tu y penses ?
La peur est là c’est sûr et il y a du risque. On le sait mais quand la vague arrive, tu l’oublies (rires). Tu penses plus à la vague, au tube que tu vas faire, ça s’évapore. Mais la nuit d’avant et juste avant il y a de la pression et un peu de peur oui, bien sûr.
Il a t-il eu un avant et un après cette vague ?
Peut-être pas un avant/après mais c’est sûr que j’étais hyper content. La compétition a continué mais pour moi j’avais déjà fait ma compétition. J’avais eu un 10 sur une bombe puis un second 10, donc je me disais « ça va« . En demi-finale je suis passé un peu juste mais dans ma tête c’était déjà « job done« . Et puis Jonathan Gonzalez m’a dit « j’ai perdu, gagne pour moi » et donc en finale ça m’est revenu en tête : Jonathan je l’adore et j’adore son surf donc si un mec de là-bas me dit ça, allez je vais le faire (rires).
Sur ces formats invitational, l’approche de la compétition est-elle vraiment différente ?
Complètement. L’an dernier j’ai enchainé le Quiksilver Festival et celle-ci, je me suis dis « ça va être ça mes prochaines compétitions, c’est fini la WSL et les petits QS« . Et puis j’ai réalisé que je pouvais aller aux Jeux Olympiques donc je suis resté sur les tours qualificatifs. Mais c’est sûr que c’est le kiff ces compétitions invitational. C’est une super ambiance alors que dans les compétitions importantes on est dans notre coin, on parle à moins de monde. Là on est tous ensemble, tout le monde s’encourage, tout le monde boit une bière ensemble, c’est soirée après… À Quemao on a fait une soirée dans la grotte avec tous les participants à la compétition et c’était top, des souvenirs à vie. Après Teahupo’o ce sera ça mes prochaines compétitions (rires).