« Session engagée » : le gros flip du big wave rider Sacha Fellous à Parlementia

"Je pense que de toute ma vie, je n'avais jamais vu un Parle aussi gros et aussi parfait."

26/09/2024 par Ondine Wislez Pons

Sacha Fellous, jeune surfeur de grosses vagues, originaire du Pays Basque, raconte l’une de ses sessions les plus engagées à la rame à Parlementia, un spot qu’il connaît bien pour s’y mettre à l’eau dès que les conditions sont grosses, voire très grosses. Mais ce jour-là était différent de tous les autres. Il y avait moins de monde à l’eau que d’habitude et les vagues étaient bien plus grosses et plus bruyantes que tout ce qu’il avait connu jusqu’à présent. Le chargeur nous raconte comment sa session aurait pu mal se terminer, après une très grosse chute et beaucoup de temps passer sous l’eau.

Surf Session – Salut Sacha, c’était où et quand cette session engagée ?

Sacha Fellous – C’était le 11 décembre 2023 à Guéthary, sur le spot de Parlementia.

Peux-tu nous remettre dans le contexte de cette session ?

Je devais aller à la fac, mais une grosse houle était annoncée. J’ai séché les cours pour aller à Guéthary et quand je suis arrivé, c’était vraiment gros et il y avait au moins 45 minutes d’attente entre chaque série. Quand je suis arrivé sur la terrasse qui domine Parlementia, j’ai croisé Gibus de Soultrait qui filmait son fils Antonin, à l’eau ce jour-là. Il m’a dit « Sacha c’est gros, il y a des sets de 6-7 mètres qui passent et beaucoup d’attente. » Je pense que de toute ma vie, je n’avais jamais vu un Parle aussi gros et aussi parfait. Les vagues avaient de l’épaule, du creux et du tube.

Que se passait-il dans ta tête à ce moment-là ?

Quand je suis descendu me changer dans le local, j’entendais le bruit des vagues qui résonnait contre les façades des maisons et je sentais les graviers glacés sous mes pieds. Je commençais à réaliser dans quoi je m’embarquais et ça m’a mis un coup. Je me suis dit qu’il fallait vraiment faire attention et j’avais une appréhension que je n’ai pas d’habitude après avoir pris conscience que ce jour-là n’était pas un jour comme les autres.

Quelle planche avais-tu ce jour-là ?

J’avais une 9’1, un gun assez fin, monté en quatro, avec pas mal de volume, mais ça reste une planche qui se surfe. J’avais l’une des plus petites planches de la journée, mais je suis à l’aise avec, j’ai une bonne rame et je connais bien la vague, même si je n’ai pas sous-estimé la session, j’avais en tête que ce n’était pas un jour comme les autres.

Une fois à l’eau, arrivé au fond, comment les choses se sont-elles déroulées ?

Ce qui était assez particulier, c’est qu’il y avait très peu de monde au pic. Alors que d’habitude, quand c’est gros, il y a du monde à l’eau. Mais là, c’était vraiment très gros. Quand je ramais pour rejoindre le pic, un gars ramait juste devant moi. Une immense série a levé, on s’est assis tous les deux sur notre planche pour la regarder et une fois qu’elle est passé, il a fait demi-tour pour rentrer au port. Une fois que je suis arrivé au fond, une autre série est arrivée et j’étais bien placé, j’ai donc pris une première vague et tout s’est bien passé. J’ai attendu la deuxième série, qui s’est pointée au bout d’une heure. Je suis parti sur une super vague, bien à l’intérieur dans le bol. Puis je suis retourné au fond. Je voyais les lignes au large, je n’arrivais plus à les compter et chaque fois, celle de derrière était encore plus foncée et plus haute que la précédente. Et la plus grosse série de la journée est arrivée…

C’est sur une vague de cette série que tu es tombé ?

J’avais le cardio bien élevé parce que je venais de remonter au pic. Je suis arrivé au fond et j’ai vu tout le monde ramer vers le large. Une vague est arrivée et j’ai demandé si je pouvais la prendre parce que je venais juste d’en prendre une et qu’en temps normal, j’aurais attendu mon tour. On me dit ‘vas-y Sacha’ alors j’ai fait demi-tour, j’ai commencé à ramer et je suis parti sur la première vague de la série. J’avais vu que celles de derrière étaient tellement grosses qu’elles allaient casser au large. C’était donc celle-là ou rien. Je me suis levé, je suis descendu en bas de la vague, tout allait très vite, la planche tremblait. J’ai commencé à appuyer sur le rail pour entamer le bottom, le haut de la vague a creusé et la lèvre est tombée à quelques centimètres de ma planche, je me suis fait souffler d’un coup.

© Marco Nuñes
© Eric Zudaire
© Tristan Keroullé
Sacha à Nazaré © Marc-Antoine Protière

Comment s’est passée la chute ?

La chute n’a pas été violente. Je suis tombé dans un grand coussin d’air et je suis parti directement au fond, dans le bleu, en dessous des remous. Je n’avais encore jamais vécu ça, tout était très calme, il ne se passait rien, à part mon leash qui tirait fort. J’étais comme dans le fond de la piscine, sauf que le rideau était tiré. Il y avait une sorte de plafond d’écume qui rendait toute nage vers la surface impossible. Je me suis dit ‘bon, on va se détendre, attendre et ça va passer‘. J’ai attendu puis j’ai commencé à trouver le temps long, j’ai essayé de nager mais le plafond que j’avais au dessus de la tête était toujours infranchissable, j’étais prisonnier tellement il y avait de remous. Jusqu’à un certain moment ça allait puis j’ai commencé à paniquer, surtout quand j’ai entendu la deuxième vague de la série casser, ça a fait le même bruit qu’une avalanche. Et là je me suis dis que ça n’allait pas le faire, je n’étais pas capable d’en faire deux comme ça sous l’eau, il fallait vraiment que je remonte. J’ai donné tout ce que j’avais dans les bras, en brasse, pour arriver à la surface. J’ai réussi à regagner la zone blanche, je me suis fait brasser, sans savoir où étais le haut du bas mais j’ai quand même réussi à arracher une bouffée d’air et dans la seconde qui a suivi, la seconde vague est arrivée sur moi et je suis reparti tout au fond. Je me suis fait secouer comme pas possible et je me suis fait tirer sur 200-300m.

Comment te sentais-tu après ?

Sur le coup, je n’ai pas vraiment compris ce qu’il venait de m’arriver, j’étais dans ma session. J’ai tiré sur le leash, j’ai récupéré ma planche et je suis reparti au large. Quand je suis arrivé au fond, l’adrénaline est un peu retombée et j’ai réalisé que je venais de vivre un truc un peu sérieux, j’avais la gorge serrée et les yeux gonflés. Après coup, j’ai détesté cette sensation d’avoir été aussi vulnérable et je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce qu’il se serait passé si je n’avais pas réussi à attraper cette bouffée d’air. Je me suis posé pas mal de questions, si j’aurais dû attendre et faire les deux vagues sous l’eau, calmement, sans m’exciter comme ça pour remonter à tout prix… Je me suis remis en question et ça m’a un peu calmé.

Est-ce que ça a changé quelque chose dans ton approche des grosses vagues ?

Quand je suis allé à Nazaré cet hiver, j’avais peur et je m’attendais à pire, parce que la vague est bien plus grosse. Mais c’est vraiment une question de mauvais endroit au mauvais moment. On peut se faire massacrer dans 3-4 mètres et tout peut bien se passer dans du plus gros. Si la vague décide de nous prendre elle le fera. Je me sens plus humble après cette session à Parlementia, ça m’a fait réfléchir et maintenant je suis encore plus précautionneux et méthodique qu’avant sur l’organisation, la préparation physique, mentale, le matos… Il y a une grande part d’aléatoire qui ne dépend pas de moi mais je mets toutes les chances de mon côté pour être le plus préparé possible à n’importe quelle situation.

Selon toi, jusqu’à quel point la préparation physique, mentale et l’entraînement peuvent aider dans ce genre de situations ?

On a beau se pousser dans le rouge à l’entraînement l’océan, lui, n’a pas appris à compter. C’est une force brute qui se fiche de notre douleur. Ce genre de chute nous rappelle à quel point on est maître de rien. Me retrouver à ce point dans l’inconfort et l’inconnu m’a mis une grosse claque, j’ai vraiment eu peur. Mais la peur est très importante, elle est une limite nécessaire et si on la franchit, on tombe dans l’inconscience et c’est là que c’est dangereux. À l’entraînement on va jusqu’à ce que l’on pense être notre limite, parce c’est ce que l’on connaît de pire, ce que l’on considère comme notre 10/10. Mais si l’océan te pousse à 15/10, on n’aura pas d’autre choix que de l’accepter. Quand on passe 20 secondes sous l’eau, qu’on les subisse ou qu’on les accepte, le temps sera le même. Il faut réussir à mobiliser le peu de bonheur que l’on y trouvera pour que ça soit le moins dur à vivre possible. Mais tout est dans la tête. La capacité pulmonaire, n’importe quel être humain en est doté. Mais quand il fait noir, que tu es à 4-5 mètres sous l’eau, dans les pires conditions possibles, c’est là qu’il faut arriver à se détendre.

© Marc-Antoine Protiere


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