Début janvier Matthieu Etxebarne Aguirregomezkorta nous accordait une interview à propos de sa vague monumentale prise en foil à Jaws fin novembre 2023. C’était sa toute première fois à Hawaii, et pas des moindres. Après avoir réalisé l’un de ses plus gros objectifs, Matt s’est sévèrement blessé à la tête le 31 décembre 2023, alors qu’il était de retour à Peahi pour s’y mesurer à nouveau.
Quelques mois après cette fameuse session, alors que l’hiver est passé, nous avons demandé au waterman de revenir sur ce ride monumental du mois de novembre, qui figure sans aucun doute parmi ses sessions les plus engagées. Si les yeux du surfeur brillent avec toujours autant d’intensité au souvenir de cette journée, Matt a fait du chemin dans sa tête depuis notre dernière rencontre.
Plus posé, réfléchi, le jeune basque a pris la mesure de son exploit à Jaws. Les mois qui viennent de s’écouler lui furent nécessaires pour réaliser certains aspects des choses, l’amenant à prendre conscience de la nécessité de savourer chaque victoire, chaque étape de sa jeune et prometteuse carrière. Si l’ambition de Matt, sa volonté de repousser les limites de son sport sont intactes, le surfeur a compris qu’il ne fallait pas vouloir aller trop vite. Désormais, il compte bien se laisser le temps et se donner les moyens d’atteindre ses objectifs, avec sagesse et lucidité.
Surf Session – Salut Matt, peux-tu nous remettre dans le contexte de cette session ?
Matt Etxebarne – Les moments qui précédent une session de surf de gros ou de foil de gros sont toujours un peu particuliers et assez intenses. Dans ces sports, contrairement à d’autres, on s’entraîne physiquement en permanence et on doit être au meilleur de notre forme toute l’année, parce qu’on ne sait jamais quand une houle va arriver. On a vu un beau swell se dessiner à Hawaii, on est parti au dernier moment et on est arrivé la veille au soir de la session.
Dans quel état d’esprit étais-tu juste avant la session ?
La nuit qui a précédé la session, je n’ai pas beaucoup dormi et le matin, une fois sur place, j’ai ressenti beaucoup de stress. On ne maîtrisait pas grand chose, on n’était pas chez nous, on ne connaissait pas l’endroit et on n’avait jamais vu la vague en vrai. Même si, évidemment, j’avais vu des centaines de vidéos de Jaws. Je ressentais de l’appréhension et de l’incertitude, je me demandais si c’était possible de prendre une vague à Jaws en foil avec la ligne d’un surfeur. Mais dans ces moments de doute, il faut se rassurer, se rappeler pourquoi on est là et qu’on peut le faire. Autour de soi on entend souvent des choses qui peuvent nous éloigner de notre objectif. Il faut faire abstraction de tout ça, mais ce n’est pas évident de rester concentré, de croire en soi. C’est ce que j’ai fait et je pense que c’est pour ça que j’ai eu cette belle vague.
Peux-tu nous parler de ce fameux ride ?
Ce fut sans aucun doute le ride le plus dur de ma vie. Quand je suis parti sur la vague, la masse d’eau qui arrivait sur le foil était telle que c’était très compliqué de tenir et de résister. Quand j’étais sur la vague et que j’ai vu ce bol gigantesque qui commençait à gonfler, je me suis dit « bon ok, là il faut que j’essaye de garder la ligne, de rester concentré et surtout de ne pas tomber« . Mais plus la vague gonflait, plus le foil voulait sortir et exploser. J’avais les bateaux en ligne de mire et je savais qu’il fallait que j’appuie le plus possible sur ma jambe avant, qui tremblait tellement je forçais dessus. Mais c’est passé, c’est un souvenir incroyable.
Comment as-tu fini ta vague ?
Quand je suis arrivé en bas de la vague, j’ai aperçu les bateaux, les surfeurs à la rame et ils m’ont paru tellement lointains que je pensais être trop deep. J’ai même eu l’impression que j’allais tuber, ce qui n’a pas été le cas, parce qu’on va vraiment très vite en foil, mais c’était impressionnant. C’est l’une des seules fois de ma vie où en bas de la vague je me suis dit « là, il ne faut vraiment pas tomber. » Tomber n’était pas une option. J’ai visé les bateaux, parce que je savais que la vague allait tourner vers là fin et quoiqu’il arrivait, il fallait que je tienne. J’avais la jambe en feu, ma cuisse tremblait à cause de la vitesse et le foil bougeait dans tous les sens. Quand j’ai fini cette vague, j’ai regardé autour de moi et j’ai vu tout le monde crier sur les bateaux. Je me suis dit qu’il fallait que je profite de ce moment. C’était incroyable, j’avais envie de hurler de joie même si, par respect, je ne l’ai pas fait. Mais dans ma tête je criais comme un enfant. C’était énorme et rien que le fait d’en parler, j’ai l’impression que c’était hier.
Peux-tu nous dire quelques mots sur ton matos ?
Je ne peux pas parler précisément de mon matériel, parce que ce sont des prototypes. Mais ce que je peux dire c’est qu’en foil, il y a une grande part d’incertitude, liée au matériel. On le développe en le testant sur du plat, avec des vitesses différentes, mais pas sur des vagues telles que Jaws, où je n’avais jamais surfé avant cette session et où j’ai testé le matériel le jour J. C’était une appréhension supplémentaire de se demander si le foil allait fonctionner sur une telle vague. Le seul moyen de le savoir c’était d’y aller. Il y a des moments comme ça, où il faut poser le cerveau et si ce n’est pas toi qui le fait, personne ne le fera.
Quel est ton état d’esprit aujourd’hui, après plusieurs mois ?
On est au mois de mai et en cette fin d’hiver, je vois les choses un peu différemment. Cette vague, que ce soit avant et après, m’a procuré tellement de stress, de peur et d’adrénaline, que j’ai eu du mal à réaliser ce qu’il venait de se passer et à profiter après coup. J’ai le sentiment que les gens en ont plus profité que moi. Petit à petit, en voyant tout cet engouement, j’ai commencé à réaliser ce que j’avais fait. Mais ça a pris du temps. Immédiatement après la session j’ai eu envie de repartir en me fixant des objectifs très hauts, trop vite, dans la précipitation. C’est pour ça que je me suis blessé juste après.
Quels enseignements retires-tu de tout ça ?
L’hiver qui vient de s’écouler a été très riche, avec des hauts, des bas, ce qui m’a donné une très grosse leçon d’humilité. J’ai compris qu’avoir des objectifs c’est bien, que vouloir repousser des limites c’est bien, mais qu’il faut le faire préparé et intelligemment. Une carrière ça se construit sur le long terme et j’ai le temps pour ça.
As-tu quelque chose à ajouter en guise de conclusion sur l’hiver intense que tu viens de vivre ?
Cette vague m’a fait grandir et réaliser des choses importantes sur le sport de haut niveau. Il faut prendre le temps de savourer chaque victoire, chaque étape et il ne faut pas vouloir aller plus loin trop vite. Il faut se fixer des objectifs tout en acceptant et en valorisant les choses accomplies. Ce que j’ai eu du mal à réaliser juste après cette vague, en voulant aller encore plus loin. C’est une bonne chose bien sûr, mais il faut savoir le faire au bon moment. Maintenant, je me pose et je redéfinis mes objectifs. Comme je le disais, une carrière, ça se construit sur la durée.