Après 15 ans sur le tour professionnel et un titre de champion du monde en 1988, Barton Lynch n’a pas perdu sa passion pour le surf. Aujourd’hui à 60 ans, il fait usage et don de son expérience et de son vécu au travers de diverses moyens, dont le coaching et le rôle de speaker, mais aussi en organisant le Blast Off Challenge (compétition tournée vers le coaching pour les moins de 14 ans).
L’Australien a accompagné nombre de surfeurs dans leur parcours, dont Kolohe Andino, Sally Fitzgibbons, Laura Enever ou plus récemment Kika Veselko et Vahine Fierro. Le passionné propose différents formats de coaching, de sa formule « sessions signature » à du coaching privé et vidéo, destinés aux débutants comme aux futurs champions. En fin d’année 2023, nous avons profité d’un échange avec la voix du surf aux Jeux Olympiques 2024 pour parler de son expertise et de son expérience. Interview.
Surf Session – Comment décrirais-tu ton approche du coaching ?
Barton Lynch – Il ne s’agit pas de coacher sur l’aspect technique, un coaching de base où faire des notes sur le placement d’un bras ou autre, ce n’est pas mon créneau même si je saurais le faire. Pour moi, il s’agit de faire prendre conscience de la puissance du mental, du fait qu’il y a une vraie intelligence dans l’intuition car nous sommes des animaux primitifs très intelligents et que certaines choses sont « innées« , comme le fait de bouger ses mains en même temps que l’on parle. On ne contrôle pas individuellement chaque information envoyée au cerveau et pourtant le corps réagi, c’est une machine miraculeuse. J’essaie de faire comprendre l’intelligence du corps et comment il peut agir de lui-même si on lui envoie les bonnes images. C’est comme ça que l’on apprend à marcher et je coache de cette façon-là.
Si en surfant on pense à son bras, son pied… ça ruine la performance, alors que si on respecte l’intelligence du corps et qu’on a suffisamment pratiqué l’image mentalement, qu’on l’a entrainée mentalement, ça se fera tout seul. D’un point de vue du coaching, je travaille dans un espace plus « magique« , dans une perspective de performance. Tout est lié au fait d’évoluer et d’apprendre à se connaitre, se voir grandir et voir son surf grandir en résultat à cela. Il faut faire confiance et se faire confiance, ne pas laisser l’ego prendre le contrôle.
Comment cela se met-il en place ?
Quand on est assis au peak, personne ne sait ce qu’il va se passer, aucun coach au monde ne le sait, ce ne sont que des suppositions. Quand on est à l’eau, on a des sensations, parfois on se dit « je devrais me décaler là« , on ne sait pas pourquoi on a cette sensation mais il faut lui faire confiance à chaque fois. J’apprends donc aux gens à faire confiance à leur intuition. Reconnaître ces sensations instinctives et intuitives fait partie de la leçon, voir la différence entre penser et ressentir.
La pensée ne s’arrête jamais et il faut souvent l’ignorer mais quand je ressens quelque chose, je peux faire la différence. Quand je pense, ça commence dans la tête, ça tourne en rond et ça finit par une conclusion qui mène à la prochaine question. C’est très difficile de s’arrêter de penser, surtout que les stimulis extérieurs sont en constante évolution. Mais si je ressens une sensation monter et qu’une idée « pop« , c’est la réponse qu’il faut suivre, il ne faut jamais la questionner.
Pour moi, en tant que surfeur et compétiteur, la leçon la plus importante est de faire la différence entre sa pensée et son ressenti. Il s’agit d’ignorer la pensée, de ne pas agir en fonction d’elle, de laisser les pensées passer comme le vent et à l’inverse quand c’est un ressenti, une sensation, alors de s’y connecter et de lui faire confiance. C’est la leçon majeure.
Pourquoi penses-tu que cela soit un exercice parfois complexe ?
Les intuitions sont issues de notre ADN, de l’Histoire de l’humanité, des hommes des cavernes à aujourd’hui on a appris et tous ces instincts et intuitions sont en nous. Mais la télévision, les médias, les employeurs, les professeurs essaient de nous éloigner de ce que l’on sait et de ce que l’on a pour nous donner ce qu’ils ont, remplacer notre connaissance par la leur. Pourtant leur connaissance est inutile pour le « soi », qui a besoin de son propre savoir.
On essaie souvent de se positionner dans un espace où tout va bien et où tout est parfait mais il faut aussi apprendre à gagner quand tout va mal, ou apprendre à être heureux quand ça ne va pas, apprendre à comprendre que tout n’est pas toujours rose, qu’il y a des jours avec et des jours sans. Ce sont les leçons de vie que le surf m’a appris et il l’apprendra à chacun de ces compétiteurs aussi parce qu’ils sont sur ce chemin de découverte de soi et c’est super ! Il n’y a pas de mauvais parcours ou de mauvais timing, c’est juste ce qui appartient à chacun.
Certains profils sont-ils plus aptes à comprendre cette approche que d’autres ?
Pour être honnête, je ne suis pas sûr d’avoir travaillé avec beaucoup de personnes qui ont pu pleinement comprendre cela. Beaucoup de gens veulent « la clé », ils ne veulent pas entendre qu’ils doivent y travailler, ils veulent la clé pour gagner et ils viennent me voir car ils pensent que j’ai cette clé.
Ce que je sais, personne ne me l’a appris. Je l’ai appris au travers de ma propre expérience et dans ma recherche d’une vie positive, productive et qui a du sens. Pour les jeunes compétiteurs, seule la compétition compte, tout ce qu’ils veulent c’est gagner. J’ai fais le Tour pendant 15 ans et j’ai aujourd’hui 60 ans donc être un compétiteur a finalement été une minorité de mon existence, un quart de ma vie, alors que ces jeunes vivent comme si c’était tout ce qu’il y avait. De ce fait, il arrive que quand on essaie de travailler sur quelque chose de plus grand, sur eux-mêmes et leur vie, au-delà de gagner un heat, ils n’accrochent pas. Donc un certain nombre ne reste pas, ils prennent les idées et font leur propre trajet, chaque évolution est personnelle. Beaucoup de mes idées aident le surfeur à grandir en tant que personne. À mon âge j’apprends encore des choses sur moi, qu’il m’a fallu peut-être 25 ans à identifier, alors que je pense être plutôt quelqu’un d’averti. Quand je dis que certains comprennent et d’autres non, je veux aussi valider le fait que personne n’est parfait. J’ai récemment travaillé avec Kika avec mon programme de mentoring avant qu’elle remporte les Mondiaux Juniors WSL : c’est une jeune femme intelligente, elle est puissante et elle a saisi les choses.
Qu’est ce qui t’anime dans le fait de coacher ?
J’ai été indépendant très tôt, depuis mes 12 ans. Après le décès de mon père, je ne voulais pas avoir à répondre à qui que ce soit ou avoir à respecter des règles. Depuis 1997, je travaille à mon compte, je l’ai fait toute ma vie. Aujourd’hui le coaching est mon travail et mon gagne-pain. Du fait de qui je suis et des situations dans lesquelles j’ai été, j’ai dû trouver des moyens de faire ce que j’aime et de pouvoir donner aux autres, comme c’est le cas avec Blast Off et le coaching. J’ai la sensation de donner aux autres, de faire ma part en partageant ce que j’ai et ce que je sais. On m’a proposé des postes par le passé, que ce soit des marques ou des institutions mais je ne voulais pas de ça, j’aime ma liberté.